L’interconnexion électrique à tout prix en question

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L’avenir de l’interconnexion électrique européenne pourrait se décider à la frontière entre l’Allemagne et l’Autriche, où l’infrastructure risque ne de pas supporter les volumes échangés.

En décembre 2016, l’Agence européenne de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) a décrété que le marché intégré d’électricité entre l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg devait être divisé. Selon l’agence, les lignes à haute tension entre l’Allemagne et l’Autriche ne peuvent en effet pas supporter le volume d’énergie échangé.

E-Control, l’autorité autrichienne de réglementation du marché, dément vigoureusement cette allégation et a saisi l’organisme de recours de l’ACER, qui doit rendre un jugement d’ici le 17 mars.

Réalité physique
Le marché européen de l’électricité est divisé en un patchwork de marchés distincts, dans lesquels il n’existe théoriquement pas de plafond pour les échanges d’électricité entre un pays et un autre, à un prix uniforme.

Toutefois, la réalité physique des infrastructures ne permet pas toujours de suivre à la lettre les indications des concepteurs des marchés.

« S’il y a une industrie en Europe qui respecte le principe de libre-circulation, c’est bien l’électricité, qui va où elle veut », a souligné un spécialiste lors d’une réunion d’experts de la réglementation, à Bruxelles, le mois dernier.

Une réalité illustrée par l’électricité bon marché produite dans les parcs éoliens du nord de l’Allemagne, et achetée par des consommateurs du sud du pays et d’Autriche. Les infrastructures de réseau n’étant pas toujours à la hauteur de la demande, les courants électriques se frayent un chemin là où les capacités de transport sont disponibles.

Résultat : des flux de courant en boucle, comme, dans ce cas, un détour remarquable via les réseaux des voisins orientaux de l’Allemagne, comme la Pologne et la République tchèque. L’ACER estime que 59 % de l’électricité échangée entre l’Allemagne et l’Autriche ne passe en réalité pas par la frontière entre ces deux pays.

Perturbations
Au mieux, ces boucles perturbent les échanges en accaparant les capacités de transmissions entre d’autres zones. Au pire, elles peuvent déséquilibrer le réseau et même mener à des pénuries d’électricité. La querelle actuelle entre l’Autriche et l’ACER a été alimentée par les plaintes de la Pologne, de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Hongrie.

Même si l’entité d’appel de l’agence décide de soutenir la décision initiale d’une interruption du courant à la frontière Allemagne-Autriche, le problème à la source de la dispute n’aura pas disparu. « Une décision sur le marché entre l’Allemagne et l’Autriche ne remplacera pas la recherche d’une solution à la saturation interne importante du système allemand », a confirmé Miguel Arias Cañete, le commissaire européen à l’action climatique.

« D’un point de vue économique, diviser le marché a beaucoup de sens, cela aurait dû être fait il y a longtemps », estime Georg Zachmann, chercheur du groupe de réflexion Bruegel.

Plusieurs pays européens sont déjà divisés en plusieurs zones. Le marché norvégien compte ainsi cinq zones, le Danemark deux et l’Italie six. C’est la Commission européenne elle-même qui a ordonné une division du marché danois en quatre zones en 2011, après une enquête sur la concurrence.

Dans un rapport de 2015, l’Agence internationale de l’énergie a souligné un processus en cours en Europe : « [l’introduction de] davantage de marchés afin d’améliorer la représentation géographique des systèmes électriques utilisés par les marché énergétiques ».



«L’orchestration du marché de l’énergie doit prendre fin»

Si les dirigeants de l’UE pensent que les marchés ne peuvent pas fonctionner, alors il n’y a pas de raison d’avoir un prix du carbone pour encourager les énergies renouvelables. Le marché de l’énergie sera toujours « orchestré » par les gouvernements nationaux qui maintiennent les subventions aux combustibles fossiles, estime Hans Ten Berge.

Investissement
A la Commission, la DG dédiée à l’énergie ne semble pas vouloir aller dans cette direction. « Nous sommes tout à fait convaincus par les investissements dans les réseaux et nous estimons que ceux-ci seront nécessaires », a indiqué Jan Papsch, responsable de politiques à la DG Énergie.

« C’est pourquoi nous avons la réglementation RTE-T et le cadre PIC. Nous dépensons beaucoup d’argent européen là-dessus, et bien sûr il y a de grands investissements réalisés au niveau national », a-t-il ajouté lors d’une conférence sur l’énergie solaire le 7 mars.

De fait, entre 2014 et 2020, la Commission européenne a réservé 5,5 milliards d’euros de son Mécanisme pour l’interconnexion en Europe à des projets d’intérêt commun (PIC) dans le domaine de l’énergie. En février 2017, les États membres ont approuvé la proposition de l’exécutif européen de verser 707 millions d’euros de subventions à 18 projets, dont 40 millions pour l’installation de 700 kilomètres de câbles à haute tension entre le nord et le sud de l’Allemagne, une connexion baptisée SuedLink.

