Docteur en sociologie urbaine - CITERES, Université de Tours, Co-fondatrice et Médiatrice scientifique Connaixens
déc. 2018
Commentaire : (...) "Le patrimoine comme ressource, comme « colonne vertébrale », comme « facteur d’attractivité » a été revendiqué par les nombreux maires présents.[...] Le patrimoine comme ressource, comme « colonne vertébrale », comme « facteur d’attractivité » a été revendiqué par les nombreux maires présents."
C'est net et précis : la survie économique de la ruralité passe aussi et surtout par la sauvegarde, la protection et l'exploitation du patrimoine. Et ces actions sont définitivement incompatibles avec l'éolien!
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J1- Table ronde « Rebondir » Présidée par Yves Dauge, ancien sénateur et maire de Chinon Et modérée par Vincent Jouve, architecte et enseignant ENSAB Avec les interventions de Bertrand Olivier, maire de Joinville et Anthony Koenig, responsable de l’urbanisme Élisabeth Taudière, directrice Territoires Pionniers Loïc Guilbot, CEREMA. © Julie Marchand
Les 6 et 7 décembre dernier se tenait à Chateaugiron, attractive petite commune de Bretagne, le colloque de l’Association nationale des architectes des bâtiments de France (ABF). Organisé avec le soutien des Petites Cités de Caractère et de nombreux autres partenaires institutionnels, Connaixens s’y est rendu des questionnements plein la tête. La protection du patrimoine est-elle un frein à l’occupation de l’habitat et des commerces des centres anciens ? Le tourisme est-il le seul sens donné à l’attractivité d’un territoire pour les élus ruraux ? Pour revitaliser, et donc produire un projet de territoire, quelles sont les compétences dont les petites villes ont besoin ?…
Trois axes de réflexion semblent avoir transcendé les échanges. Nous les partageons avec vous ici, en attendant les actes du colloque qui, nous en sommes certains, constitueront le point de départ de nombreux chantiers.
Aux exemples présentés de Chateaugiron, de Luynes, de Marcolès, d’ Evry-le-Chatel, d’ Andilly-en-Genevois, de Joinville, de Pont-Croix, de Plounéour-Ménez, de Saint-Savinien-sur-Charente et de Saint-Calais, est apparu la commune volonté d’un véritable engagement politique.
Le patrimoine comme ressource, comme « colonne vertébrale », comme « facteur d’attractivité » a été revendiqué par les nombreux maires présents. Cette volonté se traduit par la création de protection d’ensembles telle que les Aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP) de Chateaugiron et de Saint-Calais. Elle se retrouve aussi dans le souhait de définir un projet de territoire en lien avec la ville voisine à plus grande polarité, comme Évry-le-Chatel dans l’Aube, créant sa redynamisation autour du vitrail et des maîtres verriers avec sa voisine, la ville de Troyes. Ce choix politique se signifie également par l’action publique engagée pour une réoccupation de l’habitat en cœur de ville. À l’image de Marcolès, achetant et réhabilitant le parc privé insalubre pour le mettre à la disposition de locataires. « Un investissement rapidement rentable et assurant une récurrente entrée d’argent pour la commune », nous confiait M. le Maire. Elle se caractérise enfin par la capacité motrice de ces petites collectivités à fédérer un réseau d’acteurs parfois thématique – sur les questions de mobilités par exemple, ainsi que nous le rappelle le Sénateur maire Yves Dauge –, ou parfois transversal. La Région Bretagne, par ses investissements aux côtés de l’État, de l’Établissement Public Foncier et de la Banque des Territoires, dans le cadre d’un appel à projets partenarial, a ainsi été sollicitée par de nombreuses petites collectivités prêtent à se mobiliser pour la réalisation d’études ou de travaux.
