Les rêves agricoles de Nicolas Sarkozy sont nos cauchemars

Gaspard d’Allens 

26 mars 2016 

  


    
Dans un discours relayé en vidéo, le président de Les Républicains a critiqué l’agroécologie avec des mots d’une bêtise confondante. Il est au service du productivisme qui ruine les campagnes, dit Gaspard d’Allens, alors qu’une autre agriculture prend forme.
Gaspard d’Allens est coauteur, avec Lucile Leclair, du livre Les Néo-Paysans.

Les épaules qui bougent frénétiquement. Le phrasé lent mais vif. Nicolas Sarkozy a retrouvé du panache. Et il frappe fort ! Dans une vidéo diffusée en février dernier, l’auteur du célèbre « l’écologie, ça commence à bien faire » a réalisé l’exploit de caricaturer en quarante secondes aussi bien les paysans et l’agroécologie que les circuits courts. Un record d’efficacité et de bêtise.

« Quant à l’expression bizarre d’agroécologie, c’est le faux nez d’une véritable obsession pour la destruction de notre puissance agricole », dit-il, en introduction. Nicolas Sarkozy s’accroche aux vieilles idoles. La puissance que l’on fantasme, la croissance que l’on cherche « avec les dents ».

Ses rêves sont nos cauchemars. En attaquant l’agroécologie, il se fait le chantre de l’agriculture industrielle, qui ne produit plus de nourriture mais de la marchandise. De la matière première qui se cote en bourse et s’exporte. Qu’importe qu’elle n’ait plus de goût si elle augmente la balance commerciale ! Cette puissance économique n’est qu’une chimère. Prenons le temps d’y revenir. Cela durera plus de quarante secondes.
Signy, c’est un petit village, dans le Poitou, entouré de monocultures et de champs de céréales. Une histoire comme il y en a des milliers en France. Au début, les habitants ont cru au progrès : « De l’engrais, de la drogue, de l’engrais, de la drogue… Ça faisait des poireaux gros comme des poignets ! Ah ! ça oui, ils étaient beaux, les poireaux ! », raconte au micro d’Arte radio, une paysanne du coin.
Ils arrosaient le sol de produits chimiques en tenue de cosmonaute. Les commerciaux de Bayer disaient « qu’on pouvait en boire un verre ». Puis, la puissance de l’homme sur cette terre ingrate s’est évanouie. La réalité a éclaté au grand jour. À Signy, aujourd’hui, on ne compte plus le nombre de malades, « deux leucémies, un cancer du pancréas, un du poumon, un autre du rein, des ganglions… ». Le fatalisme plane sur le village. « On nous a dit qu’il fallait produire », résume un agriculteur retraité, lui-même souffrant.

La photo du béret, c’est l’arme de l’agrobusiness pour tromper le consommateur

La puissance agro-industrielle vantée par M. Sarkozy est un leurre. Un dopage artificiel, alors que la terre et ses travailleurs se meurent. Le système vit sous perfusion, dépendant des produits phytosanitaires et de l’énergie fossile. Les thuriféraires du progrès on cru gagner au sprint, ils perdent au marathon.
Car il n’y a pas de puissance sans résilience. On subit maintenant les conséquences sanitaires et environnementales du productivisme. Sarkozy a écrit récemment un livre, La France pour la vie, mais il prône des campagnes mortes, transformées en succursale de marché.
L’agroécologie dessine justement une autre voie. Elle oppose à la mondialisation libérale l’ancrage local et la relocalisation de notre économie. À la surmécanisation et aux connaissances venues d’en haut, les savoir-faire paysans empiriques. L’agroécologie défend l’autonomie au sein de sa ferme et la souveraineté alimentaire à l’échelle d’un pays. C’est un courant profond. Le réseau international Via Campesina compte ainsi 200 millions de paysans. Aujourd’hui, c’est l’agriculture paysanne qui nourrit le monde : 70 % de l’alimentation est le fait de petits paysans sur seulement 25 % des terres agricoles.
Mais Nicolas Sarkozy n’en a que faire. Il surenchérit dans le mépris : « Notre puissance agricole serait remplacée par la possibilité donnée aux bobos d’aller faire leurs courses à la ferme dans le cadre des circuits courts. Et pendant qu’on y est, on pourrait même toucher le béret et on aurait le droit, pour chaque produit acheté, de prendre une photo. »
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Nicolas Sarkozy au Salon de l’agriculture, en 2015.
Hallucinant ! Les premiers qui utilisent l’image nostalgique et champêtre du paysan, ce ne sont pas les bobos mais bien les industriels. Il suffit de jeter un coup œil sur l’étalage d’un supermarché. La photo du béret, c’est l’arme de l’agrobusiness pour tromper le consommateur. Une publicité mensongère pour continuer de nous faire croire à « l’ordre éternel des champs ».
L’agriculture biologique n’est pas un luxe. Si les classes aisées en bénéficient le plus, c’est parce que Nicolas Sarkozy et ses amis de la FNSEA la maintiennent dans une niche et verrouillent le modèle. Le Grenelle de l’environnement avait fixé l’objectif de 20 % de surface en bio d’ici à 2020 ; il ne sera pas atteint. Les outils pour une démocratisation du bio sont en permanence relégués, méprisés. Au Sénat, il y a une dizaine de jours, les sénateurs ont supprimé l’objectif de 20 % de produits bio en restauration collective. Le bio est cantonné à la marginalité alors qu’on subventionne largement les produits industriels nocifs.

