La réduction du nucléaire en France est-elle compatible avec l’Accord de Paris ?

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Nicolas Goldberg
22/10/2017



Pour respecter l’engagement de réduction du nucléaire à 50% de l’électricité produite d’ici 2025, 17 réacteurs nucléaires pourraient fermer dans les années à venir. Le nucléaire étant un moyen de production d’électricité sans émissions de CO2, la question se pose de savoir si respecter l’engagement de réduction de la part nucléaire en France est bien compatible avec l’objectif de réduction de 40% des émissions de CO2 françaises d’ici 2030. Qu’en est-il réellement ?

Contrairement aux autres pays, la France a déjà un parc de production d’électricité sans CO2
Elle doit donc afficher d’autres objectifs que ceux pour la croissance des énergies renouvelables. Dans la lutte contre le réchauffement climatique, la France est un atypisme mondial. Là où la plupart des émissions de CO2 proviennent dans le reste du monde de la production d’électricité, principalement en raison de la combustion du charbon, l’électricité est a contrario le secteur qui émet le moins de CO2 en France.

Loin d’être anecdotique, ce paradoxe est essentiel pour comprendre le débat : il est urgent que les énergies renouvelables électriques se développent dans le monde pour diminuer les émissions de CO2 dans les pays n’ayant pas ou peu de nucléaire, c’est-à-dire la plupart d’entre eux vu que six pays concentrent à eux seuls 75% de la puissance nucléaire installée dans le monde [1] .
Pour la France, contrairement à la plupart des pays, ne pas se fixer d’objectifs ambitieux dans le déploiement des énergies renouvelables dans l’électricité est totalement compatible avec le fait de gérer la contrainte climatique puisque l’électricité française est déjà quasiment sans CO2, plaçant ainsi la France comme étant le pays du G7 le moins émetteur de CO2.


Origine des émissions des Gaz à Effet de Serre en France et en Europe : la production d’électricité et de chaleur est un secteur peu émetteur en France alors que c’est le premier secteur émetteur de GES en Europe (Sources : Citepa, World Development Indicators)

Ce constat peut nous amener à une première conclusion : le parc nucléaire français est un coup d’avance pour le pays dans la lutte contre le réchauffement climatique. En effet, réduire la part du nucléaire dans notre mix énergétique est un autre sujet que la diminution des émissions de CO2 et répond à un autre objectif, à savoir celui de prendre en compte une inquiétude croissante de la population vis-à-vis du risque d’incident et de la diminution des déchets radioactifs.

En cas de privation d’une partie de cet avantage CO2, il sera nécessaire de le compenser par d’autres moyens : baisse des exportations (et donc des revenus), déploiement de nouveaux moyens de production électrique sans CO2, diminution d’un quart de la consommation d’électricité en France…

Les pistes à explorer seraient nombreuses mais elles nécessiteraient toutes d’engager plus de moyens que le maintien de cet avantage nucléaire, moyens qui ne seraient donc pas utilisés pour la lutte contre le réchauffement climatique et la dynamique de l’Accord de Paris.

Tenir l’Accord de Paris et réduire par anticipation la part du nucléaire français sont ainsi deux objectifs qui n’entrent pas en synergie et qui demanderaient donc plus de moyens pour être tenus en même temps.

Le parc nucléaire n’est pas éternel et il est temps de cesser de jouer à l’autruche : que ferons-nous quand les réacteurs nucléaires actuels seront fermés ?
Pour autant, faut-il que la France tourne le dos aux énergies renouvelables ? La réponse est bien évidemment non. Le parc nucléaire historique représente un avantage indéniable dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais il n’est pas éternel. Même en le prolongeant intégralement, un tiers de la puissance nucléaire sera fermée d’ici 15 ans, ce qui est court à l’échelle industrielle pour prévoir une alternative. Certains réacteurs, comme ceux de Fessenheim, pourront même être fermés avant.


Âge des réacteurs nucléaires : sans prolongation, au-delà de 40 ans, un tiers de puissance nucléaire sera fermée en moins en 5 ans et deux tiers le seront en moins en 10 ans. Cet effet d’échelle ne serait repoussé que de dix ans en cas de décision de prolongation (Source : Etude Colombus Consulting)

Pour combler la baisse de production associée, trois options s’offriront à nous : la diminution du recours à l’électricité, le nouveau nucléaire et les énergies renouvelables.

Sur la diminution du recours à l’électricité, la plupart des rapports s’accordent pour dire que, malgré les transferts d’usages comme le véhicule électrique et l’augmentation des transports en commun, le recours à l’électricité est amené à stagner, voire diminuer compte tenu des efforts d’efficacité énergétique des bâtiments et de tertiairisation de notre économie.