Outre l’engagement des élus et leur volonté de faire, la place de l’habitant a été très nettement définie : elle est au cœur d’un projet de territoire rural. La participation à l’inventaire du patrimoine, mise en œuvre par le service de l’Inventaire régional de Bretagne – selon la méthodologie nationale et s’appuyant sur l’outil numérique – est une des démarches les plus inclusives rapportées à l’occasion de ce colloque. Les chantiers participatifs habitants, mis en œuvre par la mairie de Joinville pour aider les propriétaires moins aisés dans la restauration de leur façade, abondent aussi ces initiatives citoyennes. Les Tiers Lieux ont enfin été suggérés par Clément Marinos et Sébastien Eymard comme nouveaux lieux de citoyenneté, parfois organisés, parfois spontanés. En occupant des espaces patrimoniaux, ils en questionnent les usages. À quand des citoyens participant aux études urbaines des protections du patrimoine, comme initiateurs de la règle ? Vers une nouvelle horizontalité ?
Troisième axe de réflexion, pour la mise en œuvre d’une requalification « responsable » des centres patrimoniaux – et cela fait écho au colloque du CREBA du 29 novembre dernier, des compétences en ingénierie sont apparues indispensables aux côtés des élus. Parmi ces acteurs à valeur ajoutée, les architectes sont identifiés par les élus des communes qui entreprennent et réussissent leur requalification, et parmi eux les architectes des bâtiments de France. Nous avons cependant alerté sur le défaut d’enseignements fondamentaux, constaté à l’occasion de notre thèse de doctorat, sur l’architecture ancienne, les protections du patrimoine ou les techniques de bâti ancien, dans les programmes de licence et master d’architecture. La mutation semble en marche cependant. L’exemple de réflexion menée sur la frugalité heureuse, par Philippe Madec entre autres, rapporté par Christine Leconte, présidente de l’Ordre des architectes d’Île-de-France, ou l’exemple de résidences d’architectes en Normandie, proposées par Territoires pionniers et sa directrice Elisabeth Taudière, nous révèle une mutation en cours de la profession d’architectes libéraux. La table ronde intitulée Apprendre a montré également l’intérêt des écoles d’architecture de Bretagne, de Lyon ou de l’École de Chaillot pour les centres des petites communes comme terrains d’exercice. La sensibilité à l’existant s’éveille.
D’autres compétences et soutiens, pour finir, ont été mis en exergue : les urbanistes et les sociologues d’une part, les investisseurs privés et publics d’autre part, composent les équipes qui viennent en soutien des services des petites collectivités. Les enjeux d’avenir mobilisent, les collectivités doivent savoir s’entourer d’interlocuteurs pertinents.
Synthétisant ces trois axes à chaud, si nous devions regretter un enjeu insuffisamment traité peut-être à l’occasion de ce colloque, ce serait celui de la mutabilité de l’habitat. Car si le patrimoine est nettement un enjeu touristique, et donc économique, pour les territoires ruraux que nous avons touché du doigt, l’attractivité d’un territoire se mesure également à sa capacité à accueillir de nouveaux habitants. Or si le rural attire, la maison individuelle dotée d’un extérieur en lotissement fait toujours plus rêver qu’un appartement atypique où la lumière et l’espace extérieur sont absents. L’objet d’un autre colloque ? Il nous paraîtrait important que les ABF se positionnent sur le sujet, tant l’avis conforme peut contraindre cette mutabilité.
Les alliances à valeur d’intérêt général sont de mise, pour et par la population. Les alliances de compétences également. Toutes apparaissent donc être la clé de la revitalisation des petites villes. Nous nous posons alors, à l’issue de ce colloque, un questionnement sur la place de l’architecte des bâtiments de France dans cette mutation sociétale qui vise un retour à la ruralité (mutation si bien présentée par notre consœur géographe, Valérie Jousseaume, dont la conférence nous a enthousiasmée).
Car le dialogue est de mise, ainsi que conclut Fabien Sénéchal, président de l’ ANABF. Et l’ ABF est une ressource. Par sa connaissance à l’échelle du territoire départemental, comme à celle du bâti et de l’habitat, l’ ABF doit aujourd’hui transcender sa mission de censeur et bénéficier d’une image de bienveillance, œuvrant pour la qualité de notre cadre de vie. Il doit se faire prophète d’un respect de l’identité de nos territoires et se faire pédagogue, davantage. Il doit enseigner en ENSA pour essaimer et éveiller à l’école pour ouvrir le regard. Il doit convaincre certes, mais entendre aussi les enjeux qui se jouent. De cette prise de conscience, doit naître un langage commun.
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