Le octobre 2, 2017
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En Finlande, le projet de poubelle nucléaire est accepté par la population
25 septembre 2017 / Marion Paquet (Reporterre)
https://reporterre.net/En-Finlande-le-projet-de-poubelle-nucleaire-est-accepte-par-la-population
Depuis les années 1990, la Finlande projette la construction d’un site d’enfouissement des déchets nucléaires.
Les travaux ont commencé malgré de grandes incertitudes sur la sécurité géologique du site.Dans un pays fier de son industrie nucléaire, l’opposition est quasi inexistante, comme l’a constaté Reporterre sur place.
Depuis la ville d’ Eurajoki, sur la côté ouest de la Finlande, les centrales nucléaires sont invisibles.
À l’horizon, des forêts clairsemées de lacs. Un paysage typique de la moitié sud du pays. Pour apercevoir les centrales implantées sur le territoire de cette commune de 9.300 habitants, il faut se rendre sur l’île d’ Olkiluoto, située dans le golfe de Botnie et investie par l’industrie nucléaire.
Étonnamment, le lieu ne ressemble en rien à un site industriel. Il faut s’enfoncer dans la forêt de pins et de bouleaux pour arriver aux trois réacteurs. Deux sont en service et un EPR est en construction par Areva – avec beaucoup de retard.
Devant l’un des réacteurs, au bord de l’eau, des barques de pêcheurs sont amarrées. Aux arbres sont fixés des nichoirs pour les oiseaux et un circuit touristique vous informe sur la faune et la flore de l’île.
C’est dans cet endroit aux allures de parc protégé que seront enfouis les déchets nucléaires du pays : ce seront les fûts de combustibles usés, non retraités (à la différence de ce qui se fait en France, et qui complique beaucoup la gestion des déchets). Dans plusieurs tunnels seront enterrés des conteneurs de cuivre et contenant environ 5.500 tonnes de déchets au total. Une sépulture destinée à être scellée pour au moins 100.000 ans.
Cette affirmation selon laquelle le retraitement complique la gestion des déchets est une affirmation absolument fausse. Le retraitement permet :
- De récupérer les combustibles encore utilisables comme l’uranium de retraitement qui contient encore 1 % d’uranium 235 contre les 0,7 % d’uranium 235 contenu dans l’uranium naturel et le plutonium qui est à la fois un excellent combustible et qui représente à lui seul la moitié des transuraniens à haute activité et vie longue,
- De trier les déchets en fonction de leur radioactivité et de la durée de leur demi-vie afin de les orienter vers les solutions de stockage définitif adaptées,
- De récupérer les déchets de haute activité à vie longue qui seuls ne représentent que 2 % de l’ensemble des déchets radioactifs et qui seront stockés dans le site de Bure à 500 mètres sous terre.
En Finlande, sans retraitement, ils sont obligés de stocker les assemblages combustibles comme si tout leur contenu était des déchets à haute activité et vie longue, ce qui est une gabegie !
Le site d’enfouissement se situe en pleine forêt finlandaise.
« Nous avons commencé à creuser Onkalo en 2004 », raconte Ismo Aaltonen, le géologue en chef du site recruté spécialement pour ce projet. Reporterre l’a rencontré au centre d’information pour les visiteurs d’ Olkiluoto.
Une exposition permanente y explique le fonctionnement de l’énergie nucléaire, de la mine à l’enfouissement.
Il y a aussi en France une exposition permanente sur les déchets et leur traitement au Visiatome sur le site de Marcoule.
Il y a également des explications données dans chaque centre d’information et de communication des Centres Nucléaires de Production d’Électricité et à la Hague.
Enfin, l’ ANDRA donne à la fois des explications et beaucoup de photos des installations de stockage existantes et de Bure. Les photos de l’Andra montrent des installations à Bure infiniment plus élaborées que celle d’ Onkalo.
