Enjeux numériques des territoires : le citoyen-utilisateur au centre des réflexions

Gilles Babinet
26 Mars 2019


Conseiller sur les questions numériques


Les mouvements sociaux des derniers mois ont mis en lumière les enjeux numériques auxquels fait face la France depuis maintenant plusieurs décennies. Afin de les comprendre, il est indispensable de regarder les transformations démographiques qu’ont subies les territoires depuis un siècle. Aujourd’hui, la migration des citoyens depuis les espaces ruraux vers les villes a eu pour conséquence une remise en cause profonde des modèles de fonctionnement des services publics, qui peinent encore à opérer de manière équitable partout en France. Au delà d’une virtualisation des services physiques existants, c’est une refonte de l’offre qui doit s’amorcer, afin de placer l’utilisateur-citoyen au centre de l’équation. En d’autres termes, il ne s’agit pas de numériser des formulaires administratifs au sein d’une procédure aboutissant à la délivrance d’un document en guichet physique. Plutôt, il serait souhaitable de considérer l’expérience de l’utilisateur-citoyen tout le long de son parcours : accompagner sa démarche en proposant des formations, centraliser ses informations et les mettre à disposition, développer des interfaces simples, proposer des livraisons sécurisées… Gilles Babinet, conseiller numérique de l’Institut Montaigne, nous livre son analyse pour relever ces défis.

Les enjeux numériques, conséquences de la transformation physique des territoires
La transformation des territoires ruraux ne date pas d’hier. Cela fait 130 ans que ceux-ci souffrent d’un effet d’effritement démographique, qui connaîtra son apogée au cours des décennies 1950-70. Le phénomène, que l’on a d’abord estimé stabilisé au début des années 2000, ne s’est toutefois pas partout arrêté. Si le déficit démographique semble se tarir, cela est avant tout la conséquence d’un allongement de la durée de vie qui voit les seniors s’ancrer durablement dans les lieux où ils ont passé leurs vies actives, tandis que les actifs d’aujourd’hui continuent à migrer vers les villes, même si ce phénomène est à présent beaucoup plus lent et d’ampleur variable suivant les territoires.

Les conséquences n’en sont pas moins visibles et cela de façon criante : effondrement du foncier dans de nombreux territoires ruraux et villes de taille moyenne, augmentation forte du chômage par un effet de relation funeste entre absence de capital humain et départ des employeurs à valeur ajoutée, disparition de l’offre culturelle, des services publics, des services de transport et finalement effondrement d’une forme de pacte républicain qui voudrait que l’égalité des chances soit à peu près uniformément distribuée.

La situation dans les territoires péri-urbains n’est guère meilleure : construits dans une époque d’effervescence économique, nombre d’entre eux souffrent structurellement d’absence de lieux où se créent les liens sociaux, premiers facteurs d’une dynamique de mobilité sociale.

Il n’est donc pas anormal qu’en de multiples espaces du territoire, les citoyens se sentent abandonnés. Ici c’est, au prétexte de rationalité économique, une boîte aux lettres jaunes que l’on retire, là une crèche ; à l’occasion d’un acte administratif bénin, on se rend compte que son centre des impôts ou sa sous-préfecture a disparu. On vous invite alors à vous reporter sur le site en ligne pour effectuer vos démarches. A ceux qui ont une mauvaise connexion ou une faible connaissance de l’internet, il faudra infiniment plus de temps pour réaliser le parcours administratif demandé qu’il en aurait fallu avec un agent administratif ; quelques jours plus tard, l’usager recevra un email lui annonçant que le document souhaité est prêt : à condition de venir le retirer à la préfecture qui se trouve désormais à 30 kilomètres. Ce tableau peut sembler exagéré à ceux qui vivent dans les grandes villes. En réalité, il n’a rien de caricatural et des centaines de milliers de Français semblent, à la lecture des commentaires disponibles sur le site du grand débat, avoir eu ce type d’expérience.

