Pourrait-on alimenter la France en électricité uniquement avec de l’éolien ?

https://jancovici.com
Jean-Marc Jancovici
01/07/2014

Commentaire: Comme d'habitude chez M Jancovici, c'est clair, net et précis et ... pédagogue. Pourtant, nos gouvernants (es) et une majorité de nos élus (es) persistent et signent dans le massacre éolien de nos vies.
De quoi la classe politique française est-elle le nom?
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Le propre des calculs de coin de table, c’est qu’ils aident à fixer des ordres de grandeur, même quand il n’ont pas vocation à s’appliquer à la réalité. Le calcul qui suit est évidemment réalisé dans cet esprit, puisque personne ou presque n’envisage de recourir uniquement à l’éolien pour alimenter un réseau électrique.

Mais comme ce mode de production électrique est souvent présenté comme idéal, à tel point qu’il n’y a quasiment pas une publication sur le « développement durable » qui ne comporte une éolienne en page de couverture, il m’a paru intéressant de faire quelques additions et multiplications liées au potentiel de cette source de production électrique (laquelle électricité représente 40% de la consommation d’énergie primaire dans le monde, donc il reste quelques bricoles à côté !). Et l’exercice auquel je me suis livré ici est de voir ce que cela signifie de « pousser cette production à son maximum ».


Fonctionnement d’un parc éolien
L’énergie électrique fournie par une éolienne est fortement variable au cours du temps. En effet, une éolienne ne délivre sa puissance maximale (dite encore puissance nominale) que dans une fourchette de vitesses de vent assez restreinte : trop lent, le vent n’entraîne pas les pales assez vite, trop rapide, il les entraînerait trop vite et il faut réduire la vitesse de rotation (en faisant pivoter les pales) pour éviter des perturbations aérodynamiques en bout de pale.

Pour une éolienne de 175 kW de puissance nominale le tableau ci-dessous donne la puissance effective en fonction de la vitesse du vent. Une puissance nominale 10 fois plus importante ne change pas grand chose au à la manière dont la puissance fournie varie avec le vent (ou encore le % de la puissance installée en fonction du vent).

Vitesse du vent (m/s) 810121416182022pour info : en km/h 28,8 36 43,2 50,4 57,6 64,8 72 79,2
pour info : en nœuds 15,6 19,4 23,4 27,2 31,1 35 38,9 42,8
pour info : en force Beaufort 4 5 6 7 7 8 8 9
Puissance délivrée (kW) 30 60 115 175 180 172 168 165
% de la puissance installée 17% 34% 66% 100% 103% 98% 96% 94%


Voici, pour une autre éolienne (Jeumont 750 kW) la courbe de puissance délivrée en fonction de la vitesse du vent :


Les éoliennes modernes ont certes des puissances unitaires qui peuvent aller jusqu’à plusieurs MW sur terre ou en mer, mais cela ne change pas la manière dont la puissance est délivrée en fonction de la vitesse du vent. Or, cela semblera peut-être une évidence, le vent n’est constant ni en force ni en direction (ce deuxième point n’est pas sans importance car dans les champs d’éoliennes ces dernières ne sont pas placées aux sommets d’un maillage carré mais d’un maillage rectangulaire, le grand côté de la maille devant être dans le lit du vent dominant).

On donne l’exemple ci-dessous de deux roses des vents pour des sites littoraux, donc particulièrement favorables a priori.



A gauche : Distribution des vents à l’Ile de Batz (Bretagne Nord).
A droite : Distribution des vents au Cap Camarrat (Littoral méditerranéen).

Une rose est représentée sur un fond de cercles gradués, qui représentent la probabilité d’avoir du vent d’une force et d’une orientation donnée. Chaque cercle représente 2% de probabilité.

Par exemple, à Batz, la probabilité d’avoir du vent venant du Nord (cap 360) est de 2% environ, celle d’avoir du vent venant d’ouest + ou – 10° est de 30% (14% pour le 260 et 16% pour le 280).

Par ailleurs, l’épaisseur et la couleur du trait représentent la force Beaufort :
1 à 4 : bleu ;
5 à 7 : vert ;
8 à 9 : rouge ;
10 et plus : noir.

A Batz, par exemple, la probabilité d’avoir un vent de force 4 ou inférieure venant du 240 est donc de 6% ; celle d’avoir un vent venant du 240 de force 5 à 7 est d’un peu plus de 2%.

