Les scénarios RTE 50 % de nucléaire : des coupures d’électricité !

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Par Bertrand Cassoret
Source : Article d’ Agoravox — 5 février 2018
Maître de conférences en génie électrique, Bertrand Cassoret se passionne depuis des années pour les problèmes liés à l’énergie.
Il est l’auteur du livre « Transition énergétique, ces vérités qui dérangent » qui sortira prochainement aux éditions De Boeck.




« On peut s’interroger sur l’impact financier et environnemental de ces moyens supplémentaires, éolien et solaire, qui viennent essentiellement en plus de, et non à la place des autres. »

RTE prévient qu’il y aura des coupures d’électricité !

L’objectif de 50% de nucléaire dans la production d’électricité française en 2025 ne sera pas atteint, c’est maintenant une certitude. Mais RTE a publié des scénarios visant à atteindre cet objectif vers 2035. À quelles conditions ?
RTE (Réseau de Transport de l’Électricité), service public français chargé d’assurer en permanence l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité, a publié en novembre 2017 plusieurs scénarios de "Bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité en France" pour les années à venir. Ils permettent de se rendre compte de la façon dont l’objectif de 50% de nucléaire dans la production d’électricité pourrait être atteint. Le parc nucléaire français produit actuellement environ 75% de l’électricité. Pourquoi cet objectif de 50% ? On ne peut pas invoquer les accords de Paris sur le climat puisque la production d’électricité nucléaire émet très peu de gaz à effet de serre. Inscrit dans la loi de transition énergétique votée en 2015, sa véritable origine serait dans des accords électoraux lors des élections présidentielles de 2012.

Rappelons que l’électricité représente moins du quart de la consommation d’énergie française et que la principale énergie consommée en France est le pétrole. Celui-ci est, comme le gaz,à l’origine d’émissions de gaz à effet de serre et de divers polluants atmosphériques.
Les différents scénarios de RTE baptisés Ampère, Hertz, Volt et Watt concernent l’année 2035. Ils prévoient essentiellement de remplacer une partie du parc nucléaire par des éoliennes et panneaux solaires. L’électricité se stockant difficilement, on doit adapter en permanence la production à la consommation grâce à des moyens pilotables réglables (nucléaire, fossile, hydraulique, biomasse). Les remplacer par des moyens non pilotables, dont la production dépend du vent et du soleil, est un réel challenge. Cela nécessite de les multiplier en espérant qu’il y aura toujours un peu de vent/soleil quelque part. Ainsi RTE considère pouvoir compter la plupart du temps sur 10% de la puissance éolienne installée. Cela signifie grossièrement qu’il faut installer 10 éoliennes pour espérer avoir en permanence au moins la puissance d’une seule.

Le plus commenté des scénarios est Ampère. Il prévoit une production d’électricité à 46% nucléaire, 50% renouvelable et 4% fossile. Analysons comment.

  • La production d’électricité augmenterait de 20%, passant de 530 TWh à 630 TWh* malgré une stagnation de la consommation à 480 TWh. Eh oui, l’objectif est 50% de la production d’origine nucléaire, et non 50% de la consommation. En augmentant les exportations, la production nucléaire représenterait encore 61% de la consommation française mais moins de 50% de la production. Certains y voient l’influence du lobby nucléaire qui aurait trouvé là un moyen de fermer le moins possible de réacteurs. Mais l’irrégularité de la production éolienne et solaire nécessitant de multiplier les moyens de production pour en avoir toujours un minimum quand il y a peu de vent/soleil, il y aurait des moments où elle serait trop importante lorsqu’il y a beaucoup de vent/soleil ; cette production devrait donc être exportée. Ainsi l’augmentation de plus de 200 TWh de la production renouvelable (grâce à l’éolien, au solaire, aux bioénergies et aux énergies marines), passant de 101 TWh à 314 TWh, ne permettrait qu’une baisse de 90TWh de la production nucléaire, passant de 384 TWh à 294 TWh.
  • La puissance totale installée augmenterait considérablement, elle passerait de 129 GW à 210 GW (+62%). Il faudrait donc augmenter considérablement les moyens de production pour une même consommation. Les éoliennes et panneaux solaires ajoutés (+97 GW) viendraient essentiellement s’ajouter, et non remplacer les autres moyens de production : la puissance installée* pilotable (nucléaire, fossile, hydraulique, biomasse) diminuerait peu, passant de 111 GW à 94 GW (on fermerait environ 16 réacteurs nucléaires sur 58 et quelques centrales au charbon et fioul).
La puissance éolienne installée en 2035 devrait atteindre 67 GW contre 12 GW aujourd’hui, soit une augmentation de plus de 3 GW par an. Or cette augmentation annuelle a été d’environ 1 GW ces dernières années en France. Un triplement du rythme d’installation n’est sans doute pas impossible, mais RTE indique que « cette trajectoire est ambitieuse, et nécessite un changement de dimension par rapport à l’état actuel (mobilisation des financements, mise à disposition du foncier, adaptation des procédures d’autorisation aux ambitions publiques, renforcement de l’acceptabilité). »

