Japon, architecture : le démontage périodique des édifices

  Les fleurs de quel arbre-
impossible de savoir
mais un tel parfum !
nan no ki no
hana towa shirazu
nioi kana

  芭蕉 Bashô (1644-1694)
  Bashô est l’une des figures majeures de la poésie classique japonaise. Par la force de son œuvre, il a imposé dans sa forme l’art du haïku, mais il en a surtout défini la manière, l’esprit : légèreté, karuki, recherche de la simplicité et du détachement vont de pair avec une extrême attention à la nature. Le haïku naît donc au bord du vide, de cette intuition soudaine, qui illumine le poème, c’est l’instant révélé dans sa pureté.

Source : BASHÔ (1644-1694)

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  Neige sur le temple Zojoji, Shiba, Tokyo. Commandé par le ministère de la Culture pour célébrer la gravure sur bois, alors désignée comme “trésor culturel intangible” ou “patrimoine vivant”, Mukei Bunkazai. Publié par Watanabe Shozaburo, signé “Hasui”, sceau “Kawase”, graveur Sato Jurokichi, imprimeur Ono Gintaro; gravure sur bois polychrome sur papier shin-hanga, format oban Acheté en 2015, MA 12710. Source: Wikimedia Commons.
  L’une des particularités de l’architecture au Japon est certainement le démontage périodique des édifices. Cette impermanence constructive tire ses origines de conditions climatiques difficiles, de spécificités structurelles liées à l’architecture en bois ou encore de pratiques religieuses ancestrales, comme la reconstruction périodique de certains sanctuaires shintō.
  Cette particularité architecturale1 conduit à la formation dans le temps d’un socle de connaissances et à l’accumulation d’une grande quantité d’informations sur le bois et son comportement. La conservation des monuments en bois s’effectue donc de concert avec la préservation des techniques traditionnelles de charpenterie et l’utilisation d’outils consacrés.
   Au Japon, le charpentier est un artisan hautement qualifié dont le rôle dépasse largement la seule construction des charpentes. Il a la responsabilité du chantier, de l’ossature en bois du bâtiment et de ses finitions, tant au niveau de la réalisation que de la conception. Il met en place l’appareil de soutènement via le système poteaux-poutres et gère toute la structure, parfois même jusqu’aux éléments de mobilier, en particulier dans les édifices religieux. Le charpentier japonais possède un savoir-faire qui le rend capable de décider des formes autant que de sélectionner le bois, de façonner les pièces et de les assembler. La fixation de la tradition architecturale par l’action conjointe des compétences-métier des charpentiers et des rituels religieux infléchit visiblement l’histoire générale des formes architecturales.
   « La relation entre culture immatérielle et patrimoine culturel matériel, y compris les monuments et les sites qui constituent la cible de l’activité de l’ Icomos, est si étroite qu’il est impossible de les séparer. La culture immatérielle produit des objets culturels tangibles nécessitant une culture immatérielle. Cette relation peut être comparée à une corde torsadée, mais ce n’est pas si simple. Ce devrait être notre tâche commune d’étudier cette relation »2 Cette citation d’ Itō Nobuo 3 montre la difficulté à fixer dans le temps une pratique culturelle et interroge le savoir-faire comme élément de préservation des techniques et de leur transmission.

Résidence de France au Japon : la résidence d’été de Chuzenji. Le terrain de la maison est loué au temple bouddhiste de Rinno-ji depuis 1908. Année 2000. © nipponzine.com/villa-claudel/
Au Japon, l’apprentissage de la charpenterie se fait traditionnellement dans une guilde, de maîtres à élèves.

1. Voir Murielle Hladik, « Mujô, l’impermanence », dans Philippe Bonnin, Masatsugu Nishida, Inaga Shigemi (dir.), Vocabulaire de la spatialité japonaise, Paris, CNRS, p. 356-358.

2. Traduction par l’auteur de « The relationship between intangible culture and tangible cultural heritage, including monuments and sites which constitute the target of the ICOMOS activity, is so close that it is impossible to separate. Intangible culture produces tangible cultural objects which require intangible culture. This relationship may be compared with the twisted rope, but is not so simple. It should be our common task to study this relationship ». Itō Nobuo, « Heritage places and living traditions » dans Intangible Cultural Heritage involved in Tangible Cultural Heritage, Session A3, en ligne, https://www.icomos.org/victoriafalls2003/papers, publié en 2003, consulté en août 2018.
3. Itō Nobuo (1925 - 2015) est diplômé du Département d’architecture de l’Université de Tokyo en 1947. Inspecteur principal au département de la protection des biens culturels de l’Agence des affaires culturelles du Japon, puis directeur général de l’institut national de recherche sur les biens culturels de Tokyo, il a été membre du Conseil de l’ ICCROM de 1983 à 1990, et membre exécutif de l’ ICOMOS Japon de 1987 à 1993. Il a été nommé membre honoraire de l’ ICOMOS en 2005 et a reçu prix Gazzola de l’ ICOMOS en 2011. Itō Nobuo a contribué à la ratification par le Japon de la Convention du patrimoine mondial en 1992 et a été l’organisateur et l’un des principaux orateurs de la Conférence internationale d’experts sur l’authenticité à Nara (Japon) en 1994. Le Document de Nara sur l’authenticité qui en a résulté a été reconnu comme un nouveau paradigme dans les politiques internationales de conservation, particulièrement en ce qui concerne le patrimoine mondial.

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La restauration des monuments en bois au Japon, entre perpétuation formelle, et transmission
 

Soizik Bechetoille-Kaczorowski 
Historienne, architecte du patrimoine, chercheure à l'Institut Français du proche Orient (IFPO)
juin 2019
Soizik Bechetoille-Kaczorowski est docteure en Histoire des sciences et des techniques, diplômée du département des Sciences humaines et humanités de l’ EPHE, École pratique des Hautes Études, architecte du patrimoine titulaire du DSA, Diplôme Supérieur d’Architecture, de l’École de Chaillot (Paris) et, depuis septembre 2016, chercheure à l’ IFPO, Institut Français du proche Orient, UMIFRE 6 - MAEE - CNRS - USR 3135.

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