par Roméo Bondon
publié le 22 septembre 2017
le viaduc de Port Launay, 1883, auteur inconnu
La vie d’Élisée Reclus ne saurait s’entendre sans le siècle qui fut le sien, celui du grand basculement, de la pile électrique, de la locomotive, de la dynamite et du morse, ce siècle qui vit la France, pays agraire, s’industrialiser et se couvrir de machines ; siècle, donc, de la bourgeoisie triomphante et de l’organisation du mouvement ouvrier. Né un jour de mars 1830 en Gironde, au sein d’une famille ardemment protestante et sous l’égide d’un père pasteur, Reclus grandit sous la monarchie de Juillet, s’emballa pour la révolution ratée de 1848 puis participa à la Commune de Paris. Tour à tour — ou plutôt en même temps — voyageur, géographe, militant anarchiste et communiste, partisan végétarien de la cause animale, critique de la domination coloniale1, défenseur de « la liberté de [l]a femme » comme critère définitif de ce qu’est la tyrannie et précurseur écologiste, Reclus est l’homme de ce qu’il nommait la « lutte méthodique et sûre contre l’oppression ». Une boussole, en somme.
S’il se destine d’abord à être pasteur comme son père, Élisée Reclus se passionne vite pour les langues étrangères (il en parlera six) et les voyages. Après des pérégrinations à travers la France et une éducation en Allemagne, il s’installe un temps à Berlin. Là, il se familiarise avec la géographie dans les cours de l’un des réformateurs de la discipline, Carl Ritter. De retour en France, à Orthez, où s’est établie sa famille, il est contraint au départ suite au coup d’État du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte. Il s’arrête d’abord à Londres, comme beaucoup de révolutionnaires quarante-huitards2. Sa familiarité avec les expatriés progressistes des pays qu’il visite alors pose les jalons de son engagement politique. Mais c’est son expérience, surtout, qui fait de lui un détracteur infatigable de l’oppression. Ses années en Louisiane le confrontent à la pratique de l’esclavage, source pour lui de nombreuses réflexions : il publie en 1860 dans la Revue des deux mondes « De l’esclavage aux États-Unis », et n’aura de cesse d’écrire sur ce pays. C’est également pour lui l’occasion d’affirmer ses convictions. Dans une lettre à sa mère Zéline, il écrit peu après : « par goût, je préfère vivre pauvrement » — l’austérité protestante dont il a hérité se meut en engagement quotidien. Ce premier exil, forcé mais riche en découvertes, se solde néanmoins par un échec personnel : le but d’Élisée était alors de se faire paysan, de trouver la meilleure terre afin de s’établir et, partant, de faire venir son frère aîné Élie, accompagné de son épouse Noémie. Écologiste avant l’heure, il souhaite d’abord pérenniser son lien avec la Terre à travers la culture de celle-ci. Mais c’est avec ses mots qu’il en sera le meilleur artisan ; ses échecs en Irlande, puis en Colombie — alors la Nouvelle-Grenade —, qu’il a parcourue sur les pas du géographe allemand von Humboldt, sont pour lui l’occasion d’approfondir sa sensibilité de géographe. Il rentre en 1857 à Paris et s’installe dans le foyer d’Élie, ce « frère fratrissime » selon sa propre expression. Là, débute sa carrière d’écrivain.