Amplifier cette diminution pourrait être intéressant mais il faut se méfier des effets pervers : reporter la consommation d’électricité de base sur une autre énergie pourrait augmenter les émissions de CO2. Par exemple, diminuer la part de l’électricité dans notre mix énergétique en augmentant notre recours au gaz naturel, une énergie fossile, augmenterait nos émissions de CO2 tant que celui-ci ne sera pas 100% renouvelable (ce qui ne sera pas le cas avant 2050, même selon les rapports les plus optimistes).

Pour compenser la fermeture des réacteurs nucléaires en fin de vie, il resterait donc le recours à de nouveaux moyens de production sans CO2, comme de nouveaux réacteurs nucléaires ou des énergies renouvelables électriques parmi lesquels nous pouvons citer l’éolien, le solaire, la biomasse et les énergies marines.
Si nous raisonnons uniquement en termes de coûts de l’énergie, les nouveaux réacteurs nucléaires et certaines énergies renouvelables ont des coûts comparables, avec parfois un avantage pour les énergies renouvelables arrivées à maturité. De plus, les décalages successifs et augmentations de budget concernant la construction des EPR tout comme les débats techniques et économiques sur le coût du démantèlement ne permettent pas facilement d’avoir de la visibilité sur un « cout nucléaire cible ».

En somme, tandis que le cout du nucléaire semble ‘augmenter’ par rapport aux hypothèses des années 2000, celui du renouvelables diminue régulièrement.


Comparaison des coûts de production des nouvelles énergies : en ne raisonnant que sur l’énergie produite, les nouvelles énergies renouvelables électriques sont compétitives par rapport au nouveau nucléaire. Ce constat est encore plus marquant au Royaume-Uni où l’EPR d’Hinkley Point bénéficiera d’un tarif de rachat de 92,5 £/MWh, contre 83,7 £/MWh pour des projets d’éolien offshore

Toutefois, des énergies pilotables comme le nucléaire et des énergies variables ou intermittentes comme l’éolien ou le solaire ne s’opèrent pas de la même façon. Passer d’un mix majoritairement nucléaire à un mix avec une plus grande part d’énergies variables nécessiterait de grandes adaptations techniques sur le réseau, sans compter l’impact social de la fermeture de réacteurs nucléaires. C’est bien un monde nouveau qu’il nous faut construire, où chacune des énergies aurait peut-être sa place…

La France manque cruellement d’un consensus industriel et social pour lancer les travaux sur le parc de production électrique de demain
Ainsi, lorsqu’on parle du parc nucléaire français, il faut bien distinguer deux choses. Le parc nucléaire historique représente bien un avantage carbone pour la France. Le fermer prématurément pour atteindre un objectif d’énergies renouvelables dans notre mix électrique n’est pas le sujet de l’Accord de Paris. Ce n’est pas pour autant incompatible mais cela demanderait un effort supplémentaire.

Une fois nos réacteurs nucléaires fermés en raison de leur âge, c’est-à-dire dans peu de temps, il sera nécessaire de savoir par quels moyens de production sans CO2 nous les remplacerons. Sur ce sujet, nous pouvons continuer de critiquer l’Allemagne et sa sortie du nucléaire avant la sortie du charbon mais il faut bien reconnaître une chose : les Allemands sont aujourd’hui fiers de leur « Energiewende » et sont prêts à le soutenir, quelque soit l’impact sur leurs champions nationaux, leur facture d’électricité ou le retardement de leur neutralité carbone (sans pour autant l’abandonner).

La France pourra-t-elle construire un consensus autour de sa politique énergétique pour avoir l’adhésion de ses citoyens ? C’est là que notre tradition d’État centralisé et notre manque d’implication des pouvoirs locaux nous pénalisent : porter le débat à un niveau plus local et impliquer l’ensemble de la population pourraient faire émerger un consensus et stopper les errements de notre politique industrielle. Cette nécessité devient urgente : à la fin du quinquennat, plus de 20 réacteurs nucléaires auront dépassé les 40 ans.

Il nous reste peu de temps pour décider d’une politique claire, stable dans le temps et la mettre en place. Alors que souhaitons-nous pour 2050 ? Pour quoi sommes-nous prêts à payer ? Le débat reste ouvert et il serait temps d’ouvrir les yeux sur un fait : quelque soit l’option choisie, il faudra bien la financer…

[1] USA, France, Chine, Russie, Corée du Sud et Canada concentrent à eux six 75% de la puissance nucléaire installée dans le monde

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