Lettre ouverte à Monsieur Nicolas Hulot : Rêve et réalité des énergies renouvelables

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Publié le 23 octobre 2017

Lettre ouverte à Monsieur Nicolas Hulot
Ministre d’État, Ministre de la transition écologique et solidaire

Rêve et réalité des énergies renouvelables
En France, il est fréquent d’opposer énergies renouvelables et énergie nucléaire, alors que la seule attitude rationnelle consiste à s’interroger sur ce que devrait être le bouquet électrique du futur à partir des sources fossiles, nucléaire et renouvelables. Il s’agirait alors de répartir intelligemment les sources pilotables comme les centrales fossiles, hydrauliques, biomasses ou nucléaires et les sources intermittentes comme l’éolien ou le solaire, afin d’aboutir à une solution technique et économique qui n’entraîne ni risques ni surcoûts injustifiables pour les consommateurs. Il convient aussi de tenir compte du fait que le système électrique français est déjà fortement décarboné.

Pour réduire les émissions de CO2 dans le secteur électrique, la loi française de transition énergétique et la politique de l’Union Européenne donnent la priorité au développement de la production d’électricité par les énergies renouvelables. Le présent billet présente une réflexion sur ces intentions, qui relèvent parfois du rêve et parfois de la réalité.
Attractivité des renouvelables : un large consensus
Les énergies renouvelables semblent inoffensives pour la santé et l’environnement. Aussi est-il justifié que leur développement puisse se poursuivre à un rythme soutenu dans les prochaines décennies.
Cependant les productions éoliennes et solaires dépendent fortement de fluctuations naturelles liées à la rotation de la Terre et à la dynamique de l’atmosphère. Par suite, ces énergies renouvelables fournissent l’électricité d’une façon intermittente et indépendamment des besoins. Pour assurer la sécurité de la production, le réseau électrique doit donc être rééquilibré grâce à des moyens additionnels capables à la fois d’absorber les excédents et de combler les déficits.

Gérer l’intermittence : une vraie difficulté
La loi de transition énergétique prévoit une réduction de la part nucléaire à 50% de l’électricité produite, un maintien de la production hydraulique et une forte croissance du parc des installations éoliennes et solaires. Le pilotage du futur réseau électrique en sera profondément affecté à cause du caractère intermittent de cette production nouvelle.

En effet, la puissance produite par les installations éoliennes et solaires peut monter jusqu’au triple de sa moyenne annuelle ou tomber à zéro, alors que le besoin reste proche de la puissance moyenne. En cas d’excédent, il faut être capable de stocker l’énergie, de façon à éviter de perdre la production. En cas de déficit, il faut faire appel à des systèmes de production complémentaires, nécessairement pilotables. Les alternances entre déficit et excédent de la production intermittente étant rapides et ayant de fortes amplitudes (fréquemment : une vingtaine de gigawatts en six heures), les systèmes pilotables nécessaires pour assurer le retour à l’équilibre subissent des régimes transitoires analogues ; ceci réduit de façon significative la durée de vie des installations.

Environ deux fois par jour, quelquefois pour des durées limitées, il faut passer des moyens de production aux moyens de stockage ou l’inverse. Il sera donc nécessaire d’investir dans un système d’équipements flexibles et capables d’endurer les transitoires.

Coûts des renouvelables : de quoi parle-t-on ?
Les baisses réelles de coût du photovoltaïque et de l’éolien – en termes de prix de revient du MWh – n’assurent pas pour autant la compétitivité de ces techniques. C’est la valeur économique de leurs productions qui compte. Or, du fait de leur intermittence, celle-ci est très inférieure à celle des centrales conventionnelles. De plus, elle est pénalisée par le fait qu’un producteur devrait en fait payer les besoins de flexibilité dont il est responsable.

