Le plan tout renouvelable de l’ ADEME contesté

Dominique Finon,
directeur de recherche émérite au Cnrs, économiste (avec l’aide de Sylvestre Huet pour la rédaction)


 


Mettez des éoliennes et des panneaux photovoltaïques partout et vous aurez un jus pas cher. Et surtout moins cher qu’avec du nucléaire.  
Voilà, en résumé lapidaire, le message délivré le 18 décembre dernier par l’Ademe, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Dans un document, Trajectoires d’évolution du mix électrique 2020-2060, présenté comme une étude technico-économique réalisée selon les meilleurs standards scientifiques. Et dont les résultats seraient sans appel. Mais une analyse d’économiste spécialisé en énergie sur ce document est sévère : il relève d’une tentative de manipulation de l’opinion publique et ne peut pas convaincre un auditoire instruit des méthodes économiques utilisées par les auteurs.

Sa présentation au grand public par David Marchal, Directeur adjoint « Productions et énergies durables » l’Ademe , assène que «la place très prépondérante des ENR dans le système électrique français est sans appel (…) et le nucléaire de nouvelle génération (type EPR) n’apparaît pas compétitif». Une affirmation qui reposerait sur un outil de calcul économique très sophistiqué, permettant d’étudier l’optimisation de l’évolution d’un système électrique appliqué au cas français et non sur un choix volontaire posant l’objectif a priori. L’ennui, c’est que ce type d’outil, des modèles comparables au modèle Crystal Super Grid d’ Artelys utilisé par l’équipe de l’Ademe, a déjà été utilisé par d’autres équipes – avec des hypothèses de coûts similaires pour les ENR et le nucléaire et une simulation où les ENR doivent se déployer dans un marché normal, sans subventions publiques massives. Des équipes variées, en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis ont publié leurs résultats ces dernières années (1). Or, elles trouvent toutes des résultats très différents de l’équipe de l’Ademe. Il faut donc justifier un tel écart, pour le moins surprenant.

La valeur économique de l’électricité 

 

La production d’électricité éolienne est par nature erratique, avec des variations brutales et rapides, comme le montre cet exemple pour la France, un mois d’octobre donc une période plutôt favorable. Source RTE

En effet, dans toutes ces autres simulations, si les ENRv (ou dite à apports variables, ou intermittentes, le vent et le soleil) ne parviennent pas à évincer le nucléaire, c’est que la valeur économique réelle de l’électricité qu’elles produisent ne supporte pas la compétition. La raison principale ? Elle provient d’un phénomène intuitif : puisque cette électricité varie en fonction des variations naturelles des vents et du Soleil, elles ne suivent pas celles de la demande. Or, la valeur économique de l’électricité est justement déterminée par cette dernière. Si vous avez trop de jus à vendre par rapport à la demande, comme vous ne pouvez le stocker, vous devez le brader. A l’inverse si vous avez un moyen de production pilotable, pouvoir répondre à la demande vous permet de le vendre très cher lorsqu’il est nécessaire et sans compétiteurs.

Cette baisse de la valeur de l’électricité produite peut devenir vertigineuse, à l’instar des ces moments où les éoliennes allemandes produisent plus d’électricité que la demande et où le prix en devient… négatif sur les marché de gros européens. Quand les capacités installées en éoliennes et en PV dépassent la puissance demandée en pointe les prix du marché deviennent nuls lorsque les productions ENRv mises sur le marché sont supérieures à la demande. Or, dans le modèle de l’Ademe, on compte in fine 95 GW d’éolien et 80 GW de PV en face d’une demande de pointe de 100 à 110 GW pour la France (le maximum historique est à 102 GW). 