On voit immédiatement sur ces roses que le vent « tourne » et que sa force n’est pas régulière. En particulier, les occurrences de vent inférieures à 8 m/s (force 4, trait bleu) sont loin d’être négligeables, et l’on voit que la force 7, à partir de laquelle notre éolienne ci-dessus donne sa pleine puissance, souffle bien moins de 50% du temps.

En conséquence de vents qui sont rarement à la vitesse optimum, la puissance instantanée délivrée est rarement au maximum, et surtout varie assez fortement en fonction des conditions de vent, comme le montre le graphique ci-dessous.



Puissance moyenne sur 10 minutes délivrée par une « ferme » éolienne de 10 MW de puissance nominale (située en Grande-Bretagne), au cours du mois de janvier 1997.

L’observation montre alors que pour passer de la puissance nominale installée d’une éolienne (en W) à l’énergie fournie sur une année (en W.h) il faut multiplier par un coefficient qui, le plus souvent, est de l’ordre de 2.000 (alors qu’un fonctionnement à pleine puissance toute l’année conduirait à une multiplication par 8 760, soit le produit de 365 (jours) x 24 (heures)).

En d’autres termes, une éolienne produit autant d’électricité, pendant toute l’année, que si elle tournait à puissance maximum pendant 2000 heures environ. En pratique ce coefficient 2000 est dépassé pour les pays ayant un littoral bien venté, mais n’est pas atteint partout.



Coefficient pour 2013 (= nombre d’heures utiles) permettant de passer de la puissance installée à la production annuelle, pour divers pays ayant de l’éolien.
Calculs de l’auteur sur données BP Statistical Review, 2014 (la puissance installée est celle de fin d’année).

Le graphique ci-dessus montre que la moyenne mondiale, proche de la moyenne européenne, se situe à 2000 (il peut toutefois varier de quelques centaines d’heures d’une année sur l’autre). Cela signifie qu’une éolienne de 1 MW de puissance nominale fournira, en moyenne mondiale, 2 GWh (soit 1 MW x 2000 heures) sur l’année (pour l’heure l’essentiel de la puissance installée est à terre ; en mer le coefficient est plus élevé). Ce facteur est identique pour l’Europe dans son ensemble, mais bien plus faible pour le premier parc installé au monde (Chine, après ce sont les US puis l’Allemagne).

Par ailleurs on a noté que pour un champ d’éoliennes la puissance délivrée par unité de surface est en première approximation indépendante de la taille des éoliennes. En effet, des éoliennes plus puissantes sont aussi plus grandes et doivent être plus espacées pour que le vent soit efficace sur toutes les éoliennes (car l’écoulement immédiatement derrière une éolienne est perturbé).

Concrètement la densité de puissance nominale installée dans un champ d’éoliennes situé dans une zone favorable est de l’ordre de 10 MW par km², soit une production annuelle de l’ordre de 20 GW.h par km², quelque soit la taille des éoliennes concernées (en fait cela va de 7 à 12 MW par km², donc 10 est valable pour un calcul en ordre de grandeur).


L’éolien est-il une solution significative pour concourir à notre approvisionnement énergétique ?
En partant de ce constat, quelle surface de zones favorables faudrait-il couvrir d’éoliennes pour produire en moyenne la consommation française d’électricité ? Il s’agit bien sur d’un exercice académique, mais qui sera illustratif pour cadrer le potentiel vraisemblable de cette forme de production d’électricité.

Production d’énergie
La consommation française d’électricité est de l’ordre de 500 TWh actuellement.
(1 TW.h = 1.000.000.000.000 W.h).



Évolution de la production d’électricité en France, en TWh.
En enlevant l’exportation et les pertes d’acheminement,, la consommation vaut de 450 à 500 TWh.
Source : BP Statistical Review, 2014

Pour fournir 500 TW.h (soit 500.000 GW.h) avec des éoliennes fournissant 20 GW.h par km², il faudrait « planter » une surface favorable de :
490.000 ÷ 20 ≈ 25.000 km²

Soit environ 5% du territoire métropolitain, ce qui représente à peu près la superficie actuellement occupée par les villes, les routes et les parkings, même si en fait les surfaces ne sont pas mobilisées en totalité et restent largement disponibles pour un autre usage (cultures notamment).