Il est dangereux de définir une politique énergétique en la fondant sur une cible de moyens de production que l’on compte atteindre grâce à des tarifs d’achat garantissant un revenu aux MWh produits. Cette façon de faire est totalement dissociée de la valeur économique et empêche d’évaluer rationnellement la part optimale des énergies renouvelables intermittentes dans un système électrique. Pour évaluer correctement cette part, il faut s’inscrire dans le cadre d’une politique de réduction des émissions de CO2. Les modèles d’optimisation du système électrique qui utilisent un prix du carbone pour pénaliser les centrales fossiles montrent :

1) que, dans un pays où le nucléaire est permis, la part d’énergies renouvelables intermittentes doit être au maximum de 10-15%,

2) que dans un pays où le nucléaire est banni, cette part doit être au maximum de 40% et

3) que dans ces conditions les émissions de CO2 et le coût du MWh sont significativement plus élevés que dans le pays précédent. Il s’ensuit que le coût moyen du MWh d’un système décarboné avec une forte part d’énergies intermittentes est forcément beaucoup plus élevé que celui d’un système où cette part optimale est respectée. Dès lors il est inexact de prétendre qu’un système « tout renouvelable » n’est pas plus coûteux qu’un système constitué avec du nucléaire à 50% et une part limitée d’énergies renouvelables, celui-ci étant lui-même plus coûteux que le système actuel.

Conséquences environnementales et économiques : la seule sentence
La sécurité de l’approvisionnement électrique est un impératif de toute société développée dont les activités et les infrastructures ne peuvent être soumises sans dommage à des aléas d’approvisionnement électrique. Pour assurer cette sécurité, la production d’électricité doit égaler la consommation à tout instant, car l’électricité ne peut être stockée qu’en faible quantité par les stations de pompage hydroélectriques (actuellement de l’ordre de 3 à 4 GW). Sans moyen de stockage nouveau, le développement des énergies renouvelables est soumis à deux obligations essentielles : 1) la construction de centrales à combustibles fossiles fournissant l’appoint en période de sous-production et 2) la destruction du surplus (de l’ordre de 25%) qui ne peut pas être stocké dans les périodes de surproduction. Ainsi, en France, les émissions annuelles de CO2 dans la production électrique augmenteraient.
Les investissements nécessaires pour installer ces nouvelles sources d’énergies renouvelables grandissent avec leur part dans la production électrique et pour atteindre 35% d’énergies renouvelables intermittentes, il faudrait doubler la puissance installée totale. Le coût évalué à partir des données des parcs existants ou projetés est alors de l’ordre de 300 milliards d’€, à quoi il faudrait ajouter le coût des infrastructures de gestion de l’intermittence (réseau électrique, stockage et gestion de la demande).

En conclusion, il faut raison garder dans l’insertion des énergies renouvelables si l’on veut éviter l’impasse d’une production électrique techniquement difficile, coûteuse et dont l’empreinte carbone serait supérieure à celle d’aujourd’hui.


Les signataires de la lettre ouverte

• Dominique Finon (finon@centre-cired.fr) : directeur de recherches au CNRS, chercheur au CIRED et membre de la chaire Europeen Electricity Market de l’Université Paris Dauphine.

• Dominique Grand (dominiquegrand@gmail.com) : docteur en physique, membre de GIRE, fondateur du site www.realisticenergy.info

• André Latrobe (andre.latrobe@orange.fr) : mathématicien, membre de GIRE.

• Christian Le Brun (lebrun-chr@wanadoo.fr) : docteur en physique, membre de GIRE, directeur de recherche CNRS en retraite

• Jean Marie Martin-Amouroux (martin.amouroux@wanadoo.fr) : Ancien directeur de recherche au CNRS. Fondateur de l’encyclopédie de l’énergie. http://www.encyclopedie-energie.org

• René Moreau (r.j.moreau@orange.fr) : Professeur émérite à Grenoble-INP, Membre de l’Académie des sciences et de l’Académie des technologies. http://www.encyclopedie-environnement.org

• Jacques Treiner (jtreiner@orange.fr) : Ancien professeur à l’Université Pierre et Marie Curie, chercheur associé au LIED/PIERI (Université Paris-Diderot), président du Comité d’experts du Shift Project.

• Roland Vidil (rvidil@wanadoo.fr) : ingénieur, membre de GIRE, président de l’association encyclopédie de l’énergie. http://www.encyclopedie-energie.org

• Friedrich Wagner (fritz.wagner@ipp.mpg.de): Professeur, directeur de recherches en retraite au Max-Planck-Institut für Plasmaphysik

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