Le paysage dénaturé ou l’embarras des fidèles de l’éolien

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par Philippe Peyroche
adhérent de Sites & Monuments, membre de la CDNPS de la Loire
publié le 17 janvier 2018

Commentaire :  Annotations de Michel Bernard (AEST37) sur trois aspects :
  1. la perception de la hauteur de ces usines électriques = plusieurs situations ont montré que des habitants ne s’inquiétaient pas d’un projet situé à 1 km de chez eux car ils pensaient qu’à cette distance, ils ne seraient pas « impactés ». Le positionnement d’un ballon ou mieux encore d’une montgolfière à la hauteur correspondant au bout de pale crée alors une commotion : la matérialisation a un effet... choquant.
    On peut exiger des collectivités territoriales favorables à un projet éolien la mise en place de cet « élément visuel d’information objective » = en milieu rural, personne n’a comme référence une structure de 200 à 240 mètres de haut = avenir de toutes les usines éoliennes grâce à la magie du « repowering ».
  2. la perception momentanée du mouvement : un immeuble de 200 m de hauteur ça gâche, un peu, le paysage mais il est fixe, immobile, inerte. Or, les mouvements des rotors et des pales (bien sûr quand il y a du vent) attirent le regard, captent l’attention. La présence de cette « élégante réalisation d’art contemporain » devient obsédante. Elle détruit la paisibilité de la ruralité.
  3. la perception décalée du mouvement = la persistance sensorielle rétinienne. Le cerveau soumis durablement à la vision des rotations s’imprègne de ces mouvements = une imprégnation cérébrale passive diurne se manifeste nuitamment par une restitution de ces perturbations = insomnies et autres dégâts sanitaires qu’il faudrait documenter.
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Nous livrons ce beau texte à la sagacité de nos lecteurs, en espérant qu’il en suscitera d’autres, sur un sujet où le débat nous semble malheureusement de plus en plus à sens unique.



La critique de l’éolien s’exerce sur différents points. On ne se préoccupera ici que de la question du paysage et de son cortège polémique.

Le point le plus délicat à résoudre aux yeux des acteurs de l’éolien, celui qui embarrasse les promoteurs, est sans conteste celui des atteintes aux sites et la critique qu’en font les esprits sensibles à leur harmonie.

En effet, il est objectivement impossible de contester les dimensions des machines. Même, et surtout, les paysagistes missionnés par les promoteurs renoncent à prétendre dissimuler des constructions sans rapport ni dimensionnel ni matériel avec les sites où on les installe. Ils se réfugient dans la proposition utopique de créer un « nouveau paysage » hybride, mi-industriel, mi-naturel, en fait un paysage, au sens propre, dénaturé.
Les réponses des partisans des machines sont d’ordres divers mais leur présupposé reste constant : même si les paysages souffrent de perturbations qu’ils sont bien obligés de reconnaître, l’éolien doit se « Faire » selon le mot récent d’un journaliste écologiste convaincu du bien-fondé de cette industrie (Reporterre, « L’éolien en France », 18 /12 20).
L’utilitarisme, colorié d’une certaine idéologie écologiste confiante en l’avenir des techniques, l’emporte sur toute autre vision de la société et de ses valeurs esthétiques ou affectives.

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1° La première affirmation rencontrée consiste en une comparaison du type :
« une éolienne n’est pas plus laide que/un pylône/une autoroute/et surtout une centrale nucléaire »
On détourne ainsi l’observation hors du sujet, car il s’agit bien de savoir si l’éolienne est belle ou laide, et non de s’appuyer sur un autre objet contestable pour récuser l’accusation initiale. Ce n’est pas parce qu’un pylône est laid qu’une éolienne ne l’est pas. On peut aussi lire dans cette proposition l’aveu implicite que la machine « est aussi laide que… »
Que la peste soit un fléau n’empêche pas le choléra d’en être un autre. La médecine examine l’une puis l’autre sans les confondre. L’examen des éoliennes doit se porter sur le cas intrinsèque et non sur un autre rapproché artificiellement.

2° Détournement du constat : « Une éolienne n’est pas laide »

On peut en convenir. L’éolienne procède du design contemporain et sa rationalité lui confère une ligne sans heurt. Mais c’est réduire l’observation car il ne s’agit pas d’ UNE éolienne mais bien de la suite que forme une centrale – et non d’un parc ou d’une ferme, mots choisis à dessein pour leur connotation bucolique – de plusieurs machines. Les éoliennes se présentent toujours comme un ensemble et non comme un objet isolé. On aborde ici un problème de sitologie et non d’esthétique artistique. La multiplication implique un effet de masse qu’il faut prendre en compte, 10 n’est pas 10 fois 1 mais bien un ensemble 10.