Pour une géographie sociale
S’il est impensable, voire impossible, pour Élisée Reclus, de dissocier la Terre de ceux qui la peuplent, c’est bien parce que, en anarchiste, il s’adonne sans restriction aucune à la géographie — en témoigne son œuvre prolifique. Son retour à Paris est, en effet, autant l’occasion d’écrire et de décrire ce qu’il a vu que de se confronter de nouveau au monde politique alternatif de la capitale. Comme le souligne le neurobiologiste Jean-Didier Vincent dans sa biographie, tout en restant « poète de la Terre », Élisée devient « poète de l’Homme3 ». Il a toutefois besoin d’appuis dans cette société en ébullition du Second Empire. Avec l’aide de son frère, il veut se créer une « situation » et se marier, ses deux projets les plus urgents. Outre des tâches ponctuelles de professeur particulier, il devient rédacteur de guides touristiques pour Hachette et, le 13 décembre 1858, se marie civilement, lui le chantre de la liberté, avec Clarisse, jeune fille métisse d’origine peule. Solidement établi, il peut se plonger dans son travail géographique, d’autant qu’il est admis, en cette fin d’année 1858, dans la Société de Géographie de Paris. Si ce n’est pas l’Université qui le reconnaît, c’est toutefois suffisant pour le lancer vers la renommée et lui assurer une relative estime de ses pairs. Il réunit alors les notes qu’il a emmagasinées durant ces dix dernières années de voyages : il prépare un grand livre, l’œuvre de sa vie peut-être (c’est ce qu’il confie à sa mère dans une lettre), dont la publication est promise aux éditions Hachette. Après un premier ouvrage retraçant son voyage dans la Sierra Nevada en 1861, paraît en 1867 La Terre — Description des phénomènes de la vie du globe. C’est un succès. La raison en est, probablement, sa qualité pédagogique. Le premier tome s’intéresse aux continents, le second aux océans ; les deux s’adressent à tous, et non aux seuls spécialistes. Contrairement à ce qu’indique le titre, il n’est pas seulement question de géographie physique dans ce premier ouvrage d’ampleur, mais également des hommes. Suivant ainsi les enseignements de Ritter et l’héritage laissé par Von Humboldt, Élisée Reclus fait œuvre de géographie physique et sociale avant qu’elle ne devienne libertaire.
Pour lui, l’homme n’est pas séparable de son milieu. Décrire l’espace serait un exercice tronqué si toute dimension humaine en était supprimée, tout comme l’homme ne se conçoit pas sans la prise en compte de son environnement immédiat. Son Histoire d’un ruisseau, paru en 1869, est un véritable succès ; davantage ouvrage de « géopoésie » que de science, ce rapport de l’homme à son milieu y est parfaitement décrit : « Il me semble que je suis devenu partie du milieu qui m’entoure, je me sens un avec les herbes flottantes, avec le sable cheminant sur le fond, avec le courant qui fait osciller mon corps… Tout ce monde extérieur est-il bien réel4? » Il l’est, à condition de se prendre en compte à l’intérieur de celui-ci. Reclus est bien un précurseur de l’écologie, la science des individus, vivants ou non, de leur habitat et de leur environnement. Sa correspondance avec le fondateur des parcs nationaux américains, John Perkins Marsh, confirme qu’Élisée se trouve à l’avant-garde de l’engagement dans ce domaine qui reste alors à bâtir.
Viaduc de la Bouble, 1883 (DR)
« Ma tête ne va qu’avec mes pieds » (Rousseau) : pas à pas vers l’anarchisme
À Paris, où il revient entre deux voyages, Élisée vit toujours avec Clarisse, Élie et Noémie. À eux quatre, ils forment un étonnant foyer qui, chaque semaine, accueille révolutionnaires en exil et socialistes locaux. C’est dans ce lieu et dans ces années 1860 qu’Élisée affine sa conscience politique. Il n’en passe pas moins le plus clair de son temps ailleurs, pour les guides Joanne ou pour son œuvre : l’Allemagne, la Suisse, Londres à nouveau pour l’Exposition universelle de 1862, l’Espagne, l’Italie, enfin, où il s’émerveille pour le général Garibaldi et s’entretient longuement avec le libertaire russe Bakounine, à Florence, en 1865. À Londres, trois ans auparavant, les deux frères avaient assisté aux réunions des délégations ouvrières, leur permettant de faire le lien entre leur culture socialiste bourgeoise et les réalités vécues par les travailleurs — s’ensuivit la création, avec le neveu du socialiste utopique Cabet, de la Société du Crédit du Travail en 1863. Premier essai dans la mutualisation des outils de travail et des capitaux entre travailleurs et bourgeois, la Société sera dissoute en 1869. C’est également le moment où les mutuelles et les coopérations fleurissent autour de Paris. Mais, surtout, cette décennie est l’occasion de grandes rencontres : alors que Proudhon, vieillissant et affadi, marque peu Élisée Reclus, Bakounine deviendra son ami, et le restera jusqu’à la mort de ce dernier. Fort de tant de combats, l’infatigable révolutionnaire russe éduque Élisée Reclus à l’engagement anarchiste — et le géographe de le suivre dans la scission qui les coupe des marxistes de l’ AIT, la Première internationale, née à Londres en septembre 1864.