« D’abord, c’était une sorte de spirale, dédiée à la recherche, raconte le scientifique. En 2010, nous sommes allés jusqu’à 450 m de profondeur environ. Cinq ans après, nous avons obtenu l’autorisation de construire les tunnels destinés à accueillir les déchets de haute activité. » Les travaux ont ainsi démarré début 2017. « Les déchets doivent d’abord refroidir pendant 40 ans avant d’être enfouis », précise le géologue. Une fois les tunnels remplis, ils seront scellés par des blocs de béton et d’argile maintenus en place sous la pression d’une grande quantité d’eau qui sera introduite dans le dispositif de stockage final. Mais, avant cette dernière étape, il faudra obtenir l’autorisation de la mise en fonctionnement du gouvernement et de l’autorité de sûreté du nucléaire finlandaise.
C’est ce qui sera fait à Bure avec néanmoins la possibilité de récupérabilité des colis pour un éventuel reconditionnement dans le fond et une possibilité de réversibilité pour éventuellement transmuter les déchets HAVL en déchets de demi-vie plus courte si les possibilités existent dans l’avenir.
« Le site a plus été choisi en vertu de l’acceptation sociale que de paramètres scientifiques »
C’est l’exact contraire de Bure où le site est choisi surtout pour ses qualités géologiques.
Une autorisation qui ne fait pas l’ombre d’un doute pour Posiva, la société chargée de la gestion des déchets pour les deux industriels du nucléaire finlandais, TVO et Fortum. « Les déchets devraient être en lieu sûr pour au moins 100.000 ans, assure Ismo Aaltonen, le géologue en chef. Dans le choix du lieu de stockage, nous avons étudié les risques de tremblements de terre et les impacts de la future ère glaciaire. Nous avons démontré que le permafrost n’atteindra pas la profondeur d’ Onkalo. En revanche, la glaciation va introduire plus de mouvements dans le sous-sol, la pression de la glace va pousser le sol vers le bas, avant qu’il ne remonte. Il fallait donc trouver une zone stable, une plaque qui n’allait pas se fissurer en cas de tremblement de terre ou de mouvements du sol et l’île d’Olkiluoto est idéale pour cela. »
Dans chaque tunnel, des galeries vont accueillir des conteneurs de déchets nucléaires.
Cette île déjà entre les mains de l’industrie nucléaire s’avérerait idéale pour le stockage des déchets de cette même industrie ? Cet étonnant hasard permet de douter des arguments avancés par Posiva. « Onkalo est voué à une fin tragique, estime Matti Saarnisto, un géologue aujourd’hui à la retraite et dont l’avis a été demandé par l’autorité de sûreté du nucléaire finlandaise. Il n’y a aucun endroit en Finlande qui puisse accueillir un tel centre de stockage de déchets avec la certitude que sa sécurité sera assurée durant la période glaciaire. »
D’après Matti Saarnisto, le risque sismique peut être accentué par la construction du site et le permafrost pourrait descendre bien plus bas que ne le suppose Posiva : la pression de la glace sur la roche pourrait endommager les conteneurs de déchets nucléaires, risquant de les faire remonter à la surface et de libérer des tonnes de déchets radioactifs dans la mer. Un scénario catastrophe dont n’a pas tenu compte l’autorité de sûreté du nucléaire, ni toute autre autorité finlandaise d’ailleurs. Aujourd’hui désespéré de tenter de convaincre les Finlandais de sa thèse, Matti Saarnisto s’est retiré du débat, épuisé et même déprimé de ne pas être pris au sérieux. « Les Finlandais font trop confiance à l’industrie du nucléaire, regrette-t-il, et le site d’Olkiluoto a été plus choisi en vertu de l’acceptation sociale que de paramètres scientifiques. »
« C’est un projet un peu effrayant, mais j’ai besoin de travail »
Un séjour dans la ville d’ Eurajoki suffit pour le comprendre. Ici, la plupart des habitants travaillent pour l’industrie nucléaire, et ce depuis plusieurs générations. Jami en fait partie. Un trentenaire, né dans la commune, travailleur de la métallurgie et qui construit actuellement les conteneurs destinés à accueillir les déchets radioactifs : « C’est un projet un peu effrayant, mais j’ai besoin de travail », confie-t-il.