Il est bien évident que si le nombre d’heures « équivalent pleine puissance » n’est égal à 2000 que sur 1% du territoire, alors les calculs ci-dessous sous-estiment le nombre de machines à installer et la surface mobilisée, car une partie des éoliennes serait alors installée dans des endroits où l’énergie annuelle produite serait bien inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui, pour une éolienne de même puissance nominale bien sûr.

Avec des éoliennes de 2 MW de puissance nominale (qui font de l’ordre de 100 m de haut), fournissant donc environ 4 GWh par an en zone favorable, il en faudrait environ 125.000 éoliennes pour produire les 500 TWh mentionnées plus haut.

Stockage d’énergie
Mais comme le vent est intermittent, alors que la demande n’est pas dépendante du vent (personne n’entend avoir un frigidaire qui ne fonctionne pas les jours sans vent !), une électricité uniquement éolienne devrait pouvoir être stockée au moment où il y a du vent, puis restituée au moment où le consommateur entend être servi. Sous forme chimique, les possibilités de stockage sont l’utilisation d’un accumulateur (une « batterie ») ou la conversion en hydrogène, sous forme mécanique cela peut consister à remonter de l’eau dans un réservoir d’altitude (ce que fait déjà EDF).

Si toute l’énergie électrique du pays était éolienne, le stockage de l’électricité dans des batteries représenterait probablement des consommations de matériaux (et des problèmes d’environnement pour leur fabrication et leur fin de vie….) hors de proportion avec les moyens disponibles : dimensionner des accumulateurs pour stocker l’équivalent d’une semaine de production d’électricité (à raison de 1,5 TWh par jour en gros) demanderait la fabrication de 7 tonne(s) de batteries plomb-acide par Français (une telle batterie stocke environ 30 Wh par kg de poids).

Une solution probablement plus réaliste consiste à produire de l’hydrogène par électrolyse puis à la stocker afin de l’utiliser dans des piles à combustible lors des jours sans vent. Le rendement de l’électrolyse est de 80% au mieux, celui du stockage de l’hydrogène 80% au mieux également (il faut bien utiliser de l’énergie pour le comprimer !), et enfin les meilleurs piles ont des rendements de 80% en cogénération (ce qui revient à promouvoir le chauffage électrique alors que ce mode est présenté comme une hérésie aujourd’hui !) mais de 45% en production électrique seule.

Dans ce dernier cas, le rendement global de la chaîne est de 28%. Si nous supposons que la moitié de l’électricité éolienne est consommée lorsqu’elle est produite, mais que pour l’autre moitié il faut stocker, avec un rendement de 25%, alors il faut environ 300.000 éoliennes de 2 MW pour produire 500 TWh (soit 62.000 qui produisent sans stockage, et 240.000 qui produisent avec stockage, donc une fourniture utile divisée par 4, la même chose que 65.000 sans stockage, et on retrouve bien la production brute de 125.000 éoliennes au total).

Il est aussi envisageable d’utiliser des stations de pompage, sorte de « barrages réversibles », où l’eau, après avoir été turbinée, est récupérée et stockée dans une retenue aval, puis est ensuite remontée dans la retenue amont quand il y a du vent. Il y a en France environ 5 GW (un GW = un million de kW) de puissance installée en STEP, ayant stocké puis restitué environ 10 TWh d’électricité en 2012. Pour stocker puis restituer 250 TWh par an, nous voyons qu’un calcul au premier ordre suggère qu’il faut multiplier par 20 à 30 la capacité des STEP (ce calcul ne tient pas compte du fait que les STEP ne sont peut-être pas utilisées à plein actuellement, mais en tout état de cause il faudrait en rajouter pas mal !).

Un autre calcul de recoupement peut être fait : les barrages avec lac représentent un peu moins de 20 GW de capacité installée en France (et produisent actuellement de l’ordre de 40 TWh par an). Cela signifie qu’une capacité hydraulique pouvant alimenter la France entière un jour sans vent (si il n’y a plus ni nucléaire ni charbon ni gaz, évidemment, et si la puissance appelée reste du même ordre, soit 70 à 90 GW lors de la pointe quotidienne du soir en hiver) revient à multiplier la puissance des installations par 4 à 5 (pour que la puissance installée soit égale à la puissance maximale délivrée sur le réseau).