A cela, il convient d’ajouter le lent effondrement de nombreux centres-villes de taille moyenne : les commerces ont fermé pour se transborder dans des zones d’activités certes moins chères mais détruisant le lien social et, pour une multitude d’individus, la possibilité de vivre convenablement de leurs propres commerces. Certes, il n’y a pas là que les politiques publiques à blâmer : les réseaux sociaux, l’e-commerce, ont continué de renforcer les comportements individuels, que la télévision avait déjà fortement accru. Reste que l’un des constats que font les gilets jaunes eux-mêmes au travers de leur révolte, c’est l’existence d’une "solidarité de rond-point" qu’ils avaient suffisamment perdus pour qu’en soi, elle représente le premier bénéfice de leur lutte.

Cette population issue de territoires chroniquement sinistrés se compte en millions. Sa mobilité sociale n’a eu de cesse de se réduire au cours des décennies écoulées ; et la perspective que les générations à venir vivent, au sein de ces espaces, moins bien que leurs ainées s’y est déjà largement réalisée. Une génération, bientôt deux auront affronté ce lent envasement. Les perspectives de la révolution numérique, de l’e-commerce, de l’intelligence artificielle, des révolutions énergétique et environnementale y sont perçues, par expérience, surtout comme des menaces.

Des politiques publiques volontaires mais insuffisantes
À l’égard du numérique, la France a mis en œuvre une politique plutôt volontaire et déployée sur plusieurs axes :




EN MATIÈRE D'INFRASTRUCTURE
Dès 2013, la France lancera le plan très haut débit en investissant assez largement dans une infrastructure en fibre avec un montant total de 20 milliards d’euros environ ; toutefois, les spécificités d’un territoire largement rural et aux caractéristiques géographiques variées, doublés d’une complexité de gouvernance de ce plan d’investissement, font que la France recule légèrement dans les classements liés à cet enjeu, la plaçant à la 25ème place sur les 27 pays membres de l’Union européenne. Cette mauvaise performance ne doit cependant pas occulter son très bon niveau de couverture en ADSL (97 % et 3ème du classement), à relativiser toutefois dans la mesure où 17 % des Français n’accèdent toujours pas au haut débit, soit pour des questions économiques, soit par déficit de compétences en matière numérique.

L’accès à internet reste fortement corrélé à la situation territoriale et le taux d’abonnement s’étend de moins de 60 % dans certains territoires délaissés où se comptent beaucoup de "zones blanches", à pratiquement 100 % dans la totalité des grandes villes françaises. Certes, la situation continue d’évoluer de façon rapide. D’une part parce que le régulateur français contraint fortement les opérateurs à investir, et d'autre part parce que l’avènement de la 4G et bientôt de la 5G facilitent considérablement l’accès des foyers se trouvant en zones blanches ou à accès ADSL limité. Toutefois, la 5G va à nouveau engendrer des fractures, puisque son déploiement se fera d’abord dans les grandes villes, qui jouiront d’un accès Internet plus rapide. Celles-ci deviendront immanquablement, dans le temps court, des zones d’expérimentation privilégiées pour tester les nouveaux services rendus possible par le réseau.

EN MATIÈRE DE COMPÉTENCES NUMÉRIQUES

Le taux d’illettrisme numérique français reste particulièrement corrélé à ces chiffres, démontrant si cela était nécessaire l’iniquité de situation existante entre les territoires métropolitains, ruraux ou même péri-urbain. En ce qui concerne l’usage de l’Internet dans les territoires ruraux, la Commission européenne place la France en 19ème position, tandis que selon le Syndicat de la presse sociale, le taux d’illectronisme (absence de maîtrise d’internet) s’établissait en 2018 à 23 %.

Au delà de la capacité à utiliser Internet, inégale sur les territoires, il existe également un décalage, au sein des zones urbaines, entre les personnes qui créent et comprennent le fonctionnement des nouveaux services numériques, et celles qui les utilisent. Ces dernières ont peu de visibilité sur les systèmes technologiques qui souvent prennent des décisions pour elles, ce qui accroît la défiance qu’elles peuvent avoir envers la technologie. Il en va ainsi du management algorithmique sur les plateformes de livraison, dont les règles restent encore peu compréhensibles pour les premiers intéressés.