Dans le modèle conventionnel, un tiers des agriculteurs sont obligés d’être pluriactifs 

Livrés à eux-mêmes, les acteurs de la filière se mobilisent et agissent au quotidien pour les classes populaires. Yves est maraîcher bio dans le Morbihan, il fournit régulièrement les Restos du cœur à Vannes, parce que « l’écologie, c’est social », dit-il. Fabrice et Sarah, dans les Vosges, distribuent leurs pains faits maison au Secours catholique. Certaines Amap ont aussi mis en place une péréquation des prix. Les familles plus aisées paient le panier de légumes 12 euros, les autres, en difficulté, 8 euros. Loin d’être un zoo, les circuits courts créent du lien entre la ville et la campagne et au sein du monde rural, qui se désertifie. Ils rompent avec l’isolement de certains agriculteurs, leur redonnent de la fierté et le bonheur de maitriser toute la chaine de production.
Nicolas Sarkozy conclut son propos avec une chute néolibérale : « Les agriculteurs ne sont pas des cantonniers, ce sont des entrepreneurs (…) Ils ne sont pas une espèce en voie de disparition. »
Sa persistance dans l’idéologie productiviste en devient risible. Lorsque l’on vend son lait en-dessous de ses coûts de production, lorsque son revenu dépend à 97 % des aides, il est difficile de se proclamer entrepreneur. Pour survivre dans le modèle conventionnel, un tiers des agriculteurs sont même obligés d’être pluriactifs. Ils travaillent dans les espaces verts, ils sont aussi parfois cantonniers…
La démarche de Sarkozy est symptomatique de l’attitude des dominants et de l’agro-industrie. Avec la crise agricole, la situation leur échappe complètement. De plus en plus d’agriculteurs se tournent vers des modèles agroécologiques, des filières de qualités, des circuits courts. Pour les rappeler à l’ordre, les partisans de l’agrobusiness caricaturent les alternatives.
Alors que de nombreux paysans tissent des liens avec les zadistes en Loire-Atlantique, Xavier Beulin menace de déloger les futures ZAD avec ses milices. Alors que la région Rhône-Alpes est pionnière dans l’agriculture biologique, Laurent Wauquiez fustige « le lobby écologiste » dans une lettre adressée aux agriculteurs. Ils se complaisent tous dans le déni, l’hypocrisie et la violence. Mais partout, leur vieux monde se craquelle. L’agroécologie est l’avenir.

- Les Néo-paysans de Gaspard d’Allens et Lucile Leclair, éditions du Seuil, 144 p., 12 euros.
Ce livre est édité en partenariat avec Reporterre.

Lire aussi : L’agro-écologie transformée en cheval de Troie de l’industrie
Source : Courriel à Reporterre
- Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction. 
- Titre, chapô et inters sont de la rédaction.
Dessin : © Red ! /Reporterre
Photo : 
Flickr (UMP photos/CC BY-NC-ND 2.0)

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