La puissance photovoltaïque installée en 2035 devrait atteindre 48 GW contre moins de 7 GW aujourd’hui, soit une augmentation de plus de 2 GW par an contre moins de 1 GW ces dernières années en France. Il faudrait donc doubler le rythme actuel.

Remarquons que l’Allemagne qui a fait des efforts considérables pour installer 94 GW d’éolien et de solaire (1.5 fois le parc nucléaire français) n’a pas diminué sa puissance installée en centrales pilotables : elle a besoin de ces centrales lorsque le vent et le soleil ne produisent pas, mais exporte largement lorsque la météo le permet. L’Allemagne exporte d’ailleurs tellement quand le vent est fort que le prix devient parfois négatif (!) à la bourse de l’électricité. Dans ces conditions on peut se demander si tous les pays pourront suivre la même stratégie d’exportation car les épisodes venteux peuvent se produire sur plusieurs pays en même temps. Pour exporter il faut non seulement des lignes haute tension mais aussi des acheteurs.

  • La consommation d’électricité annuelle stagnerait à 480 TWh malgré la croissance de la population, une croissance économique de 2% par an et plus de 15 millions de véhicules électriques. Le principal argument invoqué par RTE pour justifier cette stagnation est l’amélioration de l’efficacité énergétique. Il est vrai que la consommation française stagne depuis 2008, mais la croissance économique a été bien faible également. Je trouve surprenant de lire dans le rapport de RTE qu’ « une croissance du PIB durablement plus élevée devrait se traduire par plus d’investissements dans l’appareil productif et par de meilleures capacités de financement pour les actions d’efficacité énergétique ». Cela me parait évidemment souhaitable mais historiquement c’est l’inverse qui s’est quasiment toujours produit : l’augmentation de l’activité économique a presque toujours été liée à une hausse de la consommation d’énergie.
  • Les 15 millions de véhicules électriques considérés consommeraient environ 35 TWh ce qui signifie, à consommation globale constante, que les autres usages baisserait d’autant. Cela me parait souhaitable mais peu probable. En particulier RTE considère 700 000 rénovations de logements par an qui seraient mieux isolés. En 2012, l’État français avait fixé l’objectif de rénover 500 000 logements chaque année, cet objectif a été repris en 2015 et récemment en novembre 2017. Mais il n’a jamais été atteint : on rénove moins de 400 000 logements chaque année, et à un niveau pas toujours suffisant.
  • La pointe de consommation devrait diminuer car la production éolienne et solaire ne serait pas forcément présente au bon moment. Il faut comprendre que ce qui impose le dimensionnement d’un système de production et de transport d’électricité n’est pas seulement la consommation annuelle en wattheure, mais aussi la puissance en watt pouvant être consommée à un instant donné*. De ce point de vue, les rénovations de logements chauffés à l’électricité sont très importantes. De même, considérer 15 millions de véhicules électriques est commode : comme l’utilisateur n’a pas forcément un besoin urgent de recharger sa batterie, RTE suppose qu’un pilotage intelligent permettra de les recharger essentiellement en dehors des heures de pointe.