On comprend donc pourquoi la notion de fracture numérique est en forte résonnance avec les revendications généralement émises par les Gilets Jaunes : sentiment de déclassement par rapport aux métropoles, craintes vis-à-vis d’un monde incompris, incapacité à accéder aux services publics, soit par manque d’accès, soit par manque de compétences numériques, lorsque ce ne sont pas les deux conjugués.

EN MATIÈRE DE SERVICES NUMÉRIQUES
Les services nationaux sont, par définition, identiques d’un bout à l’autre du territoire (déclaration d’impôts, état-civil, pièces administratives, etc.) et ne sont limités que par les deux points précédents (accès au réseau et compétences numériques). Trop souvent toutefois, la numérisation ne s’est pas accompagnée d’une refonte des services publics, mais plutôt d’une transposition telle quelle. Il en résulte des frustrations compréhensibles : des pièces complémentaires physiques, en papier, restent nécessaires, les services ne sont que rarement intégrés soit totalement exécutables en ligne, et le passage par un guichet dans une administration reste trop souvent impératif.

S’il n’existe pas à proprement parler une mesure de la qualité de l’expérience utilisateur des services publics numériques, il est surprenant d’observer la situation singulière de la France, l’un des rares pays où les administrés semblent craindre que le numérique complexifie leur rapport à l’Etat au lieu de le simplifier. Lors d’une conférence tenue en octobre 2018, des chercheurs du Think Tank Finlandais Solida observaient que la simplicité est un point déterminant dans l’adoption des services d’ e-administration et soulignaient les importantes différences de complexité existants entre le portail fiscal finlandais Vero et son équivalent français, pourtant invariablement cité en exemple par les représentants de la fonction publique française comme une réussite. Sur Vero, la totalité des démarches fiscales finlandaises sont présentes et aisément accessibles. Nul besoin de l’assistance d’un conseil pour traiter ses obligations fiscales, le site en lui-même se résumant à quelques dizaines de pages et traite la quasi-totalité des rentrées fiscales de la nation.


Les services numériques de proximité sont dans une situation plus hétérogène dans la mesure où leur production dépend d’entités (conseils généraux ou régionaux, mairies…) qui ne sont que rarement coordonnées. Si les services numériques de certaines villes sont particulièrement performants (Lille, Lyon, Rennes, Toulouse, Bordeaux…), les services à destination des territoires péri-urbains et ruraux sont très largement moins qualitatifs.

Quelques acteurs de services publics, au premier titre desquels la Poste, ont toutefois investi ce segment, proposant une large palette d’offres, compensant la fermeture des bureaux locaux et au-delà redéployant une offre de proximité auprès des habitants ruraux : éducation, assistance à personnes âgées, gardiennage, etc. Le récent rattachement de La Poste à la Caisse des dépôts vise d’ailleurs à amplifier cette dynamique tout en l’articulant avec la Banque des territoires, qui met également le numérique au cœur de sa stratégie. Cette dernière vise en effet à développer une catégorie de services destinés aux acteurs territoriaux (administrations territoriales, bailleurs sociaux, notaires, etc.) à plus forte valeur ajoutée par le biais d’une plateforme numérique centralisée.

Enfin, la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l’État (Dinsic) met en œuvre le programme Dcant, dont l’objectif consiste à créer une nouvelle catégorie de services numériques destinés aux administrés des collectivités territoriales. Pour l’instant, cette initiative se concentre sur les notions d’infrastructures numériques, alors que les services de proximité proposés restent limités.
Un parcours semé d'embûches

La numérisation des services publics s’est donc prioritairement concentrée sur les fonctions centrales pour lesquels les gains d’échelle étaient évidemment les plus importants. L’un des premiers de ceux-ci, on l’a vu, a été la déclaration d’impôts. Jusqu’à aujourd’hui, rares ont été les services numériques qui ont été créés spécifiquement parce qu’ils permettaient de promouvoir de nouvelles formes de services publics. Encore plus rares ont été les services à vocation territoriale qui donnent aux administrés le sentiment que de nouvelles politiques publiques les atteignent concrètement.

