31 mai 2019
Chronique
Il est de bon ton de se féliciter de la victoire des verts aux élections qui se sont déroulées dimanche dernier en Europe. Les écologistes ont en effet créé la surprise dans ce scrutin qui a, par ailleurs, surtout confirmé la montée des partis que l’on nomme tour à tour « populistes », d’« extrême droite » ou « eurosceptiques ». La confusion des mots ne trompe pas. Devant la difficulté à appréhender cette colère sourde qui monte dans presque tous les pays européens, la plupart des commentateurs se sont raccrochés à la « victoire » des verts, certes plus facile à analyser et combien plus rassurante.
S’il est pour le moins exagéré de parler d’une « vague verte sur l’Europe » comme le fait le quotidien Le Monde, notons que les écologistes ont créé une véritable surprise en Allemagne. Avec 20,5 % des voix, ils se posent en alternative à un parti social-démocrate (SPD) depuis longtemps en déclin et largement démonétisé à cause de son alliance avec la CDU d’Angela Merkel. En France, où la désintégration des partis de gauche a aussi joué un rôle majeur, la poussée est moins forte (13 %), mais significative.
Encore faudrait-il savoir de quelle écologie ces partis sont porteurs. Car, pas plus en environnement qu’ailleurs, il ne suffit de prêcher le bien pour le voir triompher. La question est d’autant plus d’actualité que la majorité verte qui siégera bientôt à Strasbourg vient d’un pays qui est loin de prêcher par l’exemple. En Allemagne, l’écologisme béat n’est plus de mise depuis que l’hebdomadaire Der Spiegel a révélé plus tôt ce mois-ci que la première puissance économique européenne était en train de rater son virage énergétique (Energiewende) engagé depuis les années 2000.
L’an dernier, l’Allemagne avait dû admettre qu’elle n’atteindrait pas les objectifs de réduction de gaz à effet de serre (GES) qu’elle s’était elle-même fixés. Voilà que, selon le Spiegel, « tout le projet est en train de dérailler ». Or, l’Allemagne a investi plus de 30 milliards d’euros par an dans ce virage qui pourrait avoir coûté plus de 500 milliards en 2025. Le pays a beau s’être couvert d’éoliennes et de panneaux solaires, ses émissions de GES sont au même niveau qu’en 2009. Les 160 milliards investis depuis cinq ans n’ont pratiquement pas produit de résultats, a fait remarquer le vérificateur général, Kay Scheller. Les causes de cet échec vont du manque de lignes de transport d’électricité du nord au sud à l’absence d’un ministère de... l’Énergie ! Mais, parmi elles, on trouve surtout l’erreur qu’a représentée la décision prise il y a huit ans de sortir du nucléaire. Une source d’énergie qui n’émet pourtant pas une once de CO2.
La décision fut prise sous la pression médiatique. Quelques jours seulement après la catastrophe de Fukushima, Angela Merkel prit tout le monde par surprise en annonçant la nouvelle. Un peu comme en 2015 quand, à nouveau sous le coup de l’émotion suscitée par la photo du petit Aylan mort sur une plage turque, elle ouvrit la porte à un million de migrants. Une décision dont l’Europe ne s’est toujours pas remise.
Cherchez l’erreur : si tout se déroule comme prévu, le pays fermera sa dernière centrale nucléaire dans quatre ans alors même qu’il prévoit de continuer à brûler du charbon pendant encore... 20 ans ! « L’Allemagne a utilisé une stratégie qui a échoué de manière catastrophique », affirme l’ingénieur Staffan Qvist (A Bright Future). Au contraire, la Suède a réduit de manière radicale ses émissions de CO2 en conservant son parc nucléaire. Et cela sans diminuer sa consommation d’électricité qui est une des plus élevées au monde. C’est aussi ce que fait la France de manière un peu honteuse et sans oser le dire. Pour Staffan Qvist comme pour nombre d’écologistes pragmatiques, jamais l'Allemagne ne pourra réduire ses émissions sans un investissement massif dans le nucléaire. Sans lui, il sera impossible de respecter les échéances définies par les experts.
C’est aussi l’opinion de l’Agence internationale de l’énergie qui publiait cette semaine un rapport qui jugeait la stratégie allemande dangereuse. Si l’on veut vraiment donner la priorité à la réduction du CO2, il faut sortir de la guerre de religion sur le nucléaire, dit l’agence de l’OCDE. « Si on veut être sérieux avec le climat, il faut se débarrasser des idéologies [...] pour examiner les moyens les plus économiques pour arriver à zéro émission de carbone », disait aussi Staffan Qvist dans une entrevue au magazine Le Point.
Sortir l’écologie de l’idéologie ; la leçon devrait prévaloir bien au-delà de l’Allemagne. Force est de constater que c’est parfois l’incohérence, l’extrémisme sinon le millénarisme de certains écologistes radicaux qui alimente le climatoscepticisme. Comme si certains ne voyaient dans la crise climatique qu’« une occasion historique » pour « tout changer » et renverser le capitalisme, comme le dit d’ailleurs sans détour la militante d’extrême gauche Naomi Klein (Tout peut changer, Babel). Ce ne serait pas la première fois que la promesse du grand soir instrumentalise des combats pourtant essentiels.
Heureusement, certains prennent au sérieux les avertissements des climatologues. Et ce ne sont pas toujours ceux que l’on croit et qui font le plus de bruit.
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