Ces 40 millions d’euros ne sont cependant qu’une goutte dans l’océan des coûts que devraient entrainer le plus grand projet d’infrastructure énergétique de l’Energiewende, la transition énergétique allemande.

Le budget prévisionnel de SuedLink aurait triplé l’an dernier pour atteindre 10 milliards d’euros. Ce succès est notamment lié au fait que le gouvernement a insisté pour que les lignes à haute tension, de quatre gigawatts, soient enterrées, suite à une vague de protestations populaires.

Le 8 mars, l’organisme allemand de réglementation, BNetzA, a annoncé avoir reçu des plans pour les réseaux de la ligne à haute tension et haut voltage et une seconde structure, SuedOstLink , de 2 gigawatts, vers la Bavière. Les deux projets seront à présent soumis à une consultation publique et ne devraient pas voir le jour avant 2025.

Il serait plus logique de produire de l’électricité directement en Bavière, mais l’organisation actuelle du marché encourage la distribution inefficace des capacités de production, assure Georg Zachmann. « S’il y a beaucoup de vent en mer du Nord, tout le monde y installe ses turbines, parce qu’ils en tireront le même prix qu’ils en auraient dans le Sud de l’Allemagne, où se trouve la demande », conclut-il.



L’UE peine à se donner les moyens d'une «électricité citoyenne»

Le « paquet hiver » dévoilé le 30 novembre par la Commission, a pour objectif de faciliter la production d’électricité locale et domestique. Bien des obstacles n’ont cependant pas été levés par l’exécutif.

Connexions manquantes
Si l’Allemagne est donc un bon exemple de ce qui se passe quand un marché dispose de trop peu de capacités de transmission, la péninsule ibérique illustre les désavantages liés au manque de lignes reliant les différents marchés. Elle met ainsi en lumière le fait que les éleveurs de rennes de Laponie ne peuvent pas se chauffer grâce à l’énergie solaire andalouse, contrairement à ce que voudrait la Commission.

Lors d’un événement à Bruxelles, Martin Lidegaard, eurodéputé danois et ancien ministre à l’Environnement, a estimé que son pays avait bien fait de miser gros sur les renouvelables alors que pour d’autres, comme l’Espagne, l’aventure s’était révélée coûteuse. « Pourquoi ? Parce qu’ils [les Espagnols] n’avaient pas les infrastructure d’interconnexion nécessaires à la vente de leur surplus électrique », explique-t-il.

Le secrétaire d’État portugais à l’Énergie, Jorge Seguro Sanches, a même jugé que le paquet pour l’énergie propre proposé par le Commission mettait la charrue avant les bœufs. « Les nouveaux objectifs pour les renouvelables et l’efficacité énergétique pour 2030 devraient être liés à la réalisation des objectifs d’interconnexion », a-t-il assuré lors d’un sommet européen en février.

Pendant ce temps, les acteurs du marché attendent la séparation apparemment inévitable de l’Autriche et du plus grand marché énergétique d’Europe. BNetzA a déjà demandé aux quatre gestionnaires des systèmes transmission à haut voltage de préparer la division pour juillet 2018.



L'Union de l'énergie vise une interconnexion de 10 % pour l'électricité

L’Union de l’Energie vise un objectif de 10 % d’interconnexion pour les réseaux électriques. Un voeu pieux qui va parfois à l’encontre des stratégies nationales.

Cette séparation est loin d’enchanter les fournisseurs d’énergie. Des volumes importants d’électricité ont en effet déjà été commandés pour 2018 et 2019, selon le régulateur autrichien.

EPEX Spot, la plateforme d’échange par laquelle passent les livraisons traversant la frontière Allemagne-Autriche, estime à 100 millions d’euros par an la séparation des deux marchés énergétiques. « Un tel impact financier pourrait aussi se refléter sur les prix payés par les consommateurs finaux », avertit son directeur des affaires publiques et réglementaires, Wolfram Vogel.

« La structure actuelle fonctionne bien », ajoute-t-il en référence au couplage des marchés. Ce processus fait appel à un système complexe, fondé sur des algorithmes, pour relier les marchés spot (marché à un jour) qui représentent 85 % de l’électricité consommée en Europe. Les prix se sont alignés dans les différents marchés, et là où ils ne s’alignent pas, cela montre un besoin d’investissement dans les réseaux, estime Wolfram Vogel.

Quelle que soit la décision prise au terme du recours, la Commission insiste : l’organisation qui en ressortira ne durera que jusqu’à ce que le gestionnaire de système de transmission Entso-E finisse une évaluation en profondeur de la zone de marché. Les conclusions d’Entso-E, auxquelles l’Allemagne a déjà promis de se soumettre, devraient être publiées en mars 2018.

C’est ce rapport qui déterminera si la réinstauration d’une frontière énergétique entre l’Autriche et l’Allemagne fait réellement partie d’un « processus » perçu par l’AIE ou d’un recul temporaire dans la course à un marché unique de l’électricité.

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