Toutes choses égales par ailleurs, cela reviendrait à multiplier le volume – donc la superficie – des lacs par 5 à 6, et, si ces barrages sont transformés en STEP , il faut y ajouter l’équivalent pour récupérer l’eau en aval. Il faut aussi renforcer un poil le réseau pour aller des éoliennes littorales aux Alpes… Bref n’avoir comme seul système électrique que des éoliennes et des STEP est assurément possible, mais pas facilement pour la quantité d’électricité consommée aujourd’hui !

Inégalité des vents sur le territoire 



Puissance moyenne du vent selon les zones, en W pour un m² de section verticale prise à 50 m du sol (perpendiculairement au sens du vent, bien sûr !).
Source : ADEME

En Allemagne, par exemple, ce coefficient était de 1870 en 2002 (pour une puissance installée de 12GW), et il est passé à moins de 1600 en 2009, pour une puissance installée de plus du double.

La société Espace Eolien Developpement avait établi à la fin des années 1990 une carte détaillant le potentiel « techniquement installable » d’énergie éolienne en France métropolitaine (ci-dessous), et ce potentiel ne montait qu’à 10% de notre production électrique actuelle.



Énergie éolienne techniquement installable en France Métropolitaine en 1998.
La lecture de cette carte montre déjà que, rien que pour avoir 10% d’électricité éolienne, il faudrait couvrir quasiment toutes les Cévennes, la Bretagne et la Normandie : ce n’est pas rien !
Source : Eolien Developpement

En plus, comme les vents moyens décroissent très vite dès que l’on s’éloigne des zones les plus favorables (crêtes ou littoral), un coefficient moyen « raisonnable » de 1500 (qui reste supérieur à celui constaté en Belgique) et un rendement de 30% pour le stockage obligeraient alors à couvrir près de 20% du pays, avec près de 1 million d’éoliennes. Il n’est pas dit que ce chiffre soit atteint un jour, par contre ce qui est certain c’est que pour le moment les implantations effectives ne sont pas faites d’abord dans les sites les plus ventés, ce qui montre que d’autres considérations interviennent.



Répartition par zone géographique des puissances éoliennes au 30 septembre 2009.
Cette répartition recoupe à peu près la carte des puissances moyenne du vent, mais pas tout à fait…
Source : Commissariat Général au Développement Durable, « Chiffres et Statistiques N° 77 » de novembre 2009.

Il est facile de déduire du petit calcul qui précède qu’un plan ambitieux de production d’électricité à base d’énergie éolienne (par ambitieux, il faut comprendre « qui ne soit pas ridicule comparé à notre consommation actuelle ») n’est pas nécessairement réaliste, quelle que soit l’échéance visée.

Le Danemark, champion toutes catégories de l’éolien dans le monde, fait entre 10% et 15% de son électricité par ce moyen en 2008 (car il exporte une partie de sa production, tout ce qui est produit au Danemark n’est pas consommé au Danemark), alors qu’il y consacre – sans mauvais jeu de mots – beaucoup d’énergie. Cet approvisionnement a représenté un peu plus de 1% de sa consommation totale d’énergie cette même année, et ce alors que la consommation d’énergie de ce pays a augmenté d’un peu plus d’1% par an sur la décennie 1990-1999, comme ce fut le cas en France sur la période 1960-2000.


L’éolien est-il une solution pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre ?
Attendu que de régler le problème du changement climatique nécessite de diviser la consommation d’énergie fossile mondiale par 2 à 4 aussi vite que possible, et, dans les pays développés, par 4 à 12 (soit une diminution de 75% à 92% !), nous voyons tout de suite que l’éolien, qui substitue en 2013 1% de cette même consommation, risque de rester un certain temps une marge de manœuvre marginale.

L’intermittence
Comme en outre stocker des quantités massives d’électricité n’est pas possible aujourd’hui, recourir à l’éolien « autant que possible » signifie, en pratique (et c’est bien comme cela que procède les pays très engagés) :
-que les éoliennes sont reliées au réseau, et fournissent de l’électricité quand il y a du vent,
-que, nécessairement, une autre forme de production d’électricité est utilisée les jours sans vent.