Or, les enjeux des territoires, l’actualité nous le rappelle sans cesse, sont immenses ; les principes d’égalité des chances qui sont consubstantiels de notre république y sont profondément ébranlés par la diffraction qui existe en matière d’offre de services publics génériques entre les métropoles et le reste.

Des services essentiels pour le bien-être des citoyens n’ont tout simplement pas même été envisagés. Qu’il s’agisse des services sociaux, de l’offre de transport ou encore de la rénovation énergétique, il ne fait que peu de doute que les plateformes numériques pourraient significativement aider à une amélioration de l’efficacité de l’offre. Or ces services restent pour l’essentiel équipés d’outils plus ou moins identiques depuis des décennies. La transformation de ces services pose des difficultés de différentes natures, ce qui rend son traitement particulièrement complexe.





ENJEUX D'EXPERTISE
Si au sein de l’État central, les compétences restent encore rares et les informaticiens encore largement formés à des méthodes de développement traditionnel (Moa-Moe, cycle en V…), l’expertise au sein des acteurs territoriaux est encore plus hétérogène et de faible niveau tandis que les modèles de gestion de carrière privilégient l’avancement à l’ancienneté et les modèles de management très hiérarchiques, ce qui ne facilite évidemment pas l’évolution du capital humain vers des expertises propres au monde digital. De surcroît, le retour presque systématique à la sous-traitance concernant les infrastructures essentielles limite profondément les opportunités d’intégrer une expertise propre à permettre des innovations de rupture dans les services produits.

ABSENCE D'INFRASTRUCTURE TECHNOLOGIQUE, ET LIMITES RÉGLEMENTAIRES

Au-delà des enjeux de compétences, il n’existe pas, comme on l’observe dans d’autres Etats européens, d’infrastructure numérique et de schéma général technologique ("framework") permettant d’accélérer le déploiement de nouveaux services ; c’est d’ailleurs l’un des objectifs prioritaires du Dcant, cité plus haut. Ainsi, l’absence d’une identité électronique forte, et plus encore d’un cadre réglementaire plus souple, permettant de proposer des services "a priori" en fonction de données déjà rapprochées, limite de façon structurelle la capacité à proposer des services à forte valeur ajoutée. Par exemple, il serait particulièrement difficile d’identifier les bénéficiaires d’aides sociales ayant des arriérés de paiement dans les cantines scolaires par incapacité à rapprocher les données de façon électronique. Des limites issues de normes administratives justifiées par la nécessité d’éviter les abus, mais qui se traduisent souvent en une incapacité à créer des politiques publiques ciblées. Ces enjeux se répètent à l’envie à l’égard de la sécurité, de la "cloudisation", de l’architecture, de la distribution (via des API), etc.

FAIBLE STRATÉGIE DE CHANGEMENT

La faiblesse de l’expertise, l’absence d’infrastructures et le cadre réglementaire contraignant limitent donc fortement les possibilités d’un développement rapide de services innovants. Au-delà, la difficulté de créer une dynamique qui soit inclusive et vertueuse doit être pointée du doigt. Trop souvent, les services numériques sont construits en dépit des besoins réels et ne tiennent pas compte, ou faussement compte, des possibilités d’innovations induites par les modèles de management propres au numérique (scrum - méthodes agiles de gestion de projet -, design thinking) qui accordent une grande place à l’usager final et donc à la cohérence de l’ensemble du parcours de l’usager. Ainsi beaucoup de services sont des réplications de ce qui existe dans le monde administratif classique. Et sous couvert de vouloir éviter de se confronter à la norme, au règlement administratif ou même à la législation, on accepte des contorsions qui rendent ces services indigestes et frustrants. Renouveler un permis de conduire, demander une aide à l’amélioration de l’isolation d’un logement, traiter ses dossiers maladies sont quelques-uns des services qui suivent cette logique de parcours administratif reproduisant le parcours physique. Ceci est d’autant plus problématique que les utilisateurs-citoyens sont des habitués à des services user-centric de qualité très nettement supérieure offerts par les grands acteurs numériques.
Construire les politiques publiques du XXIème siècle à l’aide du numérique

La transformation digitale de l’administration est déjà une affaire ancienne : le premier service de déclaration de revenu en ligne a été créé en… 2004, et depuis largement amélioré. Toutefois, il ne fait guère de doute que l'État central, tout comme les collectivités territoriales, a des difficultés significatives à créer une dynamique de changement rapide.