Il s’engage avec ferveur dans les luttes sociales et les débats politiques. C’est à l’occasion du second congrès de la Ligue de la Paix et de la Liberté à Berne, en 1868, qu’il tient son premier discours ouvertement anarchiste : « ce que nous voulons fonder, c’est la République fédérale de la terre entière ». La géographie entérine : « Il n’y a pas de frontière naturelle ; l’Océan même ne sépare plus les pays. » Dans le sillage de Bakounine, Élisée s’insurge contre l’État et la centralisation du pouvoir : « Quelle sera la base de la société nouvelle ? Ce sera l’association. » Mais après avoir donné naissance à deux filles et tandis qu’elle venait d’en perdre une troisième, Clarisse mourut la même année : pour un temps, Élisée se rapproche des siens. Avec ses filles, il s’arrête momentanément de fuir et s’installe dans le Sud-ouest. Meurtri par la perte de son épouse, la passion revient après la rencontre de Fanny L’ Herminez, bientôt Fanny Reclus ; deuxième de ses quatre compagnes, elle partage la conception libre qu’Élisée avait de l’amour. Mais leur début de vie commune est vite interrompu. Nous sommes en 1870 : suite au camouflet de la dépêche d’ Ems, la France déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet.
Communard
Élisée s’engage. Pourtant, il haït la guerre — mais il y voit l’occasion de défendre la République, troisième du nom, qui est décrétée par Gambetta le 4 septembre. La République est perçue comme un progrès pour les générations à venir autant qu’un passage vers l’insurrection sociale qui habite chaque jour davantage notre homme. Pour Jean-Didier Vincent, « ce n’est pas comme patriote, c’est comme révolutionnaire qu’Élisée prit part à la guerre de 1870 5 ». Car la révolution couve — elle était même plus crainte par l’Empire qui vient de s’éteindre que la guerre avec la Prusse. Paris, encerclé par les soldats allemands, s’éveille. Le 6 janvier 1871, le lendemain des premiers bombardements sur la ville, l’affiche rouge est placardée : « Place au peuple ! Place à la Commune ! » Quelle fut la place d’Élisée dans ce bruissement révolutionnaire ? « Mon rôle pendant la Commune a été nul officiellement. » Entendre qu’il participa à ses débuts comme simple anonyme, soldat du peuple révolté, contre les professionnels qui depuis l’armistice campent à Versailles avec l’Assemblée. C’est en tant que tel qu’il livre son unique combat le 4 avril : il y est fait prisonnier, et c’est comme prisonnier qu’il traverse finalement la Commune. Elle prend fin le 28 mai, dénouement de la Semaine sanglante. Volontiers critique des errements de la Commune, il a aussi salué l’espoir qui en a découlé. La mise en pratique des principes socialistes s’est soldée par un échec, mais les convictions libertaires d’Élisée en sortent affirmées et affermies. Après avoir enchaîné les prisons, il est jugé à Versailles. D’abord condamné à la déportation en Nouvelle-Calédonie, comme tant de communards, la peine est finalement allégée à dix ans de bannissement. Une pétition de savants d’outre-Manche, parmi lesquels Darwin, a joué en sa faveur — son second exil commence en Suisse, à Zurich, où il retrouve les siens.