Supposons par exemple que nous souhaitions produire 20% à 25% de notre électricité avec de l’éolien couplé au réseau, sans stockage additionnel. Cela signifie que la capacité installée correspond à pas loin de la totalité de la puissance appelée du pays quand le vent souffle assez fort (à cause du fameux facteur 4 mentionné plus haut), et que, les jours avec quasiment rien comme vent (ce qui, même sur l’ensemble du territoire, arrive de temps en temps). A ce moment, soit nous avons presque 100% d’électricité en moins sur le réseau, soit…. nous la ferions autrement. Sauf à ce que le consommateur accepte des restrictions importantes (réparties comment ?) les jours avec peu de vent, cela imposerait alors d’avoir aussi des moyens de production (qui le plus souvent fonctionnent au charbon, au gaz ou au pétrole) qui sont mis en route en l’absence de vent.

En France, ces moyens sont limités : pour commencer, les centrales nucléaires ne peuvent pas être arrêtées et mises en route « à la demande » sur des créneaux de quelques heures (lorsqu’un réacteur nucléaire est fortement ralenti de manière rapide, il se produit un processus appelé « empoisonnement xénon » qui empêche le redémarrage à pleine puissance dans les heures qui suivent). Par ailleurs, les lacs de barrage sont déjà utilisés au quasi-maximum : en France, le « potentiel techniquement installable » est considéré comme déjà occupé à 90%.

A consommation constante, installer des éoliennes pour produire une large fraction de notre électricité nous forcerait donc à disposer, pour une puissance installée équivalente, de centrales thermiques ou hydrauliques. Si nous sommes dans un pays qui dispose déjà d’énormément de barrages (exemple : la Norvège) alors rajouter des éoliennes permet d’augmenter la production totale d’électricité sans augmenter les émissions, mais si nous sommes dans un pays qui n’a pas cette caractéristique géographique, alors l’éolien est un moyen d’économiser 20% à 25% de combustible dans des centrales à gaz ou à charbon qu’il faut conserver, pas un moyen de remplacer lesdites centrales.



L’Espagne offre une illustration intéressante de ce processus. Ce pays a installé environ 18 GW d’éolien dans un pays où la puissance appelée monte, en hiver, à environ 40 GW. Or la puissance éolienne effectivement fournie varie, selon le moment de l’année, et même selon l’heure, entre 1 et 15 GW !


Puissance délivrée par le parc éolien espagnol en % de la puissance installée, le 2 janvier 2010.

Max de 50% vers minuit.


Puissance délivrée par le parc éolien espagnol en % de la puissance installée, le 23 janvier 2010.
Min de 3% vers 18h.
Ce que l’on voit clairement ci-dessus, c’est que la productivité du parc n’est pas constante d’un mois à l’autre, et en fait elle ne l’est même pas d’un jour à l’autre.

Le foisonnement
Qu’à cela ne tienne : il est possible que si le vent faiblit ici, il va forcir là, et « en moyenne sur l’Europe » il y aura toujours du vent quelque part. C’est ce que l’on appelle le « foisonnement », et qui correspond à l’affirmation qui semble intuitive qu’il y a toujours du vent quelque part, et donc qu’avec un parc bien réparti on peut se passer de l’essentiel des moyens de « back-up » pour faire face aux jours sans vent.

Si cela est bien le cas, alors le total européen doit déjà obéir à une forme « d’équilibre » : quand la production éolienne de l’Allemagne baisse, on doit voir celle de la France augmenter, ou encore que la production anglaise doit augmenter quand la production française baisse, etc. Hélas, ce n’est pas du tout ce qui s’observe….



Production éolienne horaire de l’Allemagne en fonction de la production éolienne horaire de la France en 2012.
Non seulement la production allemande n’augmente pas quand la production française baisse, mais c’est l’exact inverse (ce que montre la droite de régression) : quand la production allemande augmente, statistiquement la production française augmente aussi.
Sources des données : pfbach.dk
 


Production éolienne horaire de l’Allemagne en fonction de la production éolienne horaire de la Grande Bretagne en 2012.
Même conclusion que pour la France : quand la production allemande augmente, statistiquement la production anglaise augmente aussi.
Sources des données : pfbach.dk

Cette conclusion reste valable pour l’Europe dans son ensemble :



Production éolienne horaire de la Grande Bretagne en fonction de la production éolienne horaire de la France en 2012.
A nouveau, quand la production anglaise augmente, statistiquement la production française augmente aussi.
Sources des données : pfbach.dk
 


Production éolienne horaire de l’Espagne en fonction de la production éolienne horaire de la France en 2012.
A nouveau, quand la production espagnole augmente, statistiquement la production française augmente aussi.
Sources des données : pfbach.dk

Ce que montrent les graphiques ci-dessus est donc que les productions ont statistiquement tendance à varier dans le même sens au même moment, et non à se compenser.

