Electricité: le candide et le spécialiste

Michel GAY
27/03/2019


La Commission européenne à Bruxelles a considéré que les fournisseurs alternatifs d’électricité ne pourraient pas se développer en France à cause des coûts de production « trop bas » de l’électricité nucléaire d’EDF. Elle leur a donc permis d’accéder à une partie de cette production nucléaire à un « prix d’ami » appelé « ARENH » (Accès Régulé à l’Energie Nucléaire Historique).

Candide : pour le consommateur qui dispose déjà d’une électricité bon marché, quel est l’intérêt de faire intervenir une concurrence qui va faire monter le prix d’achat ?

Spécialiste : Bruxelles pensait (bêtement ?) que la mise en concurrence et l’ouverture des marchés devait « mécaniquement » faire baisser les prix pour le consommateur… Mais, en France, seul pays d’Europe où un tel outil de régulation a été mis en place, c’est le contraire qui est arrivé.
Aujourd’hui il existe 70 revendeurs d’électricité qui achètent et revendent avec des prix parfois plus bas que ceux d’EDF. Comme ils ne possèdent pas de moyens de production, ils font des efforts sur leur frais commerciaux et sur leur marge, et proposent des services complémentaires (entretien des chaudières pour le gaz, plomberie, serrurerie, …).

C : Est-il exact qu’il y a toujours du vent quelque part pour les éoliennes ?


S : Le message du « foisonnement » qui permettrait d’avoir toujours de l’électricité parce qu’il y a toujours du vent quelque part est contredit par la réalité où les périodes d’hiver anticyclonique (avec peu de vent) sont fréquentes.
La période de canicule de l’été dernier s’est traduite par une longue absence de vent (l’éolien a représenté 1,5% de la production d’électricité).
Le futur système électrique programmé devient dangereux car des énergies pilotables seront fermées (centrales nucléaires en France, mais aussi en Allemagne et en Belgique). De plus, le « zéro gaz en 2050 » prévu paraît impossible car c’est le moyen le plus simple de pallier la défaillance des renouvelables quand il n’y a ni soleil ni vent.
Il semble que le pragmatisme commence à faire valoir ses droits dans le gouvernement. Le fait que la France dispose d’une filière industrielle nucléaire performante, amortie, et qui produit de l’électricité à bas coût sans émission de CO2 est de mieux en mieux intégré dans les réflexions.

C : Combien ça coûte ?

S : La législation qui offre aux énergies renouvelables intermittentes une obligation d’achat à des prix supérieurs aux prix du marché mettent en péril la rentabilité d’autres moyens de productions (cycles combinés au gaz en particulier) qu’il est nécessaire de conserver pour pallier l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque.
Le prix de vente au consommateur de l’électricité peut se décomposer en trois grandes composantes et représente environ un tiers du coût payé par le consommateur :
– La production,
– Le transport et la distribution,
– Les différentes taxes.

Le coût hors taxes (production, transport et distribution) a subi une augmentation de 50 % entre 2009 et 2018.
Le surcoût de production des énergies renouvelables intermittentes est financé par des taxes.
Ce financement a été assuré par l’intermédiaire de la Contribution au Service Public de l’Électricité (CSPE) jusqu’en 2015.

Depuis le 1er janvier 2016 ce financement est assuré par le Compte d’Affectation Spécial à la Transition Énergétique (CASTE) alimenté à partir des Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques (TICPE) prélevées, en partie, sur les carburants.
Le montant du CASTE était de 4,2 milliards € en 2016.
Il a été de 7,2 milliards € en 2018 dont 5,4 milliards € attribués aux énergies éolienne et photovoltaïque.

Le budget prévu pour 2019 est de 7,3 milliards €.

Le soutien aux énergies renouvelables intermittentes représente plus de 50 % de la taxe CSPE (le photovoltaïque représente à lui seul 40 %).
Elle ne couvre pas en totalité le manque à gagner d’EDF imposé par l’obligation d’achat des productions intermittentes à des prix largement supérieurs aux prix de marché de l’électricité, malgré sa multiplication par 5 entre 2009 et 2016.

La Commission de Régulation de l’Energie (CRE) proposait tous les ans un taux de la CSPE qui aurait permis de réduire ce manque à gagner. Mais le taux retenu a toujours été inférieur au taux proposé, ce qui a amplifié le « trou » dû aux obligations d’achats (l’Etat s’est engagé début 2014 à verser 5 milliards d’euros à EDF pour compenser ce manque à gagner).

L’augmentation qui apparaît sur le graphique à partir de 2009 correspond à l’émergence des énergies renouvelables intermittentes. 




Il faut noter que la CSPE est maintenue. Elle reste bloquée à 22,5 €/MWh et la part qui était auparavant affectée aux surcoûts des productions renouvelables est dorénavant reversée directement dans le budget de l’Etat ! Cerise sur le gâteau ces différentes taxes sont assujetties à la TVA.

C : Quand les subventions aux énergies renouvelables vont-elles cesser ?

S : Il est prévu de ne plus subventionner les EnR… un jour. Le prix des enchères en Allemagne pour 2018 est de 62 €/MWh pour l’éolien et de 52 €/MWh pour le photovoltaïque, ce qui est proche des prix pratiqués à l’heure actuelle pour le consommateur (de l’ordre de 50 € /MWh) mais ce sont des projets qui ne sont pas réalisés… Les participants aux appels d’offres ont besoin d’avoir des contrats pour occuper leurs usines de production.