A cette réponse il faut rattacher un argument qui revient comme un leitmotiv : « Une éolienne n’est pas (toujours cette négation) plus haute que : la Tour Eiffel. »

Oui, mais la Tour est un objet d’art, unique, gratuit, avec une histoire, un nom propre, une silhouette sans réplique. Son créateur a-t-il un jour imaginé en voir 10 ou 20000, sur notre territoire ? La réponse va de soi.

Par contre les éoliennes, elles, sont toutes semblables, leur dessin issu de la technique appliquée est reproduit du Danemark à l’Espagne sans la moindre relation avec leurs contextes géographiques. Les praticiens du « Land-art » insèrent leurs créations spatiales en un seul point choisi, ils ne les reproduisent pas en tous lieux. Création signifie intervention originale d’un créateur, Eiffel par exemple, toute copie ne saurait dépasser le statut d’objet banalisé.

En outre, ces affirmations de la beauté des éoliennes font abstraction des sites qui les entourent. On ne peut juger de leur élégance que si on prend en compte le lieu qui doit les recevoir. Si une éolienne n’est pas laide sur plan, on ne peut la lire sans la considérer dans le contexte. Une série de machines colossales, visibles du Mont Saint-Michel ou des Salines d’Arc-et-Senans ou, comme on le lit ces jours, depuis la Montagne Sainte-Victoire chère à Cézanne, et donc tous sites constitutifs de notre richesse culturelle, oblige à une contestation radicale de leur gigantisme et de leur incongruité.

3° La controverse connait son acmé avec le classique « La beauté du paysage est affaire de subjectivité »
La phrase se veut définitive et sans réplique. Elle déclare tout jugement inutile et ouvre donc la porte à toutes les options. Or si la subjectivité donne le droit à chacun d’affirmer son choix, sa pertinence esthétique s’arrête où commence le jugement éclairé.

Car si je peux, m’appuyant sur ma préférence, aligner une cohorte de nains de plastique dans mon jardin, il sera difficile de leur accorder la valeur des créations de Camille Claudel. La subjectivité ne définit pas le bon goût, elle permet l’option individuelle sans en garantir la valeur.

Elle autorise le choix entre deux paysages de même richesse : Chacun peut éprouver le sentiment du sublime devant la Pointe du Raz ou au pied de la Meije, mais sauf à cultiver le paradoxe provocateur, il est inconcevable de trouver la même puissance à une décharge sauvage ou une entrée de ville livrée aux cubes commerciaux. On ne peut s’appuyer sur ce concept pour refuser de voir la dénaturation d’un site quand un industriel prétend imposer 5 ,8 ou 10 machines à un territoire jusqu’alors préservé ; et donc forcer toute une population à en supporter la présence indiscrète.

En matière de qualité des espaces publics la nécessité s’est imposée d’établir des règles. Ce sont celles que font appliquer les Architectes des Bâtiments de France ou des monuments historiques, les Sites Patrimoniaux Remarquables, les Commissions Départementales de la Nature, des Paysages et des Sites (CDNPS) ou celles qui président à la délivrance des permis de construire. Au nom de la subjectivité je ne peux bâtir une chaumière normande dans le massif des Écrins et réciproquement on refusera tout chalet suisse en Bretagne. La législation du goût l’emporte sur les choix individuels et en corrige les aléas.
Étrangement, en ce qui concerne les éoliennes cette règle se voit battue en brèche par une réglementation de complaisance ardemment soutenue par le syndicat professionnel et le monde politique.

Remarquons enfin que le plus souvent l’argument de la beauté subjective est avancé par ceux qui se proposent de la détruire.

4° La discrimination sociale
Si les argumentaires rapportés plus haut relèvent essentiellement d’une méconnaissance des règles qui régissent un site, on en lit d’autres d’une toute autre nature et moins propres à se voir traités avec une certaine indulgence. Ces critiques ne sont plus d’ordre esthétique, ne se rapportent plus aux objets que sont les éoliennes mais mettent en cause ceux qui ont le front de les contester. On ne s’attarde plus sur ce qui est dit mais on attaque celui qui parle. Procédé connu depuis les rhéteurs antiques et depuis repris par tous les régimes totalitaires.

Pour certains défenseurs des éoliennes, la contestation ne peut être le fait que de personnes sans qualité ; du moins répondant à certaines caractéristiques sociales explicitées au fil d’interventions hostiles.