Ces changements, nous l’avons vu, n’induisent pas nécessairement la simplification que l’usager serait en droit d’attendre. Quelques mesures fortes semblent à recommander.





Proposition 1 : créer des espaces d’innovation autonomes sponsorisés par la puissance publique
S’il est certain que les startups sont mieux à même d’introduire des innovations radicales dans notre vie quotidienne, leur capacité à innover dans le domaine des services publics est plus questionnable ; elles rencontrent en effet le syndrome du "Not Invented Here" qui consiste à décrier une invention externe pour tout un tas de raisons, justifiables ou pas. Dans le domaine de la fonction publique, les garde-fous réglementaires ou législatifs sont souvent utilisés pour dénigrer une innovation. Les réticences à vouloir faire évoluer les processus de production d’une administration peuvent aussi justifier du rejet d’un nouveau procédé.

A l’opposé, les expériences d’innovation internes à l’administration sont généralement décevantes dans la mesure où les innovateurs internes n’osent pas, surtout par déférence professionnelle, créer des expériences radicales qui, c’est important de le souligner, nécessitent presque toujours de franchir plus ou moins quelques lignes jaunes pour rentrer en territoire inconnu. Il est donc nécessaire de créer un statut hybride. La Dinsic a ainsi créé sous l’impulsion de son ancien directeur le concept de startup d’État, un espace d’autonomie dédié aux agents de la fonction publique souhaitant développer une innovation de service. Ce dispositif louable n’est toutefois accessible qu’aux acteurs internes de la fonction publique.

A l’autre bout du spectre des innovateurs de services publics se trouve Bayes impact, une association dont la vocation est de développer des services publics dans un cadre citoyen, fondée par Paul Duan. Si le cadre des startups d’État prend le risque d’être trop protecteur de la norme administrative, celui de Bayes impact rencontre la difficulté d’être rejeté par la culture par nature conservatrice de la fonction publique. On le conçoit donc, il n’existe pas de solution idéale et le cadre optimal reste à inventer ; toutefois, la nature même de l’innovation -de rupture- que permet le numérique milite en faveur d’un mode d’innovation externe qui, idéalement, aurait la bénédiction morale et le parrainage effectif de l’administration, ainsi qu’un cadre réglementaire protecteur.

Il importe de souligner qu’il est impossible d’innover réellement sans accepter une certaine forme de transgression ; de surcroît, l’implication citoyenne est essentielle pour réussir, particulièrement dans les territoires, à générer des services qui trouveront une réelle adhésion auprès d’un public par définition difficile à saisir.

Proposition 2 : systématiser le benchmark européen

Recourir au benchmark pour s’assurer d’adopter les meilleurs pratiques avant de se lancer dans le développement d’un nouveau service semble une recommandation incontournable. Pourtant, rares sont les innovateurs qui se donnent réellement la peine de faire sérieusement ce travail. L’analyse des pratiques permet néanmoins de trouver nombre de fonctionnalités et pratiques vertueuses qu’il serait souhaitable d’adopter. C’est souvent la méconnaissance des nombreuses langues étrangères qui limite ces pratiques, même si Google est désormais capable de traduire à peu près n’importe quel site (bien que cela reste parfois fait de façon approximative).