Cela donne logiquement pour l’Europe dans son ensemble une production éolienne qui n’est pas du tout « constante parce qu’il y a toujours du vent quelque part » :


Puissance injectée heure par heure sur le réseau par l’ensemble des éoliennes d’Europe, entre le 1er septembre 2010 et le 28 mars 2011.
L’effet de « foisonnement » n’est clairement pas constaté à l’échelle du continent européen : il n’y a pas compensation de la baisse ici par une augmentation là !
La puissance installée est de 65000 MW, qui n’est jamais atteinte (le maximum se situe aux 2/3), et le minimum s’établit à un peu moins de 4% de la puissance installée (en septembre).
Source : Hubert Flocard, Sauvons le Climat, novembre 2011

Que ce soit au niveau d’une éolienne ou de l’ensemble de l’Europe, l’éolien est donc un mode fortement variable.

Comment gérer intermittence et foisonnement ? L’exemple de l’Espagne

Question : comment produit-on l’électricité qui n’est plus fournie par l’éolien quand celui-ci passe de 40% à 2% de la puissance appelée ? Par des importations ? Que nenni (et au niveau de l’ensemble de l’Europe ça serait de toute façon un peu difficile !) : par du gaz et du charbon…

Observons l’exemple de l’Espagne :



Puissance délivrée par chaque moyen de production en Espagne le 1 janvier 2010.
La puissance appelée totale culmine à 30 GW
Vers 1 à 2 h du matin, l’éolien fait 40% de la production environ (et donc on va avoir droit à un communiqué de presse)
Le nucléaire tourne « en base », en délivrant une puissance identique toute la journée,
L’hydroélectricité est un terme ajustable à la demande, avec des échanges qui contribuent globalement peu à l’équilibre offre demande





Puissance délivrée par chaque moyen de production en Espagne le 20 janvier 2010.
Les mêmes commentaires que pour le 18 janvier s’appliquent.
Source : https://demanda.ree.es/generacion_acumulada.htm



Puissance délivrée par chaque moyen de production en Espagne le 18 janvier 2010
(attention au changement d’échelle).
La puissance appelée totale culmine à 40 GW
L’éolien fait 5% à 10% de la production environ
Le nucléaire tourne toujours « en base »,
Il y a bien plus de charbon appelé que le 1er janvier,
L’hydroélectricité suit la courbe de production, mais…
C’est le gaz qui produit l’essentiel de ce que l’éolien ne fournit plus (et cela, on ne le verra dans aucun communiqué de presse !).



Puissance délivrée par le chaque moyen de production en Espagne le 19 août 2009.
Il y a toujours du nucléaire en base, moins d’hydraulique qu’en hiver (les lacs sont vides !), mais toujours un paquet de gaz pour pallier l’absence d’éolien.
On notera que l’Espagne dispose, comme la France, de deux régimes de vent : l’Atlantique et le Méditerranéen, ce qui n’empêche pas la survenue de jours avec peu de vent ou quasiment rien.
Source : https://demanda.ree.es/generacion_acumulada.html

Ce que suggèrent les courbes ci-dessus de la production espagnole est assez clair : l’éolien n’est pas un moyen de production autonome, c’est un moyen d’éviter, quand le vent souffle, l’utilisation d’un mode de production « autre ». Et donc :
avoir des éoliennes ne dispense pas d’avoir aussi, pour une puissance installée à peu près équivalente (on peut admettre 10% de différence), d’autres moyens de production « ailleurs » (on duplique donc les investissements) qui servent de relais en l’absence de vent suffisant ; économiquement il ne faut donc pas comparer le kWh éolien au kWh « autre », mais le kWh éolien au seul coût du combustible économisé dans les autres moyens de production (ou plus exactement au coût marginal, mais c’est essentiellement du combustible), puisque les investissements doivent être faits de toute façon pour presque l’équivalent de la puissance installée en éolien, comme l’éolien est variable, les moyens complémentaires doivent être mobilisables en quelques heures, c’est-à-dire qu’il s’agit… de moyens de pointe ! Et ces moyens de pointe, il n’y en a pas trente-six : ce sont soit des barrages (mais en Europe nous ne sommes pas loin de la capacité maximale installable), soit des centrales à combustibles fossile (en particulier du gaz), parce que le nucléaire est incapable, pour des raisons techniques, d’avoir une production qui varie de 50% en quelques heures ou même quelques jours.

