29/03/2019
Commentaire : (...) "C’est une fois que les parcs éoliens sont installés qu’elles s’en rendent compte. Et là, il est trop tard.[...] Même si un juge te dit : "Tu as raison", il ne dira jamais "faites disparaître ce parc éolien!".[...] Ici, tout a un prix, en particulier les personnes qui occupent certaines positions.[...] ils injectent du ciment en très grande quantité. Dans certains cas, ça se fait dans les veines d’eau. [...] On a déjà les éoliennes ici, elles ne nous ont rien rapporté [...]
Oui, on pourrait dire que nous sommes conservateurs puisque nous voulons conserver la vie, la nature, nos coutumes,"
Aucune différence avec ce qui se passe en France, non? Ah si, chez nous, les opposants ne sont pas menacés physiquement ou tués... pas encore.
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Au Mexique, la résistance indigène aux parcs éoliens
Edgar Martin Regalado, résident d'Union Hidalgo, au Mexique, s'inquiète des dommages causés par les parcs éoliens. Photo: Radio-Canada / Marie-France Abastado
Les multinationales éoliennes se sont implantées massivement dans la région de l'isthme de Tehuantepec, dans le sud du Mexique, et elles voudraient continuer à le faire. Mais les indigènes ne l'entendent pas ainsi, et ils luttent depuis des années pour préserver leur territoire. Voici leur point de vue.
Edgar Martin Regalado nous amène voir les tours éoliennes qui sont à 200 mètres de sa maison à Union Hidalgo, une petite communauté zapotèque de l’État d’ Oaxaca.
« Ça, c’est le bruit normal », dit Edgar, alors que nous nous trouvons au pied d’une tour. Et quand les vents soufflent vers chez lui, le son des pales qui coupent l’air devient difficile à supporter. « De nuit ou à l’aube, quand il n’y a pas d’autre bruit que celui-là, ça réveille ou ça empêche de dormir. »
Un paysage défiguré
Ce parc éolien de l’isthme de Tehuantepec est impressionnant. Il s’étend à perte de vue. Une forêt d’hélices blanches qui viennent obstruer le paysage de montagnes de la Sierra Atravesada qu’Edgar Martin Regalado aimait tant contempler.
Le parc éolien à Union Hidalgo Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
Depuis sa maison d’une pièce où il vit avec sa femme et ses trois enfants, il se désole. Il aurait souhaité qu’on avise les populations locales de l’impact de ce projet sur le paysage.
On n’a donné aucune information aux communautés. C’est une fois que les parcs éoliens sont installés qu’elles s’en rendent compte. Et là, il est trop tard. Même si un juge te dit : "Tu as raison", il ne dira jamais "faites disparaître ce parc éolien!". C’est un peu ce qui est arrivé à Juchitan. Edgar Martin Regalado
Des terres contaminées
La contamination des terres inquiète aussi les habitants d’Union Hidalgo. Edgar Martin Regalado, qui est ingénieur industriel, se préoccupe des déversements d’huile sur le sol et dans l’eau. Car, pour fonctionner, les éoliennes ont besoin d’immenses quantités d’huile comme lubrifiant.
Il soutient que de nombreux paysans se sont plaints de déversements dans leurs cultures. « Quand il pleut, de nombreux poissons émergent, morts. Nous avons demandé des études pour tenter de faire le lien avec la contamination de la terre qui se transmet à l’eau, particulièrement au moment des premières pluies. »
Le reportage de Marie-France Abastado est diffusé le 31 mars à Désautels le dimanche sur ICI PREMIÈRE, dans le cadre de la série Le Mexique, entre l'ombre et la lumière.