La critique pour les thuriféraires de l’éolien ne peut venir que de citoyens de second rang.

Les résidents secondaires en tête. Leur présence dans le paysage n’a pas de légitimité pour celui qui ne voit dans cet espace que le lieu de l’activité, activité agricole certes, mais aussi celle de l’industrie éolienne. On est en présence d’une vision dogmatique d’un pragmatisme utilitariste qui ne prend pas en compte l’incidence positive des impôts locaux acquittés par les occupants « secondaires », ni la renaissance des villages soumis à l’exode rural. Les paysans du roman de Balzac ont des descendants.

Le cas presque caricatural est fourni par les diatribes lancées contre ceux dénoncés comme « châtelains ». A en croire l’acrimonie qui entoure ce mot la France est peuplée d’aristocrates héritiers du « Milliard des émigrés » de 1825.

Ces « ci-devant » ont l’audace de se faire les avocats des sites agressés par les implantations sauvages d’éoliennes dans leur champ visuel. Que ces châtelains mettent souvent toute leur énergie (et leurs finances personnelles) au service de la restauration de ce qui est aussi le patrimoine historique de tous ne les rend pas excusables d’être conscients des abus d’un lobby. On croit entendre ici l’écho lointain de la Carmagnole et le fameux « Mort aux châteaux, paix aux chaumières ! »

Ces deux cas d’ostracisme social font naître un sentiment de malaise. L’éolien serait donc une doxa proche de la foi religieuse mal comprise, celle qui conduit à la violence verbale car l’anathème est la parole du fanatique. Entendre la critique lui est insupportable, toutes les allégations, même douteuses, se voient utilisées pour faire taire celui qui refuse le dogme.

NIMBY ou le pilori ébranlé
Reste le cas de figure rhétorique longtemps utilisé par les partisans de l’éolien et qui se résume par l’acronyme de NIMBY. Était qualifié de « nimby » (not in my back yard / pas dans mon jardin) celui qui refusait un équipement qualifié de majeur et d’indispensable à la conversion de nos sources d’énergie par qui en prenait l’initiative, en l’occurrence un élu local, un ministère ou plus prosaïquement un promoteur éolien. Le refus ne pouvait s’expliquer que par l’égocentrisme farouche, une vision myope de l’intérêt public, en un mot par le manque inadmissible de sens civique. Qui n’adhérait pas à la vision technologique, technocratique, portée par des politiques acquis à la cause, se voyait frappé du sceau de l’incivisme.

Les éoliennes se définissaient comme l’impératif catégorique et la vertu obligatoire ; leurs adversaires se voyant renvoyés à leur indignité.

Le mot apparaît moins souvent depuis que les analyses sociologiques (La Gazette des communes, 8/2/2016) ont frappé d’obsolescence les affirmations aussi péremptoires que superficielles. Il a fallu admettre que le « nimbysme » pouvait traduire un certain sens des valeurs collectives et que ce refus individuel révélait le manque de transparence des projets, ou l’insuffisance des procédures de consultation des populations - la mascarade de la plupart des enquêtes d’utilité publique où l’on lit les conclusions d’un commissaire en plein désaccord avec toute une population – ou l’avis positif d’un préfet faisant fi des critiques d’une CDNPS, d’un ABF ou d’une commune. Surtout que le refus d’une personne, loin de limiter son sens à la sauvegarde d’un paysage personnel, mettait en évidence la prétendue rationalité économique d’une centrale, que cette forme de production n’avait aucune incidence positive sur la réduction des gaz à effet de serre, qu’il fallait en 2016, plus de 6000 machines pour produire 4,3 % de notre électricité que, en fin de compte, l’éolien ne résistait pas à une analyse rationnelle, et que l’Etat n’avait pas toujours sa « Raison ». On est ainsi passé d’un mot péjoratif au concept positif de lanceur d’alerte. Le « nimby » par son expérience locale accède à la fonction de témoin privilégié du despotisme éolien ; la profession se montrant cyniquement bien décidée à mettre le paysage français en coupe réglée.

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Que le refus des éoliennes paraisse intolérable à leurs partisans, on peut le comprendre, mais les voir employer les artifices évoqués ici n’est pas plus supportable à qui refuse les illusions et les dérives qui accompagnent ces machines.

Si certains avancent des paralogismes assez naïfs, d’autres jouent délibérément avec les procédés les plus inélégants. Il convient de les mettre en pleine lumière et de rappeler ceux qui en usent à la rigueur intellectuelle.

Le 27 décembre 2017


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