Jacques Rancière est une des grandes figures actuelles de la philosophie française.
Derniers ouvrages parus: Le Partage du sensible, Le Destin des images, Malaise dans l'esthétique, La Haine de la démocratie, Chronique des temps consensuels, Politique de la littérature, Le Spectateur émancipé, Et tant pis pour les gens fatigués — Entretiens et Moments politiques — Interventions 1977-2009
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Extrait
(...) Mais il n'y a pas de science de la juste mesure entre égalité et inégalité. Et il y en a moins que jamais quand le conflit éclate à nu entre l'illimitation capitaliste de la richesse et l'illimitation démocratique de la politique. La république voudrait être le gouvernement de l'égalité démocratique par la science de la juste proportion. Mais quand le dieu manque à la bonne répartition de l'or, de l'argent et du fer dans les âmes, cette science manque aussi. Et le gouvernement de la science est condamné à être le gouvernement des "élites naturelles" où le pouvoir social des compétences savantes se combine avec les pouvoirs sociaux de la naissance et de la richesse au prix de susciter à nouveau le désordre démocratique qui déplace la frontière de la politique.
A gommer cette tension inhérente au projet républicain d'une homogénéité entre État et société, c'est en fait la politique elle-même que l'idéologie néo-républicaine efface. Sa défense de l'instruction publique et de la pureté politique revient alors à placer la politique dans la seule sphère étatique, quitte à demander aux gestionnaires de l’État de suivre les avis de l'élite éclairée. Les grandes proclamations républicaines du retour à la politique dans les années 1990, pour l'essentiel, servi à soutenir les décisions des gouvernements, là même où elles signaient l'effacement du politique devant les exigences de l'illimitation du Capital, et à stigmatiser comme arriération "populiste" tout combat politique contre cet effacement. Restait alors à mettre, avec ingénuité ou cynisme, l'illimitation de la richesse au compte de l'appétit dévorant des individus démocratiques, et à faire de cette démocratie dévorante la grande catastrophe par laquelle l'humanité se détruit elle-même.