Viaduc de Dinan, 1883 (DR)
Vers le communisme libertaire
C’est en exil qu’Élisée Reclus trouve le temps d’écrire sa grande œuvre, la Nouvelle géographie universelle ; celle qui rencontre le plus de succès, la plus volumineuse aussi. Sorti de prison en révolté, il doit pourtant composer avec le retour à l’ordre en France, et plus largement en Europe. Il écrit à Bakounine : « Le fleuve débordé de la Révolution est rentré dans son lit sans avoir fait grand mal. » L’insurrection s’éloignant, il s’adonne avec ardeur à ses écrits. La Nouvelle géographie universelle voit son premier volume paraître en 1875, et les dix-huit autres le suivent jusqu’en 1894. Reclus est un travailleur acharné ; ses amis disent de lui qu’il peut écrire douze à quatorze heures par jour sans rien manger d’autre que quelques biscuits et légumes crus. Frugal dans sa vie, il ne l’est pas dans ses textes : les 18 000 pages de ces dix-neuf volumes sont aussi lyriques que les premières œuvres, agrémentées de nombreuses cartes. Selon Yves Lacoste, l’un des premiers universitaires à avoir mis en lumière le travail de Reclus, l’œuvre de ce dernier est bien géopolitique : il y décrit chaque pays du monde en commençant par ses frontières, l’histoire de son exploration, sa géographie physique et surtout sa géographie humaine. La Terre et l’Homme sont plus que jamais indissociables pour Élisée. La libération de l’homme, à travers le militantisme anarchiste, occupe le reste de son temps et de son énergie. La mort de Bakounine, en 1876, l’ esseule momentanément, mais il fait la connaissance de Kropotkine, géographe et anarchiste lui aussi, russe également, avec qui les rapports ne manquent pas de devenir fraternels. Il faut rappeler ici ce qu’a dit Paul Reclus, fils d’Élie et neveu d’Élisée, à propos de son oncle : « Élisée n’a jamais été le disciple de personne et il n’a jamais admis que personne fût son disciple. » Kropotkine reconnaît pareillement l’indépendance d’esprit de son ami ; il est pour lui « l’anarchiste dont l’anarchisme n’est que l’abrégé de sa vaste et profonde connaissance des manifestations de la vie humaine, sous tous les climats et à tous les âges de la civilisation ». La collaboration des deux hommes sur les plans scientifique, géographique et politique ne s’arrêtera qu’à la mort d’Élisée — voisins au bord du lac Léman, ils y mûrissent leur communisme libertaire.
La violence par les mots, la propagande par le fait
Au même moment, un autre militant, Paul Brousse, constate le virage que prend l’anarchisme ; c’est le début de la « propagande par le fait » qui effraie toute l’Europe. La doctrine est adoptée en 1881, à Londres, par un congrès d’anarchistes, surnommé le Congrès noir. Reclus, pacifiste, récuse le terrorisme ; il soutient pourtant les jeunes gens donnant leur vie pour leurs idées et les nihilistes russes l’impressionnent. S’il se montre lui aussi propagandiste, ce n’est que par sa plume. Il multiplie les articles et pamphlets libertaires : « c’est bien la lutte contre tout pouvoir officiel qui nous distingue officiellement », déclare-t-il lors d’une conférence à Bruxelles6. Ses pensées politiques s’affinent dans l’article « Évolution et Révolution ». Et s’il ne l’exerce pas lui-même, l’auteur n’exclue pas l’usage de la violence pour la cause : « De deux choses l’une ; ou bien la justice est l’idéal humain et, dans ce cas, nous la revendiquons pour tous ; ou bien la force seule gouverne les sociétés et, dans ce cas, nous userons de la force contre nos ennemis7. » Jusqu’à la fin du siècle, les attentats à la bombe ou à l’arme blanche se multiplient. Ils prennent symboliquement fin en 1894, à Lyon. Le président de la République française, Sadi Carnot, est assassiné par Caserio, un anarchiste italien. Sans cesse accusé, Kropotkine visite les prisons tandis qu’Élisée Reclus souffre de nombreuses diffamations. Dans ce contexte, les ventes de sa Nouvelle géographie universelle baissent. Élisée revient en France, où la lutte a gagné les travailleurs. Le 1er mai 1891, les ouvriers de Clichy ou de Fourmies défilent pour fêter le travail ; les forces de l’ordre les répriment dans le sang. Les lois scélérates de 1893-1894 finissent d’annihiler, pour un temps, la vague anarchiste.