Or s’ils ne réalisent pas ces projets alors qu’ils sont validés les amendes sont faibles. Les industriels proposent donc des solutions à bas coûts avec des machines qui n’existent pas encore (surtout pour l’offshore). Ils provisionnent les coûts des éventuelles amendes sur les parcs d’éoliennes en fonctionnement aujourd’hui qui rapportent beaucoup grâce aux subventions publiques.

Ils ont ainsi l’assurance qu’il y aura une rémunération proche du prix de marché sur le long terme, pendant 20 ans ou 25 ans.

En France, le gouvernement a dit que : soit un futur stockage est capable de satisfaire le problème de l’équilibre offre-demande à un coût raisonnable (ce qui est loin d’être acquis), soit il faudra investir dans le nouveau nucléaire. Ce message important a été occulté par les médias.

C : Dans le débat sur les renouvelables, les besoins nécessaires au « back up » (soutien) des renouvelables pour assurer en permanence l’équilibre entre la demande et la production d’électricité ne sont jamais abordés. Comment présenter une situation plus cohérente avec la réalité technique et économique ?

S : La simplification du débat occulte ces problèmes tant que la part de renouvelables intermittentes représente une petite part, comme c’est le cas aujourd’hui (moins de 10%). Ce sont le nucléaire, l’hydraulique et le gaz qui pallient actuellement l’intermittence et les productions excessives.

Le gouvernement dit que le stockage devra apporter la solution. Et si ce n’est pas le cas, alors le renouvellement du nucléaire sera le recours.

C : Le démantèlement est-il compris dans le coût de l’éolien ?

S : Le coût du démantèlement incombe à l’exploitant et dépasse largement ce que le propriétaire du terrain a reçu pendant toute la vie de l’éolienne. Toutefois, en cas de défaillance, la loi « pollueur-payeur » stipule que le propriétaire du terrain se substitue au promoteur. Mais ce dernier « s’arrange » souvent pour n’être plus solvable…

C : Quel est le but du marché de capacité ?

S : L’actuel marché de l’électricité ne suffit plus à inciter les industriels à investir dans des moyens de production, en particulier, dans les nécessaires moyens de pointe peu utilisés (en particulier s’il n’y a pas de période de froid), et qui rapportent peu. Donc, il faut mettre en place un système qui rémunère la… capacité à produire, et non la seule production.

Des certificats de capacités correspondant à ces puissances disponibles sont attribués aux exploitants.

Les panneaux photovoltaïques qui n’apportent pas de capacités pour passer les pointes (en particulier le soir vers 19h) ne bénéficient pas du certificat de capacité.

C : La demande d’accès au tarif ARENH (Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire Historique) est-elle justifiée ?

S : Aujourd’hui, l’ ARENH permet aux fournisseurs alternatifs d’avoir accès jusqu’à 100 TWh de « nucléaire EDF », ce qui est un « vol légal ». Les revenus de l’entreprise EDF sont plafonnés, mais pas les pertes, et elle n’est pas indemnisée quand les fournisseurs choisissent les prix de marché lorsqu’ils sont inférieurs à celui de l’ ARENH (42 €/MWh).

Ces 70 fournisseurs alternatifs vendent aujourd’hui environ 190 TWh dont 133 TWh (70% de leurs ventes) proviennent de l’ ARENH. La consommation annuelle en France est d’environ 450 TWh.

C : Pourquoi la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) est-elle silencieuse dans les débats actuels ?

S : La DGEC est l’administration au service du ministre. Elle le laisse présenter les choix qui sont faits.

C : Pourquoi l’Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie (ADEME), a contrario, intervient beaucoup ?

S : Les messages de l’ ADEME sont ambigus. Ils apparaissent comme officiels (parce que c’est une agence d’État) alors qu’ils ne sont que l’émanation d’un organisme qui réfléchit à certaines options.

Par exemple, leur scénario 100% renouvelable est un « exercice de style » qu’ils défendent ardemment face à leurs « adversaires » mais qui montre, au contraire, qu’il est irréalisable à cause des hypothèses fantaisistes qui le parsèment.

Les responsables politiques devraient veiller à ce que les subventions publiques ne créent pas de fortunes personnelles en dévoyant le système via des effets d’aubaine.

C : En cas de panne généralisée (« black-out ») qui sera responsable ?

S : Personne ! Jean Bernard Levy, le PDG d’EDF, a déclaré que ce ne serait pas lui… Mais c’est bien lui qui va l’être vis-à-vis de l’opinion.

C : La France est-elle encore capable de construire des centrales nucléaires ?

S : La date limite au-delà de laquelle la France risque de perdre toutes les compétences techniques est abordée dans le rapport de Yves d’ Escatha et de Laurent Collet-Billon qui préconise de construire 6 EPR à partir de 2025.

Il y a actuellement un retour d’expérience sur la construction de l’ EPR de Flamanville et une recherche de baisse des coûts est en cours. Le premier rendez-vous est fixé à 2022.

Il subsiste en France trois grandes filières industrielles : l’aviation, l’automobile, et le nucléaire.

La première, est une industrie concurrentielle fragile soumise aux aléas du marché mondial.

Les deux autres (automobile et nucléaire) sont menacées.

L’automobile parce que les batteries des véhicules électriques en développement sont fabriquées en Asie. Les compétences des motoristes européens se perdent au profit du moteur électrique plus simple à fabriquer.

Le nucléaire parce que malgré la prolongation du parc, le problème de compétence se pose si un nouveau programme n’est pas relancé. Et ce ne sont pas les renouvelables qui combleront les emplois perdus car elles créent peu d’emplois en France (un peu de maintenance) et en détruisent par ailleurs en accroissant le coût de l’électricité.



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