Chine : l'enjeu économique des terres rares derrière la fin des véhicules à essence


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Bertrand Hartmann
16/10/2017


Des inspecteurs chinois marchent le long des monticules de terres rares sur le port de Lianyungang dans le Jiangsu, au nord de Shanghai sur la côte est chinoise, le 22 mai 2016. (Crédits : Wang chun / Imaginechina / via AFP)

C’est le pétrole de la Chine. Rassemblant des métaux aux propriétés magnétiques, thermiques, optiques et catalytiques difficilement substituables, les terres rares sont aujourd’hui indispensables à la fabrication des produits de haute technologie. L’absolu monopole de la Chine sur l’extraction mondiale des terres rares est dès lors un enjeu géopolitique majeur. La fin récemment annoncée par Pékin des véhicules à essence et le basculement vers les voitures électriques risquent potentiellement d’accroître la dépendance des économies occidentales à l’égard de la Chine.

Naissance d’un monopole
Néodyme, samarium, europium… les terres rares constituent un ensemble de 17 métaux dans la classification périodique des éléments de Mendeleïev. On les retrouve dans les puces de smartphones, les écrans plasma, les lampes LED, les batteries des véhicules électriques, les moteurs d’éoliennes ou encore les panneaux photovoltaïques. L’industrie de la défense y recourt, elle aussi, pour la fabrication des systèmes de guidage des missiles et des radars.

Ces métaux sont abondants dans l’écorce terrestre, mais très dispersés géographiquement et géologiquement. Leur faible niveau de concentration implique l’utilisation de techniques de séparations coûteuses et souvent très polluantes. La Chine concentre entre 40 et 50 % des réserves mondiales exploitables, loin devant le Brésil, les États-Unis, l’Inde et l’Australie. Il existe toutefois de grandes incertitudes quant à l’estimation des réserves disponibles, car il s’agit de ressources stratégiques autour desquelles les États entretiennent une certaine opacité.

C’est en 1927 que les Chinois découvrent les immenses gisements de Bayan Obo en Mongolie Intérieure. Ces gisements connaissent un début d’exploitation industrielle dans les années 80. Le chimiste Xu Guangxian, père de la bombe atomique chinoise, propose alors au président Deng Xiaoping de faire des terres rares un outil de conquête industrielle.

A partir de 1992, la Chine dépasse les États-Unis comme premier producteur mondial. Pékin casse volontairement les prix pour asphyxier toute concurrence étrangère. Mais cette politique de dumping a un prix : une catastrophe écologique. Molycorp, le géant américain des terres rares, est alors à l’agonie. En 2002, l’immense mine californienne de Mountain Pass doit être fermée.

Au début des années 2000, la Chine monopolise 95 % de la production des terres rares dans le monde. L’Europe et les États-Unis incapable de penser le « temps long » baissent la garde.

Une réaction tardive
A partir de 2004, la Chine impose des quotas et des taxes sur l’exportation de terres rares. Pékin entend alors officiellement protéger ses ressources de la déplétion et contenir les atteintes environnementales. De manière plus prosaïque, il s’agit également de soutenir le cours de ces minerais. La réaction occidentale n’est pas immédiate car, à la différence du pétrole, le marché des terres rares n’a qu’un très faible poids économique. Le réveil n’en sera alors que plus brutal.

En 2010, suite à un différend territorial en mer de Chine, Pékin réduit progressivement les exportations de terres rares à destination du Japon, tout en niant un embargo formel. La crise n’aura finalement duré que quelques mois, mais c’est un électrochoc. On réalise soudain la portée géostratégique du monopole chinois.

Profitant de la flambée des cours, les principaux sites de production hors de Chine sont réactivés notamment Mountain Pass en Californie et Mount Weld en Australie. En 2012, une plainte contre les quotas d’exportation est déposée devant l’OMC par les États-Unis, le Japon et l’Union Européenne. Trois ans plus tard, la Chine est contrainte de mettre fin aux quotas. Ils sont remplacés par un système similaire de licences d’exportation. A ce jour, la Chine concentre toujours plus de 80 % de la production mondiale.

Le carburant de la révolution verte
*Source : BRGM.Ces métaux stratégiques sont plus que jamais un enjeu économique structurant du XXIème siècle. A la dépendance aux énergies fossiles risque de se substituer une dépendance aux terres rares. En 1992, Deng Xiaoping prophétisait déjà : « Il y a le pétrole en Arabie Saoudite, il y a les terres rares en Chine. » Il en faut entre 2 et 7 kilogrammes pour fabriquer les aimants permanents et les batteries des véhicules électriques. Plus d’une tonne est nécessaire pour les moteurs des éoliennes offshore*.

C’est à l’aune de cette maîtrise des terres rares qu’il faut analyser l’annonce du gouvernement chinois de proscrire les moteurs à essence et de basculer au tout électrique d’ici à une vingtaine d’années. Une fois encore, la Chine démontre sa capacité à penser « temps long ». Mais ce changement de paradigme reste à préciser. La fabrication des batteries, leur recyclage, l’exploitation soutenable des terres rares ou encore la nature de la production électrique soulèvent encore de nombreux points d’interrogation.

En substituant les terres rares au pétrole, on risque finalement de passer d’une logique extractive à l’autre. Peut-on encore se permettre de creuser des mines toujours plus profondes à la recherche de minerais aux teneurs métalliques toujours plus faibles ? Le coût économique et énergétique de ce modèle questionne sa soutenabilité.

Inventer une économie circulaire
La difficulté d’une démarche durable réside dans la capacité à découpler la croissance économique de la consommation de ressources naturelles. Cela passe par le dépassement de l’économie linéaire fondée sur l’extraction, la production, la consommation et la destruction finale. Il convient d’inventer une économie circulaire valorisant les longues durées d’usage et les boucles vertueuses de recyclage.

Or le paradigme technologique dominant est à l’antithèse de ce modèle durable. Le véhicule autonome, constamment célébré, est ainsi l’archétype de ce modèle linéaire et « extractiviste ». Il requiert des quantités massives de matières premières pour alimenter les technologies qui le soutiennent. Le futur de la mobilité automobile doit à l’inverse reposer sur des véhicules moins énergivores, donc plus légers, plus simples et circulants à faible vitesse.

*Lire Benoit Vermander.La Chine hésite encore entre l’industrialisme brun ou l’économie verte*. Le premier correspond à un paradigme néolibéral impliquant le maintien d’un contrôle social strict. A l’opposé, le second invite à reconnaître les ravages écologiques et les inégalités sociales pour inventer une société ouverte, participative et durable. 

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