À l’avant-garde de toute les luttes
À côté de ses combats politiques et de son travail géographique, Élisée Reclus mène une vie avant-gardiste. Végétarien alors que la viande s’immisce de plus en plus dans les repas des riches comme des pauvres, féministe alors que l’inégalité entre les sexes est la règle, apôtre de l’union libre, enfin, tandis que le divorce vient d’être légalisé. À la table des Reclus, les animaux sont la plupart du temps exclus : Élisée n’en goûta la chair qu’à de rares occasions, au début de sa vie, et plus jamais durant ses trente-trois dernières années, selon son neveu Paul. Le socialisme, estimait-il, ne saurait se bâtir sur le dos et sur le sang des bêtes. À cette table dînent d’ailleurs des femmes telles que Louise Michel, dont l’engagement féministe et anarchiste rejoint celui d’Élisée. Ses mariages civils, ses relations multiples autant physiques que platoniques marquèrent une vie où la liberté se pratique jusque dans l’amour. Élie résume les idées des deux frères lors d’une cérémonie de mariage sur les bords du Lac Léman, en 1880 : « Que faites-vous des garanties légales ? Nous n’en avons que faire : que le mari qui a trompé sa femme s’en aille, que l’épouse qui veut quitter son époux le quitte. Les enfants ? On les nommera bâtards ? Quelle importance ? Ils répondront : mon père et ma mère me nomment enfant de l’amour8. »
Canal du Verdon, 1883 (DR)
Dernières années
Le soulagement est grand pour Élisée lorsqu’en 1894 sort le dix-neuvième et dernier volume de sa Nouvelle géographie universelle. S’il déteste les mondanités, il reçoit toutefois, en 1882, la médaille de la Société de Géographie de Paris, puis la médaille d’or de celle de Londres en 1892. Les derniers voyages qu’il fit pour achever son œuvre semblent boucler sa vie aventureuse. Les États-Unis d’abord, à propos desquels il produit une véritable réflexion géopolitique, décelant la puissance de ce nouvel empire à travers son industrie ; il nota le danger de l’épuisement des ressources employées, et souvent gaspillées. Sa lecture des inégalités ne serait pas dépassée aujourd’hui. Puis il visita le Canada, qu’il voyait pour la première fois, et l’Amérique du Sud, abordée quarante ans plus tôt. Mais le succès littéraire et scientifique n’efface pas les engagements politiques. Pour les autorités qui livrent toujours la chasse aux anarchistes, Élisée est un agitateur, voire le cerveau d’une hypothétique organisation internationale. Il vit entre Paris, où il risque à tout moment d’être arrêté — comme le fut son camarade de lutte Jean Grave, rédacteur en chef du Révolté —, et Bruxelles, où l’Université libre lui a offert une chaire de professeur : aucun cours n’y sera délivré, les rumeurs concernant Élisée ayant effrayé l’institution belge… Il participe alors à la création de l’Université nouvelle de Bruxelles, d’obédience socialiste plutôt que libertaire, ainsi qu’à celle de l’Institut des hautes études. Quoique toute institution soit à ses yeux délétère, celle-ci l’est moins que les autres : il peut y mener son combat pour une éducation plus libre. Bruxelles l’accueille ainsi pour sa dernière décennie. Par l’intermédiaire de son dernier amour, Florence de Brouckère, Élisée accède au monde des artistes bruxellois dominé par les symbolistes. Avec cette nouvelle compagne, il retrouve sa vigueur un temps perdue, du fait des poursuites politiques, et ces dix dernières années sont pour lui l’occasion d’écrire sa dernière œuvre, L’Homme et la Terre, publiée de manière posthume par son neveu. Il y affirme en exergue du premier tome : « La Géographie n’est autre chose que l’Histoire dans l’Espace, de même que l’Histoire est la Géographie dans le temps. » C’est son ouvrage géographique le plus travaillé par ses convictions politiques — le premier titre proposé par l’auteur était Géographie sociale. Il y souligne les bienfaits de l’entraide, la nécessité de la liberté. Et c’est sur cette dernière œuvre qu’Élisée Reclus s’éteint, en 1905, à Torhout, dans cette Belgique qui avait su l’adopter.
Notes
1. ↑ On lira avec profit, afin de saisir les nuances et les contradictions du penseur, l’article de Béatrice Gibli : « Élisée Reclus et les colonisations », Hérodote, vol. no 117, n° 2, 2005, pp. 135-152.
2. ↑ Voir Maurice Agulhon, Les Quarante-huitards, Paris, Gallimard-Julliard, collection « Archives », 1976.
3. ↑ Jean-Didier Vincent, Élisée Reclus, géographe, anarchiste, écologiste, Paris, Flammarion, 2014.
4. ↑ Élisée Reclus, Histoire d’un ruisseau, Arles, Actes Sud, 2015.
5. ↑ Jean-Didier Vincent, op. cit., p. 296.
6. ↑ Conférence reprise dans la revue Les Temps nouveaux sous le titre « L’Anarchie ». Voir Écrits Sociaux, Genève, éditions Héros-Limite, 2012.
7. ↑ Élisée Reclus, « Les produits de la terre », paru dans la revue La Société nouvelle, 1889.
8. ↑ Cité par Hélène Sarrazin in Élisée Reclus ou la Passion du monde, Paris, La Découverte, 1985.
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