L’Espagne illustre donc parfaitement ce à quoi conduit un équipement éolien massif dans un pays qui ne peut pas mettre de l’hydroélectricité de lac en face (pour une puissance installée équivalente) : se rendre prisonnier, pour une production annuelle 2 à 3 fois supérieure à celle de l’éolien, des combustibles fossiles, et du gaz en particulier.

Le Danemark
Et le Danemark ? Ce pays, qui possède la plus forte puissance installée en éolien par habitant, a probablement évité le problème… en le reportant sur ses voisins (Suède et Norvège), qui ont la bonne idée d’avoir un paquet de barrages qui peuvent « encaisser » un apport très intermittent. Contrairement à une idée reçue, le Danemark ne consomme pas lui-même l’essentiel de son électricité éolienne, il l’exporte vers les pays nordiques, en substituant alors de l’électricité hydraulique. Ce n’est pas une mauvaise manière de produire un peu plus de courant sans CO2, mais ce n’est pas une option ouverte pour l’essentiel des pays plats d’Europe, où un gros apport éolien produira très exactement l’effet constaté en Espagne.

La France
En France, un plan massif d’éolien raccordé au réseau signifiera(it) donc, dans les faits, une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (l’Enfer est pavé de bonnes intentions !). Par contre, si un pays fait déjà massivement son électricité de manière thermique, le bénéfice est réel mais… à condition de conserver des centrales thermiques (cas du Danemark et de l’Allemagne par exemple, ceci expliquant peut-être cela), et en acceptant l’idée que le coût complet du kWh éolien est à comparer au seul coût de combustible des centrales non utilisées quand le vent souffle.

Cela étant, nous avons bien quelques centrales thermiques en France, qui pourraient donc être arrêtées un peu plus souvent les jours avec vent, soit 25 à 30% du temps tout au plus, mais là s’arrête le bénéfice. Notre production thermique étant de 30 à 40 TWh, nous pouvons alors viser 10 TWh d’éolien tout au plus si nous ne voulons pas augmenter notre besoin de production de pointe et nos émissions (en 2009 nous sommes à 8, il faut donc décélérer !), et en conséquence 5 GW installés au maximum.

Et nos voisins espagnols auraient économisé bien plus d’émissions s’ils avaient installé, à la place de leurs éoliennes, 10 à 15 GW de nucléaire (et corrélativement 10 GW de gaz en moins), nucléaire qui aurait produit 8000 heures par an pour un coût global bien inférieur par kWh, le gaz n’étant conservé que pour la partie de la pointe que l’hydraulique ne pouvait assurer. Avec cette option (pas d’éolienne, pas de gaz pour l’essentiel de la puissance installée, mais du nucléaire à la place de l’ensemble), ils auraient émis 50 millions de tonnes de CO2 en moins, en ordre de grandeur, soit 10% à 15% des émissions du pays.


L’éolien est-il un mode de production « local » ?

Un des arguments souvent mis en avant par les promoteurs de l’éolien est de dire qu’il s’agit d’un mode de production « décentralisé ». Cet argument est hélas doublement inexact :
une éolienne produit du courant en moyenne tension (20 kV), qui est ensuite monté en haute tension pour être injecté dans le réseau de transport (qui va de 90 kV à 400 kV). De ce fait il n’y a pas de correspondance entre le lieu de production et le lieu de consommation, l’éolien alimentant, comme tous les autres modes de production électrique (sauf le photovoltaïque intégré au bâti), un réseau « global », et heureusement pour les Danois, sinon leur système électrique, incapable de faire consommer localement l’électricité éolienne produite quand le vent souffle fort, serait par terre à chaque dépression !
dans la mesure où une puissance installée significative en éolien suppose l’existence d’un réseau et d’autres moyens de production « ailleurs » qui permettront de gérer la forte variabilité de l’éolien, ce caractère local devient inexistant : quand l’éolienne est bien locale mais que l’ensemble ne peut fonctionner que grâce à un réseau national voire international, on ne voit pas bien où est le coté « autonomie » qui est sous-jacent à l’adjectif « local »,
les barrages aussi sont locaux, au sens où ils sont ici et pas ailleurs, mais les gestionnaires de barrages ne seraient pas plus légitimes à revendiquer une « contribution locale » à l’approvisionnement en énergie renouvelable. Les barrages des Alpes ou Norvégiens servent à réguler le réseau européen, et pour tous les moyens de production qui injectent sur le réseau de transport il n’y a pas de correspondance entre le lieu de production et le lieu d’utilisation.