L’accès à l’eau, l’enjeu le plus crucial
Mais dans cette région du sud du Mexique où la sécheresse sévit particulièrement fort depuis quelques années, l’accès à l’eau est peut-être l’enjeu le plus crucial pour les habitants. En général, à Union Hidalgo, les gens ont des puits, très en surface. « Et quand ils installent les éoliennes, dit Edgar Martin, ils injectent du ciment en très grande quantité. Dans certains cas, ça se fait dans les veines d’eau. Ils les interrompent et certains nous ont dit que leurs puits en étaient affectés et qu’ils s’asséchaient. »
« Bienvenue à Union Hidalgo » Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
L’isthme de Tehuantepec, un immense potentiel éolien
Ce sont les vents forts et constants qui ont fait de l’isthme de Tehuantepec un pôle de développement de l’énergie éolienne au Mexique. Un formidable potentiel de dizaines de milliers de mégawatts qui pourrait, disait-on, bénéficier aux Mexicains en leur fournissant une électricité moins coûteuse.
Dès la fin des années 80, les entreprises étrangères, européennes pour la plupart, en ont aussi vu tout le potentiel. Peu à peu, elles ont commencé à construire des parcs éoliens, mais sans tenir compte des communautés autochtones locales, tournées surtout vers l’agriculture et la pêche.
Le Mexique est connu pour la corruption qui y règne, soutient Edgar Martin. « Ici, tout a un prix, en particulier les personnes qui occupent certaines positions. » C’est ce qui explique, croit Edgar Martin, qu’en bout de piste, les représentants des gouvernements défendent davantage les intérêts des investisseurs que ceux des habitants de la région.
La résistance des indigènes
Dans une tradition de militance déjà bien implantée à Union Hidalgo, en particulier pour la sauvegarde de la culture zapotèque, les habitants, les anciens comme les plus jeunes, se sont unis pour tenter de faire valoir leurs droits. Car le gouvernement et les entreprises comptent continuer le développement du potentiel éolien de l’isthme de Tehuantepec.
Quand on a su qu’ils voulaient installer plus d’éoliennes, on a dit non. Parce qu’il faut savoir que la terre ici dans l’isthme, légalement, est communale et non pas privée. Et ça, les entreprises l’ont ignoré. Elles ont passé des contrats avec des particuliers, mais en réalité la terre est communale.
Edgar Martin Regalado
Edgar Martin s’est donc joint à un groupe qui travaillait sur la question de la propriété des terres. Ensemble, ils ont acquis des connaissances à ce sujet ainsi que sur les droits de la personne et sur la meilleure façon d’assurer leur sécurité.
L’extérieur de Radio Totopo à Juchitan, dans le sud du Mexique. Photo : Courtoisie de Radio-Totopo
La radio communautaire de la résistance
Radio Totopo est née de ce désir de défendre le territoire. Cette radio communautaire diffuse depuis le quartier des pêcheurs de Juchitan, la grande ville tout à côté d’Union Hidalgo. Comme le dit son identification sonore, elle « alimente la résistance des peuples de l’isthme de Tehuantepec ».
Carlos Sanchez Martinez, cofondateur et animateur de Radio Totopo Photo : Courtoisie de Radio-Totopo
Carlos Sanchez Martinez est un Autochtone zapotèque de Juchitan. En 2006, il est un de ceux qui fondent la radio communautaire Totopo pour « informer la population indigène au sujet de l’arrivée d’autres parcs éoliens d’entreprises transnationales dans l’isthme de Tehuantepec, sur lesquels le gouvernement mexicain ne voulait pas nous donner d’informations ».
Il reconnaît qu’il y a tout de même eu des séances d’information, mais, à son avis, conçues pour des gens éduqués. Pas pour les agriculteurs ou les pêcheurs souvent analphabètes, et les plus touchés par l’arrivée des éoliennes.
