Allemagne : la transition énergétique s’enlise

Violette Bonnebas
3 octobre 2018 



Le pays est tiraillé entre ses objectifs climatiques et son attachement au charbon. Symbole de ce trouble : la destruction de la forêt de Hambach au profit d’une mine de charbon. L’Allemagne affiche maintenant de mauvaises performances climatiques. Samedi 6 octobre, une grande manifestation aura lieu à Hambach.

Berlin (Allemagne), correspondance

Le temps presse. Le 3 décembre prochain, à l’ouverture de la COP24 qui se tient à Katowice, en Pologne, l’Allemagne doit présenter les mesures concrètes qu’elle va mettre en œuvre pour respecter ses engagements climatiques. Au sein de la classe politique — hormis à l’extrême droite —, une solution fait consensus : il faut mettre fin à l’extraction de charbon. Malgré le développement des énergies renouvelables, la production d’électricité reste encore dominée par la houille et le lignite, et est responsable de près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre du pays.

Depuis l’Accord de Paris en 2015, la coalition des conservateurs et des sociaux-démocrates a déjà sorti du réseau une poignée de centrales à charbon, parmi les plus polluantes d’Europe. Mais cela reste largement insuffisant : l’objectif de 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2020 par rapport à 1990 ne sera pas atteint. « L’effet des mesures prises jusqu’ici a été surestimé », a reconnu en juin dernier la ministre de l’Environnement, Svenja Schulze. Elle l’assure cependant : désormais, l’Allemagne fera tout pour respecter l’objectif de 2030, qui prévoit cette fois une diminution de 65 % des émissions.

Le doute s’est installé sur la capacité de l’Allemagne à tenir ses engagements climatiques. Pour maintenir le réchauffement sous la barre des 2 °C, elle s’est engagée à ne pas dépasser son « budget carbone », c’est-à-dire un plafond d’émissions évalué à 6,6 milliards de tonnes de CO2 pour les prochaines décennies. Mais si rien n’est fait, elle les atteindra en seulement sept ans, prévient un rapport du SRU, le conseil d’experts en environnement du gouvernement.

Les promesses gouvernementales de réduction drastique des émissions de CO2 laissent les défenseurs de l’environnement d’autant plus sceptiques qu’un symbole de la lutte contre le charbon est justement en train d’être détruit. La forêt de Hambach, dans l’ouest de l’Allemagne, doit laisser place aux excavatrices de la compagnie RWE, propriétaire de la mine de charbon voisine. Seule la justice peut encore arrêter RWE : mi-octobre, elle doit statuer sur la demande de classement de la forêt en site Natura 2000 formulée par l’ONG Bund, ce qui rendrait son abattage illégal.

Pourtant, depuis bientôt trois semaines, la police évacue la Zad qui occupe les lieux, officiellement en raison de « risques élevés d’incendie ». Mardi 2 octobre, sous la protection des forces de l’ordre, des employés de RWE ont commencé à installer une clôture et à creuser un fossé pour empêcher toute nouvelle intrusion. L’opération de grande ampleur, durant laquelle un blogueur a perdu la vie, choque au-delà des cercles écologistes et alimente les soupçons de collusion entre le pouvoir politique et l’industrie du charbon.



Manifestation pour la préservation de la forêt de Hambach et contre les énergies fossiles, le 30 septembre, près de la forêt de Hambach.

Plus de 20.000 personnes sont attendues sur place samedi 6 octobre pour réclamer la sauvegarde de la forêt de Hambach. « Le gouvernement régional se fait le sbire de RWE et sape l’État de droit, de plus en plus de gens ont du mal à le comprendre », affirme Dirk Jansen de l’ONG Bund. Selon un sondage, 75 % des Allemands interrogés s’opposent à la disparition de la forêt, et ils sont presque autant à souhaiter une sortie du charbon d’ici 2025 ou 2030.

L’affaire perturbe les travaux de la « commission pour la croissance, les changements structurels et l’emploi », chargée — comme son nom ne l’indique pas — d’élaborer le plan de sortie du charbon et de reconversion des régions concernées. Autour de la table, 31 représentants de syndicats miniers, d’associations environnementales, d’industriels et de responsables politiques doivent, en quelques semaines, trouver une issue à un débat qu’aucun gouvernement allemand n’a jamais réussi à trancher.

Tous s’accordent à dire que la fin du charbon est inéluctable. Mais le lobby de l’industrie cherche à la retarder le plus possible, agitant des menaces sur l’emploi et la sécurité de l’approvisionnement en électricité. À l’inverse, les associations environnementales demandent une sortie rapide.

Une proposition de compromis a récemment fuité dans le journal Der Spiegel : Ronald Pofalla, proche de la chancelière Angela Merkel et coprésident de la « commission charbon », suggère de fermer immédiatement sept centrales à charbon, puis de mettre définitivement fin à la production entre 2035 et 2038. « Inacceptable », pour le directeur de Greenpeace Allemagne, Martin Kaiser, qui refuse d’aller au-delà de 2030. « Inacceptable » aussi pour la compagnie RWE, qui, dans un communiqué, « espère que la commission parviendra à des décisions qui donneront la sécurité nécessaire aux entreprises, à leurs employés et aux habitants des régions touchées ». Le premier énergéticien allemand refuse d’arrêter ses centrales avant 2045.

La conciliation de positions si divergentes confine au casse-tête. Tandis qu’Angela Merkel se garde bien de s’immiscer dans le débat, son ministre de l’Économie, Peter Altmaier, appelait cet été à « ne pas foncer tête baissée dans la transition énergétique ». Autrement dit, à ne pas brusquer les acteurs du secteur, en particulier en Lusace, cette région d’ex-RDA où le charbon fait vivre des dizaines de milliers d’habitants et où le parti d’extrême droite AfD prospère.

Pourtant appelé à remplacer la houille et le lignite, l’éolien a vu son développement ralenti depuis 2017. À la faveur du passage du secteur aux appels d’offres, le gouvernement limite désormais l’installation d’éolien terrestre à 2.800 mégawatts par an, bien loin des 4.600 mégawatts qu’on enregistrait lorsque Berlin soutenait tous les projets, avec un prix fixe de rachat d’énergie. Résultat, selon le syndicat IG Metall, pas moins de 5.000 emplois ont déjà été détruits dans l’éolien, et 20.000 de plus sont menacés. « Les emplois dans le charbon sont considérés politiquement comme plus importants que ceux de l’éolien, alors qu’ils sont bien moins nombreux, observe Claudia Kemfert, de l’Institut allemand de recherche économique DIW. Le lobby du fossile trouve donc une oreille attentive auprès du gouvernement. »

Autrefois pionnière de la transition énergétique, l’Allemagne prend du retard. Dans un rapport cinglant publié la semaine dernière, la Cour fédérale des comptes juge l’Energiewende « mal coordonnée », « mal contrôlée », et pointe du doigt le risque d’une « perte de confiance » de la population. Alors que Berlin peine à atteindre ses objectifs d’énergies renouvelables, onze pays de l’Union européenne les remplissent déjà. L’Allemagne pointe seulement au 22e rang mondial de l’indice de performance climatique.

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