Les zones humides doivent être protégées, alertent deux parlementaires

Lorène Lavocat (Reporterre)
02/02/2019


Commentaire :  Reporterre dénonce à juste titre ce scandale pour la Biodiversité. Mais,il se garde bien de citer les éoliennes, les méthaniseurs et autres panneaux photovoltaïques comme cause réelle et sérieuse de leur artificialisation. Les dogmes ont la vie dure!


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En plus d’être des réservoirs de biodiversité, les zones humides tempèrent les sécheresses et les inondations. Pourtant, elles sont en grand danger d’artificialisation. Alors que se déroule ce samedi la Journée mondiale des zones humides, Reporterre revient les propositions ambitieuses de deux parlementaires pour enrayer la tendance.

Au XVIIIe siècle, on nommait « maraîchers » ces jardiniers qui cultivaient des légumes dans les marais, là où l’eau était abondante et les sols riches. Plus loin encore de nous, les hommes du début du Néolithique ont inventé l’agriculture en Mésopotamie, littéralement « la terre entre les fleuves ». C’est dire combien l’histoire de l’humanité se trouve liée aux zones humides.

Pourtant étangs, mares, tourbières, mangroves ou prairies humides ont été affligés pendant plus de 2.000 ans des pires malédictions, répulsions et craintes. Dénigrées, ces zones marécageuses ont ainsi été dévastées : il fallait les assécher, les maîtriser à tout prix. Tant et si bien que, selon une étude du Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), 87 % des ressources issues des zones humides ont été perdues depuis le début du XVIIIe siècle à l’échelle mondiale. Et la tendance n’est pas au ralentissement : elles ont perdu 35 % de leur surface entre 1970 et 2015 — soit un rythme trois fois supérieur à celui de la déforestation.

Dès 1994, le rapport du préfet Bernard estimait que plus des deux tiers des zones humides avaient disparu depuis le début du XXe siècle dans notre pays. Et d’après une évaluation réalisée de 2010 à 2012 sur 206 zones humides de métropole et d’outre-mer, près de la moitié continuaient de se dégrader, et avec elles, la biodiversité exceptionnelle qu’elles abritent. En France, 30 % des espèces végétales remarquables et menacées vivent dans les milieux humides et environ la moitié des espèces d’oiseaux en dépendent. Sans oublier les grenouilles, les libellules, et nombre de poissons. 


« Ces zones vues comme saumâtres et maléfiques sont des atouts précieux pour l’avenir »
« La dégradation reste galopante, et on en connaît les causes, que sont principalement l’artificialisation et le drainage. Il est donc urgent d’agir », affirme Frédérique Tuffnell. Avec le sénateur Jérôme Bignon (Les Indépendants – République et territoires), la députée En marche de Charente-Maritime a remis, lundi 28 janvier, un rapport intitulé « Terres d’eau, terres d’avenir », au ministre de la Transition écologique, François de Rugy. Ce rapport, que Reporterre a pu consulter, devrait être prochainement publié.

En août dernier, les deux parlementaires avaient donc été chargés par le gouvernement de dresser une liste de propositions « pour une politique de restauration et de valorisation ambitieuse et globale en faveur de ces milieux et de leurs territoires », comme l’indiquait la lettre de mission signée d’Édouard Philippe, le Premier ministre.



Des pâturages des barthes de l’Adour, à Saint-Vincent-de-Paul (Landes). Du gascon « barta » (« broussailles dans un bas-fond humide »), les barthes sont les prairies marécageuses du fleuve Adour

Pourquoi ces zones humides longtemps délaissées suscitent-elles aujourd’hui l’intérêt des décideurs ? « Elles nous rendent énormément de services, notamment pour faire face au changement climatique », répond Mme Tuffnell. Pour capter le carbone, les zones humides sont en effet au moins aussi efficaces que la forêt. Les tourbières, qui représentent à peine 3 % des terres émergées, stockent environ 30 % de la totalité du carbone des sols mondiaux. Les mangroves d’outre-mer séquestrent 2 à 5 fois plus de carbone, à superficie équivalente, que la forêt tropicale. Les prairies naturelles humides ont une capacité de stockage presque deux fois supérieure à celle d’une terre labourée.

Non contentes de séquestrer du CO2, elles jouent un rôle d’éponge salvateur lors des inondations. « En décembre 1999, lors de la tempête Martin, la concomitance d’un fort coefficient de marée, de la force exceptionnelle du vent et de son orientation au nord-ouest aurait pu provoquer à Bordeaux une inondation catastrophique si les marais de l’estuaire de la Gironde n’avaient pas joué leur rôle de ralentisseur du flux, écrivent les parlementaires dans le rapport. À l’inverse, en février 2010, à La Faute-sur-Mer (Vendée), les lotissements avaient été imprudemment bâtis à la place d’anciennes prairies naturelles séparées de l’océan par un fragile cordon dunaire. »

Les super pouvoirs des terres d’eau ne s’arrêtent pas là. « Quand la chaleur et le soleil assèchent les cours d’eau, les zones humides vont lentement libérer leurs eaux, explique France Nature Environnement dans un document explicatif sur le sujet. Elles vont alors alimenter les nappes souterraines et les cours d’eau. »

« Il faut donc changer notre vision, car ces zones vues comme saumâtres et maléfiques sont des atouts précieux pour l’avenir, affirme Mme Tuffnell. À condition de les préserver et de les restaurer. » Pour ce faire, les deux parlementaires proposent des évolutions substantielles de la législation et de la fiscalité. À commencer par une redéfinition claire de ce qu’est une zone humide. « Jusqu’à présent, les juges se sont fondés sur deux critères qui caractérisent les zones humides, la présence d’eau et de plantes hydrophiles, qui doivent être cumulatifs, explique la députée. Dans la réalité, on a des zones qui s’assèchent l’été, ou qui n’ont pas de plantes. » Or, si la zone en question n’est pas considérée comme humide, il est facile de la remblayer ou de l’urbaniser. Une destruction irréversible, tant il est complexe de reconstituer un milieu souvent multiséculaire.