Des femmes et des filles zapotèques de Juchitan font la promotion de Radio Totopo. Photo : Courtoisie de Radio-Totopo
Notre principal objectif, c’était d’informer les paysans, les pêcheurs, les femmes au foyer, les ouvrières, et on s’est rendu compte que la radio communautaire était la façon la plus efficace de rejoindre beaucoup de gens. Carlos Sanchez Martinez, cofondateur de Radio Totopo
À partir de 2011-2012, la radio se fait le porte-voix de l’opposition de San Dionisio del Mar et d'Alvaro Obregon. Les deux villages faisaient partie du plan de la multinationale Marenas Renovables. Ce parc éolien y aurait été construit par des entreprises européennes et mexicaines et serait devenu le plus grand du Mexique et l’un des plus importants d’Amérique latine. Mais l’opposition des villageois a eu gain de cause, et le projet a été abandonné en 2014 dans sa forme initiale.
Une murale à Juchitan : « Il n’y a pas d’autre monde où déménager ». Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
Peu de retombées économiques locales
Sur la place centrale de Juchitan, des milliers d’oiseaux passent de branche en branche. Mais dans cette cacophonie s’élève une voix, celle d’une militante des droits de la personne de la première heure. Bettina Cruz fait partie de l’Assemblée des peuples indigènes de l’isthme de Tehuantepec pour la défense de la terre et du territoire.
Bettina Cruz, militante pour les droits de la personne et des indigènes depuis 35 ans. Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
Assise sur un banc et vêtue du costume traditionnel des femmes de l’isthme, elle se demande à qui profitent toutes les éoliennes qui sont déjà implantées. Pas à son peuple en tout cas, dit-elle.
Bettina Cruz trouve que malgré ses 2000 éoliennes, l’isthme ne va pas mieux.
C’est un désastre! Les gens n’ont pas d’argent, ils n’ont pas d’emplois, ils sont pauvres. La militante Bettina Cruz
Celle qui milite depuis 35 ans pour les droits de la personne et particulièrement pour ceux des indigènes souligne le piètre état des infrastructures de sa région, l’absence de dépotoir ou d’usine de traitement d'eau. « Il n’y a pas de travail pour les jeunes, ajoute-t-elle, et la délinquance ne cesse d’augmenter. On a déjà les éoliennes ici, elles ne nous ont rien rapporté, alors pourquoi veut-on nous en installer d’autres? »
Les méga projets d’ AMLO, une autre vision du développement
Pas étonnant donc que Bettina Cruz ne voie pas d’un très bon œil le méga projet de développement de l’isthme de Tehuantepec que le nouveau président mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO), a dans ses cartons.
Ce corridor transisthmique, grâce à de nouvelles infrastructures routières, ferroviaires et portuaires, pourrait faire concurrence au canal de Panama en joignant l’océan Pacifique au golfe du Mexique. Un immense projet de 8000 millions de dollars dans des communautés paysannes et indigènes. Un projet qui non seulement contribuerait au dynamisme de la région, une des plus pauvres du pays, mais pourrait aussi donner de l’emploi aux migrants centre-américains qui affluent en nombre croissant au Mexique.
« C’est une réédition de vieux projets des anciens présidents du Mexique, d’Enrique Pena Nieto de Calderón, de Fox, de tous ceux qui ont été là auparavant », affirme Bettina Cruz. À son avis, ce corridor transisthmique a été dans la tête de tous ceux qui sont venus ici et qui ont vu la position géostratégique de l’endroit, depuis les disputes territoriales entre les Aztèques et les Zapotèques.
N’empêche, pour les indigènes, le projet de développement de l’isthme pourrait constituer une autre façon de les déposséder de leurs territoires. Et la promesse du président Lopez Obrador de consulter la population n’a rien pour rassurer la militante Bettina Cruz.
Non seulement c’est une réédition de vieux projets, mais en plus on fait semblant de vouloir avoir notre avis. On fait des consultations au niveau national alors que c’est nous que ça touche et on ne nous consulte pas. La militante Bettina Cruz
AMLO s’en prend aux opposants aux méga projets
Cette opposition des indigènes aux méga projets ne se fait pas sentir que dans l’isthme de Tehuantepec, mais aussi dans d’autres régions du Mexique. C’est sans doute ce qui explique qu’ils sont souvent perçus comme des freins au développement du pays, même par le président Lopez Obrador.
