La transition énergétique prisonnière d’une spirale de la mort?

Philippe Gauthier



La baisse des coûts des renouvelables ne les a pas rendues réellement plus désirables pour les entreprises du secteur énergétique. Dans les faits, le coût élevé des investissements et leur faible rentabilité se sont traduits par la chute des profits et de la valeur des entreprises.
Pourquoi les investissements stagnent-ils dans les énergies renouvelables, alors que l’argent coule à flots dans un secteur structurellement déficitaire comme celui du pétrole de schiste? La réponse se situe du côté de la libéralisation des marchés et des politiques fondées sur une compétition excessive. Les profits sont à la baisse, entraînant une véritable « spirale de la mort » pour les producteurs d’énergie – et l’impossibilité d’atteindre les objectifs de réduction des émissions d’ici 2050. Une récente étude de Trade Unions for Energy Democracy, un groupe international de réflexion sur les enjeux énergétiques, expose les mécanismes de ce qu’elle qualifie de « calamité se déroulant au ralenti ».
L’étude part du constat qu’en dépit des constantes « bonnes nouvelles », l’investissement dans les énergies renouvelables est beaucoup plus bas qu’il le faudrait. Le déficit, selon une étude réalisée par l’ IEA-IRENA, serait d’environ 600 milliards $ par année et atteindrait 14 000 milliards d’ici 2030, pour les secteurs solaire et éolien seulement. Plus étonnant encore, ce sous-financement chronique survient alors que les capitaux privés sont surabondants et se cherchent des débouchés.
Le niveau des investissements est d’autant moins satisfaisant que de nouvelles pratiques viennent accroître les besoins. L’électrification de 70 % des transports exigera à elle seule près de 15 000 milliards $ d’investissements dans les renouvelables entre 2016 et 2050, selon le rapport 2017 de l’ IEA-IRENA. Des secteurs importants sont aussi fortement négligés. Le stockage de l’électricité, par exemple, n’a reçu que 10 milliards $ dans le monde en 2015.
Le problème de fond, résume le TUED, « n’est pas le manque d’argent. Il repose, pour simplifier, sur le fait qu’il n’y a pas beaucoup d’argent à faire dans les renouvelables et les technologies liées. »


La baisse des coûts aggrave la situationC’est contre-intuitif, mais la baisse du coût des renouvelables contribue à aggraver leur manque de rentabilité. L’idée que les renouvelables seraient bientôt compétitives avec les énergies fossiles a mené à l’abandon prématuré de diverses formes d’aide financière et réglementaire. De plus, elle a ouvert la porte à la pratique des appels d’offres au plus bas soumissionnaire, qui induit une compétition meurtrière entre producteurs et répand l’idée que les renouvelables ne sont pas un investissement rentable.
De plus, l’industrie ne reçoit que des signaux flous et inconstants. Le marché du carbone, par exemple, est un désastre complet. Non seulement les prix sont trop bas, mais ils fluctuent aussi de manière imprévisible. De plus, à l’échelle mondiale, environ 85 % des émissions de carbone échappent à ce mécanisme. La Banque mondiale espère malgré tout que les investisseurs se précipiteront sur les renouvelables sur la base d’un futur fait de risques difficiles à évaluer et de coûts hypothétiques. Le TUED qualifie cette attitude « d’attente passive d’un miracle ».


L’un des mécanismes de marché les plus pervers est l’appel d’offres, un système où les promoteurs se livrent à une forme d’encan à la baisse sur le niveau de subvention dont ils acceptent de se contenter. Les achats sont ensuite garantis sur une longue période. En principe, ce mécanisme est censé réduire les coûts pour le consommateur, mais en pratique, on observe que les promoteurs soumissionnent à des niveaux trop bas et qu’ils ne parviennent pas ensuite à compléter le projet, ce qui les expose à des amendes. En Inde, par exemple 18 des 28 entreprises ayant proposé des projets d’énergie solaire ont reçu des amendes totalisant 20 % de la valeur du projet et cinq d’entre elles, des amendes additionnelles de 40 %. Ceci augmente la perception de risque entourant les énergies renouvelables.
En somme, la baisse des coûts des renouvelables ne les a pas rendues réellement plus désirables pour les entreprises du secteur énergétique. Dans les faits, le coût élevé des investissements et leur faible rentabilité se sont traduits par la chute des profits et de la valeur des entreprises. En 2008, les 20 plus grands producteurs d’énergie avaient une valeur combinée de 1000 milliards d’euros. En 2014, celle-ci avait chuté de moitié. Depuis 2008, les producteurs d’électricité constituent le secteur économique le moins performant au monde, selon l’indice du prix mondial des actions de Morgan Stanley.

Le retour du secteur public?
Il est peu probable que ces problèmes structurels se règlent simplement par des mesures réduisant la valeur des investissements pétroliers. Le TUED met d’ailleurs en garde les partisans du mouvement de désinvestissement : l’argent retiré du secteur des énergies fossiles ne sera pas réorienté vers les énergies renouvelables tant qu’elles sont considérées comme risquées et de faible rapport.
Le TUED considère plutôt que le niveau d’investissement nécessaire est impossible à atteindre dans un régime dominé par des entreprises motivées par le seul profit. Il propose plutôt des investissements massifs de l’État dans un cadre public. Cette mesure s’imposera d’autant plus que l’ère des faibles taux d’intérêt semble toucher à sa fin, ce qui réduira la disponibilité du capital privé. Les auteurs du rapport reconnaissent qu’une politique publique dynamique heurtera certaines libertés économiques et que la résistance du secteur privé risque de mettre à l’épreuve les institutions démocratiques.
L’étude critique au passage le rôle des organisations non gouvernementales qui misent actuellement sur un rôle accru des entreprises privées, sans tenir compte des obstacles structurels auxquels elles font face. Le TUED suggère aux ONG d’abandonner ce cadre d’analyse et de faire plus de place au secteur public dans leurs réflexions.
Irréaliste? Les auteurs rappellent que dans le passé, la plus grande partie des énergies renouvelables a été développée par le secteur public ou des organismes sans but lucratif, pas par le secteur privé. Le retour à la propriété publique serait à leur avis plus juste et plus efficace que tenter de créer des mesures incitatives dans le cadre d’un marché qui a démontré qu’il était dysfonctionnel.

Sources :
Trade Unions for Energy Democracy, Preparing a Public Pathway : Confronting the Investment Crisis in Renewable Energy (PDF, 76 pages)


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