La main-d’œuvre, pourvue par TVO et Posiva, étouffe les mouvements de contestation.
« Personne, à Eurajoki, ne s’est ouvertement opposé au projet », assure le maire de la commune, Vesa Lakoniemi. Il prétend ne pas connaître le pourcentage d’habitants qui travaille à Olkiluoto, en affirmant toutefois que c’est un des plus gros employeurs de la ville.
« Cette industrie est très importante pour la commune car elle apporte du travail, mais aussi une rentrée d’argent importante grâce aux taxes foncières : 18 millions d’euros par an. » Plus qu’appréciable pour une commune de moins de 10.000 habitants. « Le nucléaire fait partie de l’histoire de la ville, les habitants y sont habitués depuis les années 1970, précise le maire, et Eurajoki est connu dans le monde entier grâce à Onkalo. C’est important pour notre image.
De plus, nous avons de très bonnes relations avec TVO. Ils informent très bien la population, distribuent des journaux d’information, des tracts… Ils ont réalisé le centre pour les visiteurs et organisent des réunions publiques où les gens peuvent librement poser leurs questions et obtenir des réponses. »
Les travaux pour construire les tunnels d’enfouissement ont démarré en début d’année 2017.
Vesa Lakoniemi estime que la population locale a à sa disposition une information fiable et objective sur l’énergie nucléaire… fournie par l’industrie du nucléaire elle-même. Et lorsque l’on met en doute l’honnêteté de cette information, l’élu n’y croit pas.
Rares sont les médias locaux qui tentent de délivrer une information critique sur Onkalo.
Quand on voit les « compétences scientifiques » des journalistes français qui, pourtant se répandent largement sur ces questions, il serait préférable qu’ils donnent une information critique autre que la reprise des slogans de Greenpeace, du WWF, de Sortir du Nucléaire et de l’Observatoire du Nucléaire.
On aurait pu penser qu’avec le temps, ils auraient pu devenir un peu plus compétents. Mais c’est le contraire qui s’est passé. Pas besoin d’être compétent pour affirmer n’importe quoi !
Personnellement, je connais peu de journalistes scientifiques compétents en France. Un se détache particulièrement.
Dans tous les cas, ce que l’on pourrait qualifier de propagande de la part de l’industrie nucléaire fait son effet. Les critiques de la part de certains scientifiques et ONG n’ont eu aucun effet. « Le plus important est que les habitants comprennent ce qui va être construit, affirme Vesa Lakoniemi.
Même l’Autorité de sûreté du nucléaire s’est déplacée pour répondre aux questions des habitants. Si vous êtes ouvert, c’est facile d’obtenir la confiance de la population. Si vous êtes fermé, vous n’obtiendrez pas la confiance des gens. Ce qui fait que nous n’avons pas peur de ce projet. » Les propos du maire résument bien la stratégie adoptée par Posiva auprès de la population locale : informer, rassurer, avoir le monopole de l’information.
En France, nous avons les lois Bataille, du nom du député qui les a portées devant le Parlement. Nous avons l’Office Parlementaire de l’Évaluation des Choix Scientifiques et Techniques (ou OPECST), le Comité National d’Évaluation de l’avancement des lois Bataille, l’ ASN, l’ IRSN et le Groupe Permanents d’Experts sur les déchets et j’en oublie. Tous ces groupes délivrent de l’information accessible sur leur site internet. Hélas sur le site de Bure, la violence des Zadistes antinucléaires ne permet pas de tenir des réunions d’informations sereines. Ils ont trop peur que la banalité de ce type d’opérations détruise leur discours apocalyptique.