« Il faut repenser la ville de façon à garder ces zones, et construire différemment »

Les deux rapporteurs proposent donc de définir les terres d’eau comme « des territoires ou parties de territoires naturels ou artificiels, exploités ou non, marqués par la présence permanente ou temporaire d’eau, stagnante ou à faible débit, douce, saumâtre ou salée, tels que marais, lagunes, étangs, mares, tourbières, vasières, mangroves, y compris les étendues d’eau terrestres dont la profondeur moyenne n’excède pas deux mètres, et d’eau marine dont la profondeur à marée basse n’excède pas six mètres. »

Autre changement proposé dans le rapport, « ajouter au code de l’urbanisme une disposition pour permettre ou, le cas échéant, rendre obligatoire (...) l’identification des zones humides à l’échelle parcellaire ». Autrement dit, cartographier et inscrire les zones humides dans les plans locaux d’urbanisme, afin d’en éviter, ou au moins d’en réglementer, l’urbanisation. « À La Rochelle, le marais de Tasdon, autrefois menacé par la construction d’un centre commercial, accueille des oiseaux et de nombreux promeneurs, raconte Mme Tuffnell. Il faut repenser la ville de façon à garder ces zones, et construire différemment. » De même, les prairies humides de Notre-Dame-des-Landes ont bien failli finir englouties par un aéroport.


Le marais de Tasdon, à La Rochelle

À ces dispositions réglementaires s’ajoutent l’idée d’appel à « projets terres d’eau ». À l’instar des projets de territoire développés autour des retenues d’eau, ils devraient mettre tous les acteurs autour de la table pour préserver ces milieux fragiles. Toutefois, comme l’avait raconté Reporterre, ces dispositifs se sont révélés bien souvent inefficients, du fait d’une trop grande conflictualité entre acteurs locaux. Mais Mme Tuffnell préfère voir le verre à moitié plein. « Dans les basses vallées angevines, là où la Mayenne, la Sarthe et le Loir se rejoignent pour former le Maine, la Ligue de protection des oiseaux, la chambre d’agriculture et l’intercommunalité travaillent ensemble pour conserver des terres de pâture qui servent également de zones tampons en cas de crues, illustre-t-elle. Écolos, élus et agriculteurs s’entendent depuis une vingtaine d’années. » 


Reste à savoir ce que le gouvernement fera de cet ambitieux rapport

Afin de financer toutes leurs idées, les parlementaires ont trouvé une solution en trois lettres : PSE, pour « paiement pour service environnemental ». « Les pourvoyeurs de services environnementaux [agriculteurs notamment] devraient être rémunérés en considération de leur participation au maintien des fonctionnalités des territoires au bénéfice desquels ils déploient leurs activités », peut-on lire dans le rapport. Ces PSE prendraient la forme de contrat, avec des obligations (l’entretien des habitats) et des interdictions (l’épandage de pesticides). « Ils pourraient être financés par la prochaine politique agricole commune (PAC), mais aussi par les Agences de l’eau, les collectivités locales », détaille Mme Tuffnell. Pas certain pour autant que les Agences et les collectivités, aux budgets déjà exsangues, aient les moyens de tels financements. Quant au virage agroécologique de la politique agricole commune, il semble pour le moment mal emprunté. 




Confluence de la Sarthe (en arrière plan) et de la Mayenne (à gauche, premier plan) pour former la Maine (à droite)

Enfin, le rapport esquisse une évolution de la fiscalité, d’un côté en taxant plus les activités destructrices telles que l’artificialisation et l’assèchement, et de l’autre par des baisses d’impôt ou des exonérations pour la préservation de ces espaces. « Les zones humides sont davantage taxées que les forêts, alors qu’elles stockent deux fois plus de carbone », soutient l’élue de Charente-Maritime.

Reste à savoir ce que le gouvernement fera de cet ambitieux rapport. Dans un communiqué publié à la suite de la remise de l’étude, le ministère de la Transition écologique a retenu « la cartographie de ces zones, le renforcement de la territorialisation de leur gestion, ainsi que la recommandation de faire des terres d’eau des zones prioritaires pour l’expérimentation des paiements pour services environnementaux ». Ces dispositions devraient s’inscrire dans le cadre des assises de l’eau et du plan biodiversité lancé en juillet dernier. De leur côté, Mme Tuffnell et M. Bignon se sont engagés à porter une proposition de loi sur la définition des zones humides et à peser en faveur d’une fiscalité plus favorable lors des prochaines discussions budgétaires, en automne 2019. 


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