RTE publie un exemple de jour d’hiver peu venté où la puissance consommée serait de 84GW : elle ne pourrait être couverte que grâce à 9 GW d’importation, on suppose donc que nos voisins ne seraient pas dans la même situation et pourraient exporter. De plus, 7GW de production éolienne sont nécessaires dans cet exemple, représentant 10% de la puissance éolienne installée. RTE se justifie en déclarant que seules 10% des situations modélisées sur la base de statistiques météo conduisent à une production éolienne inférieure à 7.5 GW. Très bien, mais que ferait-on durant ces 10% de malchances ? On constate actuellement des moments où la production éolienne tombe quasiment à zéro. RTE souligne d’ailleurs que les épisodes de températures très faibles, entraînant une pointe de consommation, s’accompagnent souvent d’une production éolienne réduite. RTE précise que dans ce scénario « l’équilibre offre-demande durant les situations de consommation forte repose nécessairement sur une contribution de l’éolien », que la probabilité de défaillance peut atteindre 30% pour des puissances appelées supérieures à 94 GW et de 60% pour une consommation supérieure à 101GW. Or la pointe de l’année 2017 a été de 94 GW et la pointe historique française à 102 GW ne date que de 2012. RTE confirme d’ailleurs que « des appels de puissance supérieurs à 100 GW pourraient encore être observés en 2035. Ceci interroge sur le niveau d’assurance », « le système électrique français n’est plus en situation de « passer » une vague de froid comme celle de février 2012 sans appel aux leviers exceptionnels voire au délestage. » On peut également lire que « en 2035, sur les 1000 cas simulés, 44% présentent au moins une heure de défaillance et 5% contiennent plus de 10h de défaillance ».

En clair, RTE prévient qu’il y aura des coupures d’électricité !


En conclusion le scénario Ampère nécessiterait des investissements énormes dans l’efficacité énergétique, l’éolien, le solaire et les lignes de transports nécessaires à l’import-export. Il nécessiterait une puissance totale installée de 209 GW contre 129 GW aujourd’hui malgré une consommation constante : l’installation de 97 GW supplémentaire d’éolien et de solaire ne permettrait de fermer que 22 GW de nucléaire et de thermique. Ce scénario ferait descendre la part du nucléaire à 46% de la production mais elle représenterait toujours 61% de la consommation d’électricité française. Le risque de coupure serait plus élevé qu’aujourd’hui, et même très probable lors de fortes pointes de consommation. Le principal mérite de scénario est une baisse de 45% des émissions de CO2 dues à la production d’électricité, mais ce gain ne représente que 3% des émissions de CO2 françaises.

Le scénario Volt est celui qui utilise le moins le gaz pour produire l’électricité, il permet donc de diminuer davantage les émissions de CO2 (-59%). Mais il suppose une consommation d’électricité annuelle en baisse de 8% à 442TWh, et surtout il maintient la part du nucléaire dans la production à un niveau plus élevé de 56%. Le risque de défaillance est plus faible qu’avec le scénario Ampère.

Le scénario Hertz prévoit moins de production nucléaire, mais davantage de production au gaz d’où des émissions de CO2 proches du niveau actuel, et un risque de défaillance plus élevé.

Le scénario Watt aboutit à seulement 11% de nucléaire, mais il suppose une baisse importante de la consommation (-15% à 410 TWh), et un doublement de la production fossile donc une nette hausse des émissions de CO2 (+45%). Il nécessite les effacements de consommation les plus importants (on rémunère de gros consommateurs industriels pour qu’ils décalent leur consommation), ce qui n’empêche pas un risque de défaillance très élevé de 85% (!) lors de pics de consommation à seulement 89 GW.

En résumé, si l’on accepte davantage d’effacements de consommation et des coupures, si l’on augmente considérablement la puissance totale installée et les lignes de transport, si l’on réduit la consommation annuelle et les pointes, si nos voisins peuvent nous acheter de l’électricité lorsque nous en produisons trop et nous en vendre lorsque nous en manquons, alors il est sans doute possible de remplacer une partie des centrales pilotables nucléaires ou fossiles par des moyens éoliens et solaires. On constate en comparant les 4 scénarios de RTE que, plus on diminue la part du nucléaire, plus on émet de CO2 et plus le risque de coupure est élevé. On peut légitimement s’interroger sur l’impact financier et environnemental de ces moyens supplémentaires, éolien et solaire, qui viennent essentiellement en plus de, et non à la place des autres. Ne serait-il pas plus pertinent pour l’environnement de mettre plutôt ces moyens dans l’isolation des logements, l’amélioration des transports en commun, l’efficacité énergétique dans les usines…? 

Résumé des principales caractéristiques de la situation actuelle et des différents scénarios.


* Pour bien comprendre, il faut distinguer la puissance installée, qui représente la capacité de production d’une installation en watts (W), de l’énergie produite par une installation sur une période donnée qui se compte en wattheures (Wh).
Ainsi un réacteur nucléaire de 1 GW fonctionnant environ 75% du temps à pleine puissance produit chaque année environ 1 G × 24 h × 365 jours × 0,75 = 6570 GWh = 6,57 TWh.


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