Proposition 3 : libérer les données d’intérêt général

Dans de très nombreux cas, l’accès à des données disponibles sur des sites privés permettrait de beaucoup mieux cadrer le développement d’un service. Ainsi, disposer d’un accès aux données d’offres d’emplois disponibles sur le site du BonCoin permettrait au développeur d’un service de formation concernant les emplois de proximité d'accroître la pertinence de son offre, en la localisant et en la spécialisant. D’une façon générale, les grandes plateformes possèdent infiniment plus d’informations que les instituts de statistiques publiques sur leurs citoyens. Envisager que ces plateformes ouvrent aux chercheurs ainsi qu’aux développeurs de services publics leurs données, de façon anonyme, paraît être une recommandation forte et nécessaire.

Proposition 4 : utiliser le service civique pour adresser l’illectronisme

La France est loin d’être la seule à s’inquiéter de la part de sa population qui n’accède pas à internet ou qui ne sait pas utiliser des services numériques. Dans de nombreux pays (Danemark, Royaume Uni, Slovénie…), le recours à la société civile a été employé pour créer des programmes de formation pour ceux qui sont en situation d’illectronisme. En France, le service citoyen qui, par définition, adresse des populations jeunes et que l’on peut considérer engagées, semble une piste de réflexion intéressante pour un tel programme.

Proposition 5 : le Code et le Design Thinking avant la norme administrative
La recommandation la plus importante toutefois consiste à privilégier la pensée design ou le design de service comme approche pour concevoir de nouvelles offres numériques. Cela semble une évidence mais encore aujourd’hui, nombre d’innovations sont faites en ne tenant que très imparfaitement compte des besoins étendus des utilisateurs. Le travers le plus commun consiste à se tromper de client et à servir l’administration et même le corps politique en se pliant à leurs exigences avant de servir l’usager. La bonne pratique, comme évoqué plus haut, consiste au contraire à ne pas hésiter à créer des services intégrés, quitte à repenser la norme administrative et à bousculer les usages. Un service comme le CESU (emploi à domicile) est un exemple rare de ce qu’il convient de faire ; il est d’une grande simplicité, mais a nécessité une adaptation réglementaire pour qu’il en soit ainsi. Si les requêtes de certaines parties prenantes avaient été suivies, l’usager aurait, entre autres choses, eu à revalider des conditions juridiques à chaque visite et l’expérience en aurait été incomparablement plus complexe qu’elle l’est aujourd’hui. Le recours à des pratiques éprouvées de développement, impliquant usagers, "product owners", designer, etc. est également vivement à recommander.

Conclusion
Passer quelques heures sur le site du grand débat est, pour quiconque s’intéresse aux politiques publiques, d’un intérêt immense tant les propos tenus sont authentiques et parlent d’une réalité que nombreux parmi ceux qui s’intéressent aux politiques publiques ignorent. En soi, c’est la démonstration que le potentiel d’innovations envisageables pour ces territoires est sans limites.

Pourtant, il y beaucoup de la coupe aux lèvres. Si le gouvernement semble mettre un certain sérieux à ouvrir ce dialogue avec les Gilets Jaunes et plus largement avec ceux qui vivent en dehors des métropoles, l’inquiétude peut venir d’un naturel que l’on sent disposé à revenir plus qu’au galop. Car l’Histoire de France est aussi une histoire d’évitement ; une histoire qui a souvent privilégié la verticalité, et qui s’inquiète de l’émergence de sociétés civiles qui existeraient en dehors des corps constitués. Finalement, lorsqu’une revendication se fait entendre, l’habitus le plus commun consiste à créer une institution qui va la canaliser et ainsi éviter toute radicalisation.

Le phénomène des gilets jaunes tend à montrer qu’au XXIème siècle, il est désormais nécessaire de rentrer dans de nouvelles formes d’interactions. Le choix a été retenu de faire des Grands Débats. Peut-être aurait-il été préférable de faire des "Ateliers de Travail des Territoires" ; des lieux dans lesquels, plutôt qu’évoquer de grands principes à l’égard de politiques publiques nationales, de la fiscalité, des institutions, on s’emparerait des vrais problèmes de vrais gens pour y apporter des solutions à l’aide du numérique. En favorisant systématiquement une approches citizen-centric contre un simple souhait de virtualisation des procédures existantes, l’on rentrerait ainsi de plain pied dans le potentiel de la révolution numérique.


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