Le prix de l’électricité peut déjà devenir négatifs sur le Spot car les exploitants allemands rechignent à stopper puis redémarrer les centrales à charbon lors des pics de vent

Ce phénomène n’a rien d’une pure théorie, les énormes surcapacités allemandes actuelles – près de 200 GW de puissance installée contre 130 en France – se sont déjà traduits par des prix négatifs, les exploitants préférant « vendre » l’électricité des centrales à charbon à un prix négatif plutôt que d’assumer le coût d’un arrêt suivit d’un redémarrage. On le retrouve dans les études réalisées avec des modèles similaires à celui de l’Ademe. Dans le modèle de l’ AEN-OCDE (Commetto et Keppler, 2018), les prix sont nuls pendant 1000h/an quand la part de production d’ ENRv atteint des 50%, et de 3000 à 3800h/an avec 80% de production d’ ENRv – une année, c’est 8 760 heures. C’est cette perte totale de la valeur économique de ces surplus qui explique l’arrêt des investissements en ENRv quand leur part dans la production totale atteint un certain seuil.



Le mix électrique allemand en 2018. A noter que les 13,3% de nucléaire pilotable (et décarboné) vont disparaître d’ici 2022

Soulignons qu’en Allemagne, malgré près de 300 milliards investis dans les ENR, la part de l’éolien n’était encore en 2018 que d’environ 20% et de 8% pour le solaire.

Dans ces exercices, différents moyens viennent diminuer le phénomène, comme une plus grande flexibilité de la demande ou des moyens de stockage de l’électricité ou de l’énergie transformable en électricité. Mais ils ne font qu’atténuer le problème.

C’est pourquoi ces simulations aboutissent à des résultats en termes de systèmes où si on ne subventionne pas massivement les ENRv – notamment par l’obligation d’achat à un tarif avantageux et la priorité sur le réseau – ces dernières plafonnent à des parts limitées de la production. A l’inverse lorsque l’on introduit des subventions, les ENRv peuvent monter à 80% de la production, mais pour un surcoût croissant avec cette part. Par contraste, dans les 6 scénarios optimisés de l’Ademe sans forçage du développement de presque toutes les ENRv et du nouveau nucléaire et où les ENRv atteignent 85% de part de production en 2050, le coût moyen de production du système tend à diminuer au fur et à mesure du développement des ENR «par le marché», ce qui ne manque pas de laisser interrogatif.

Comment est-ce possible ?

Hypothèses héroïques
Les résultats surprenant de l’Ademe s’expliquent par des hypothèses «héroïques» sur nombre d’éléments du système électrique, sans que soit testée l’influence de ces hypothèses sur les résultats, ce qu’une démarche rigoureuse commanderait de faire, et que que les exercices précités font. En résumé, tout est fait pour que soit maintenue et rehaussée la valeur économique des productions variables des ENRv au fur et à mesure de leur développement, alors que cette valeur plonge à partir de 30-40 % de parts de marché dans les autres modèles sans ces hypothèses outrées. Quelles sont elles ? En voici les principales :

Presque toutes les consommations sont supposées être asservies à la variabilité des productions des éoliennes et des installations photovoltaïques développées à grande échelle. Toutes les consommations d’eau chaude sanitaire, 75% du chauffage électrique, 38 à 56% des produits blancs (électroménager…), 50% des usages industriels (!), 80% des recharges des véhicules électriques sont « effaçables » selon ces hypothèses. Elles seront toutes sous le commandement du gestionnaire du système, qui, tel Big Brother décidera quand on pourra consommer. Tout ceci est supposé pouvoir se développer sans problèmes d’acceptation sociale ; tant pis pour les résistances qui se dessinent déjà et dont on voit déjà les prémisses avec le déploiement des compteurs Linky.
Ces hypothèses conduiraient à une puissance effaçable de 60 GW ! Alors que RTE et la société spécialisée E.Cube estiment le potentiel de demande pilotable grâce aux smart grids à 9,3 GW, et celui pilotable dans l’industrie de 4,5 à 6,5 GW. De plus l’accès à ces gisements est coûteux, 10-20€/kW. Enfin, les profils techniques de ces effacements en temps réel, sur quelques minutes à quelques heures, sont loin de correspondre à ce qui serait nécessaire pour compenser la variabilité des ENRv à très grande échelle.