En guise de conclusion…
Après des années d’efforts visibles et de discours qui le sont encore plus, l’éolien a produit 12 TWh en France en 2011, soit environ 2,4% de notre production électrique totale, ou encore 1% de notre consommation d’énergie totale. Les chiffres montrent par ailleurs que les pays qui ont investi massivement dans l’éolien, comme le Danemark, n’ont pas beaucoup changé la structure de leur approvisionnement énergétique, ni leurs émissions de gaz à effet de serre.

Faut-il passer des années à se focaliser sur 1%, quand, dans le même temps, un programme un peu sérieux d’économies d’énergie – comme par exemple l’isolation des logements existants, qui ne demanderait pas plus d’argent public – pourrait facilement faire baisser la consommation d’énergie de 10%, c’est à dire 10 fois plus ? Faut-il valoriser à ce point dans les discours publics une production qui n’amène ni économies de CO2 significatives, ni amélioration de la balance commerciale (au contraire, on importe les éoliennes !), ni sécurisation du réseau électrique (au contraire), et qui risque de pousser à la construction de centrales à gaz en économie « libéralisée » ? Faut-il le faire alors que nous allons avoir des récessions de plus en plus fréquentes ?

L’engouement auquel nous assistons actuellement pour l’éolien n’est donc pas fondé par des ordres de grandeur en rapport avec le problème (économiser l’énergie de manière massive est bien plus urgent que de planter des éoliennes en faisant croire que ça sera un déterminant significatif de la solution). Il s’agit, comme souvent hélas, de la conséquence logique d’un débat médiatique qui a beaucoup de mal avec les ordres de grandeur.

Si la première priorité pour l’avenir est de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, il y a bien plus efficace à faire que de mettre des éoliennes partout. La Suisse, qui n’a quasiment pas d’éoliennes, a des émissions directes par habitant deux fois moindres que celles du Danemark (qui fait partie des premiers pollueurs par habitant en Europe question gaz à effet de serre), et une fois et demi moindre que les nôtres, et pourtant il y fait froid l’hiver (30% de la consommation d’énergie en France est liée au « confort sanitaire », chauffage pour l’essentiel et eau chaude). L’Allemagne, qui vient juste après le Danemark (pour la production éolienne) a aussi des émissions de gaz à effet de serre par habitant bien au-dessus de la moyenne européenne.

Plus généralement, si notre première priorité est de minimiser notre impact sur l’environnement, penser qu’il suffit de mettre des éoliennes partout pour y parvenir est hélas un rêve. Il nous faudra pour cela renoncer à la poursuite de la croissance en volume. Dans quelle mesure les éoliennes ne sont-elles pas « aimées » parce que bien des gens y voient une alternative aux économies d’énergie, pensant que quelques éoliennes suffiront à nous éviter de changer quoi que ce soit à notre consommation d’énergie actuelle ?

Si la première priorité est de nous mettre dans un monde avec « juste des renouvelables », il est incontournable de diminuer au préalable notre consommation d’énergie d’un facteur trois à quatre : aucune solution à base de renouvelables n’est dans les bons ordres de grandeur pour nous permettre un approvisionnement à notre niveau actuel, et il s’en faut de beaucoup.

Et enfin, toutes les renouvelables ne sont pas égales ! Mettre sur un pied d’égalité la biomasse , les carburants d’origine agricole, l’éolien, le solaire, la géothermie et l’énergie hydroélectrique est ignorer que chaque forme a ses avantages et ses inconvénients, et que toutes sont très loin d’avoir le même potentiel. Au niveau actuel de consommation d’énergie que nous avons, miser beaucoup d’argent et de discours sur l’éolien servira juste à nous précipiter un peu plus vite vers les ennuis, parce, hélas pour nous, le monde est fini et donc le temps pour mettre en œuvre les « vraies » solutions aussi !

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