Le président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador durant une conférence de presse au Palais national à Mexico le 8 février 2019 Photo : AFP/Getty Images / Alfredo Estrella
En février, dans l’une de ses conférences de presse quotidiennes, il s’en est pris à ceux qui s’opposaient à la mise en marche de la centrale thermique de Huexca dans l’État de Morelos. « Écoutez, radicaux de gauche, pour moi, vous n’êtes que des conservateurs. Écoutez! » a lancé AMLO sur un ton autoritaire.
« Oui, on pourrait dire que nous sommes conservateurs puisque nous voulons conserver la vie, la nature, nos coutumes, soutient Bettina Cruz. Et nous sommes aussi radicaux. La radicalité, ça veut dire que nous ne pensons pas que la solution aux problèmes du monde consiste à poursuivre ce système d’exploitation capitaliste qui est en train d’en finir avec une civilisation humaine. »
L’assassinat d’un opposant aux méga projets
Mais ce qui fait le plus mal, c’est que le lendemain de cette intervention du président, le principal porte-parole des opposants à la centrale thermique de Huexca, Samir Flores, a été assassiné.
Un homme brandit une pancarte sur laquelle est écrit « Samir n’est pas mort; le gouvernement l’a tué », lors d’une manifestation le 22 février 2019 à Mexico, pour dénoncer le meurtre par balle de l’activiste Samir Flores Soberanes. Il s’opposait à la mise en marche de la centrale thermique de Huexca promue par le gouvernement d’ AMLO. Photo : Reuters / Daniel Becerril
Personne n’accuse AMLO d’être directement ou indirectement responsable de sa mort. Mais ses déclarations, croit-on, pourraient avoir donné le feu vert à ceux qui, encore trop souvent au Mexique, croient que les problèmes trouvent leur solution dans l’élimination des opposants.
« Ça a été une journée bien triste pour nous, parce qu’ils ont assassiné un cher compagnon qui ne luttait pas seulement pour un avenir meilleur, mais aussi pour un présent meilleur. Et ils l’ont assassiné à cause d’un méga projet », lance Bettina Cruz.
Ici, on met notre vie en jeu quand on remet en question le statu quo, le pouvoir factice. Et, bien sûr, ces pouvoirs nous menacent et utilisent des affirmations comme celle qu’a faite AMLO. La militante Bettina Cruz
Bettina Cruz est convaincue que de telles affirmations ouvrent la voie à ceux qui voient les indigènes comme des empêcheurs de tourner en rond. « Ils se disent : “Eux, je m’en fous, je les tue et il n’arrivera rien puisque de toute manière ils ne font que freiner le développement, empêcher la venue des entreprises et les investissements” ».
Des opposants souvent menacés
L’ingénieur de Ciudad Hidalgo Edgar Martin Regalado, l’animateur de Radio Totopo Carlos Sanchez Martinez et la militante pour les droits de la personne Bettina Cruz ont tous trois été victimes d’intimidation, parfois même de menaces de mort pour leur travail contre les éoliennes.
Ça ne se fait pas directement, raconte Bettina Cruz. Elle croit plutôt que les gens des entreprises travaillent avec des tueurs à gages, des sicarios. « Ils utilisent le crime organisé pour nous assassiner. On ne sait pas qui a assassiné notre compagnon Samir Flores. Les entreprises? Ceux qui sont touchés par le retard du projet, ou le gouvernement? Mais nous disons que c’est l’État tant qu’il n’attrapera pas les coupables. »
L’injustice est d’autant plus grande qu’il y a une dette historique envers les peuples indigènes, au Mexique et dans le monde entier, affirme Bettina Cruz.
« Il n’y a aucune vision de projets où les indigènes seraient inclus comme sujets de développement et non comme objets. C’est l’occupation une fois de plus. Il n’y a pas de participation des peuples indigènes. On ne nous demande pas si on en veut, si on n’en veut pas ou ce que l’on veut. »
Avec la collaboration de Juan Calderón
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