« Il est clair que l’accueil favorable de la commune à ce projet a clairement été décisif lors du choix du site d’ Onkalo, reconnaît Ismo Aaltonen, le géologue en chef en charge de ce projet. Lors de la recherche d’un site propice, cinq lieux ont été retenus en Finlande, dont Olkiluoto. Nous avons retenu le lieu où la population était la plus favorable et évidemment, il est bien plus aisé de construire un tel projet là où il y a déjà des centrales nucléaires. »
« Je ne pense pas que nous puissions dire que nous sommes radicalement opposés à Onkalo »
Le parti des Verts de Finlande a donné, au début de l’année 2017, sa bénédiction au projet, considérant que l’enfouissement est la meilleure solution connue actuellement pour gérer les déchets et que le nucléaire est une ressource énergétique préférable au pétrole pour la transition énergétique.
Si, si, on peut trouver des Verts intelligents ! Peut-être qu’en France, rien n’est perdu, à part du temps et de l’argent !
De même, Greenpeace Finlande n’a pas mené de campagne d’opposition à Onkalo. « Je ne pense pas que nous puissions dire que nous sommes radicalement opposés à Onkalo, précise Jehki Harkonen, en charge des questions nucléaires pour l’ONG. Nous ne disons pas que ça ne fonctionnera pas, nous avons plutôt l’impression que le projet est motivé par des raisons politiques. »
Même Greenpeace ne s’oppose pas radicalement !
D’après Jehki Harkonen, le gouvernement finlandais et l’industrie nucléaire veulent convaincre qu’ils ont trouvé une solution pour traiter les déchets nucléaires (il ne s’agit pas de les traiter mais de les stocker) alors que les conditions techniques ne sont pas encore réunies : « Posiva s’est inspiré des recherches suédoises pour concevoir Onkalo, précise le militant. Or, aucun permis n’a encore été accordé en Suède pour la construction d’un projet similaire. Pourquoi nous, Finlandais, serions-nous plus au point que ceux qui sont à l’origine de la technique ? » Jehki Harkonen souligne une autre conséquence de ce projet : « Le fait d’affirmer avoir trouvé LA solution pour traiter les déchets nucléaires induit que le gouvernement et Posiva ne vont pas chercher d’autres options pour ne pas créer la confusion auprès de l’opinion publique. »
L’entrée d’ Onkalo, le centre d’enfouissement de déchets nucléaires.
Depuis les années 1980, le gouvernement finlandais tient le même discours concernant le traitement des déchets nucléaires. Il a pris le parti de l’enfouissement et n’en démord pas, ce qui contribue à donner de la crédibilité à cette option. « Il faut admettre que, pour l’instant, c’est la meilleure option envisageable, dit le militant de Greenpeace. C’est mieux que de stocker les déchets à l’extérieur. Par contre, l’idéal serait de pouvoir sortir les déchets du centre de stockage en sous-sol si un jour on trouve comment les traiter différemment ou les recycler. »
Voilà enfin une position intelligente !
Dans les années 1990, l’ONG a mené une grande campagne pour que la Finlande n’exporte plus ses déchets en Russie. « En Sibérie, des déchets mal stockés ont contaminé des rivières. Les populations, qui consomment l’eau, en subissent les conséquences, elles ont de gros problèmes de santé… C’est le pire endroit que j’ai vu de ma vie », se souvient Jehki Harkonen, avec émotion. De cette campagne a découlé un amendement, en 1994, de la loi sur l’énergie nucléaire. Depuis, l’exportation des déchets est interdite.
Donc, Onkalo, pour Greenpeace, c’est déjà une petite victoire dans la lutte pour le traitement des déchets. Une option, que l’ONG suit désormais de loin. « Ce n’est pas parce qu’ils ont eu le permis de construire qu’ils auront l’autorisation d’exploiter, nuance Jehki Harkonen. Posiva a encore besoin de prouver beaucoup d’aspects en matière de sécurité avant que les premiers déchets ne soient stockés à Onkalo. »
Fin
Jean Fluchère.
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