L’ Ademe fait l’hypothèse d’un triplement des interconnexions (de 12 à 36 GW) avec des systèmes étrangers lesquels évoluent comme par magie pour servir les besoins français tant en exportations qu’en importations. Nos voisins se dotent de capacités de stockage énormes, et leurs productions sont miraculeusement là en cas de besoin et pas là lorsque nous pouvons exporter. Ces complémentarités ne reposent que sur des hypothèses arbitraires favorables.

L’ Ademe suppose un développement téléguidé d’usages plutôt baroques de l’électricité pour absorber les surplus de production des équipements d’ ENRv… Production de chaleur industrielle par des pompes à chaleur, production d’hydrogène par électrolyse… L’électricité des surplus de production des ENRv trouverait ainsi de nouveaux débouchés malgré le caractère erratique de ces surplus. S’y ajoute la méthanisation de l’hydrogène pour produire du méthane injecté dans le système gazier en concurrence avec le gaz naturel. Or, la plupart des experts estiment que la succession de transformations de vecteurs énergétiques conduit à un bilan économique négatif, et au risque d’émissions de CO2 supplémentaires.

Calculs économiques
Ces hypothèses peu crédibles se doublent d’un calcul économique douteux qui néglige une donnée fondamentale : du fait de la variabilité de leur production, la valeur économique des EnRv qui en découle peut s’écarter fortement de son prix de revient. Se référer au seul prix de revient du MWh pour les éoliennes (la fameuse « parité réseau »), pour affirmer que ces techniques sont compétitives, revient à supposer qu’elles fonctionnent à pleine puissance pendant 2500h et surtout que chaque MWh produit a la même valeur économique. Or, elles fonctionnent le plus souvent à régime faible ou moyen et très peu à plein puissance sur l’année. De plus le MWh produit par une éolienne à une heure donnée a une valeur différente de celle du MWh d’une autre heure. Cette valeur se fixe sur le coût variable de la première centrale conventionnelle qui ne sera plus appelée par le marché horaire et à laquelle les productions d’équipement EnRv se substitue temporairement. Comme les productions éoliennes sont largement corrélées entre elles à l’échelle de la France, plus le vent souffle, et plus les MWhs éoliens produits pendant ces heures ont une valeur moindre puisqu’ils finissent par repousser l’appel aux équipements conventionnels les moins coûteux.
En résumé, plus vous implantez d’éoliennes et plus la valeur économique de leur production va diminuer. C’est ainsi que, dans les modèles d’optimisation qui simulent le développement des ENRv uniquement par le marché, leur développement s’arrête autour de 10-15% de parts de production. Dès lors que l’on va au delà, et surtout si l’on atteint les 80% d’ ENRv dans la production, les coûts grimpent pour une raison simple et intuitive : il faut bien payer les investissements et l’exploitation des moyens pilotables ou de stockage dont la seule fonction (non rentable) est d’intervenir pour sauver le système électrique lorsque vent et/ou soleil font défaut, ce qui survient nécessairement. C’est bien pourquoi l’Ademe fait des « hypothèses héroïques » sur ce qui pourrait contrebalancer ce phénomène (flexibilité gigantesque, import/export miraculeusement aligné sur les besoins et surplus…) afin de « sauver » le soldat ENRv dominant le système électrique.

Parmi les « résultats » de l’étude de l’Ademe, l’un au moins suscite le sourire : lorsqu’il est recommandé de fermer les réacteurs nucléaires actuels plus vite car leur trop bas coût de production d’électricité gène le déploiement des ENRv, handicapées par ce concurrent trop efficace.

Comme le recommande le sociologue Raymond Boudon pour nous protéger des «idées fausses, fragiles ou douteuses» construites sur des raisonnements apparemment justes, il faut nous défier des prémisses implicites à base idéologique qu’il s’agit de mettre à jour. 


(1) Cometto et Keppler, 2015 et 2018 ; NEA, 2018 à l’OCDE, Sisternes et al., 2016 ; au MIT, 2018, Hirth, 2016 à l’Institut de recherche économique à Berlin, Villavicencio et Finon pour la chaire Marchés Électriques de l’Université Dauphine en 2018,



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