Haute-Marne : une histoire de trains, épisode VI

"Les villageois s'attardaient au seuil de leurs maisons. Au loin, roulaient des trains, qui clamaient des cris éperdus. Les femmes se penchaient vers l'ombre, incurablement tristes de n'avoir pas connu les beaux départs. Et quand le train était passé, elles prêtaient encore l'oreille : la grande plaine d'été chantait sur les grillons, les grenouilles et le silence. Elles pensaient alors qu'elles étaient nées de ce village, qu'elles avaient vécu comme leurs mères, ni heureuses, ni malheureuses et qu’après tout, il n' y avait rien à redire à cela."

Marcel Arland, Terres étrangères, Varennes, 1923. 



Saints-Geosmes

  Le premier projet de la ligne évitait le village en le contournant par l' Est, actuellement zone industrielle, avec deux barrières sur la route nationale. 
  Le projet définitif plus direct fait passer la voie au centre du village. Les habitants mécontents  refusent de vendre leurs propriétés.
  Les deux maisons de Etienne Mathey-Roblin et de Pierre Guidel-Humblot, 155 terrains de différentes personnes, le four, la glaiserie, les aisances de la tuilerie Steichen, tout cela doit être exproprié et retarde les travaux.  
  Les ouvriers sont obligés de travailler le dimanche et le clergé local critique fortement cette pratique. Il faut tailler la roche à coups de barre à mine et d'explosifs et ouvrir une tranchée. La pierre cassée servira de ballast jusqu'à Poinson.
  Un large pont permet le passage de la rue Fontaine tandis qu'un autre plus petit est emprunté par les piétons.
  La ligne s'ouvre, bien protégée par des clôtures en lattes et fil de fer puis plus tard par des palissades formées de traverses de réforme plantées debout.
  On constate alors que le bruit du train circulant sur cette voie encaissée est faible mais son passage provoque quelques vibrations dans les maisons.
  Bientôt, tout le monde se met à aimer ce petit train. Dès que les enfants entendent "japper" la locomotive montant la côte, c'est la course en sabot, blouse noire et sac de cuir au dos. Vite sur le pont! Mais attention, au dernier moment il faut se retirer pour ne pas tousser dans le nuage piquant de fumée noire. Certains garçons sont tentés de lâcher un caillou au passage du train, mais le mécanicien actionne le sifflet, lâche de la vapeur et parfois envoie un jet d'eau pour atteindre les gamins trop hardis.
  La barrière de la route d'Auberive au sud du village est tenue pendant 36 ans par madame Génuel de Vicq. Elle vit là avec sa fille, couturière, qui prend des jeunes apprenties. Ensuite madame Zester lui succède. En septembre 1938, Mme Aubry s'installe à son tour à la barrière. Elle y habite encore 52 ans plus tard.
  Madame Aubry a vu passer les autorails journaliers et les deux trains hebdomadaires d'avant-guerre. Lorsque les voyageurs veulent partir, la garde-barrière agite son drapeau rouge pour faire signe au mécanicien. Puis avec une puissante trompe en cuivre, elle sonne le départ du convoi. Madame Aubry doit montrer une vigilance sans défaut car les employés de la gare Langres-Bonnelle oublient parfois de faire tinter la cloche qui annonce le passage imminent du convoi.
  Quelquefois, le train avait du mal à monter la côte. On l'entendait souffler et peiner. Les barrières alors pouvaient rester fermées deux heures d'affilée avant son passage. La locomotive trop poussive devait être aidée par une autre qui venait par derrière hisser les wagons jusque sur le plateau de Langres.


  Ce chemin de fer, très utile pendant des dizaines d'années, devient une artère facile pour la circulation des marchandises au regard de la route en mauvais état avec des voitures de rouliers tirées par des chevaux. Quelle joie pur les enfants quand la halte Saints-Geosmes est autorisée. Quel beau voyage pour aller en groupes à la gare de Langres-Marne et se rendre en visite à Champigny-les-Langres!
  Un soir de l'été 1944, M.Lepetz prévient Mme Aubry "n'ayez pas peur cette nuit, vous entendrez une explosion..." Effectivement les résistants utilisent de l'explosif contre le pont situé à 500m du village. Le lendemain le maire réquisitionne des hommes qui doivent aider des ouvriers réparateurs. Le pont n'a pas l'air très touché. Un employé de la voie s'aventure sur le tablier qui brusquement s'effondre en son milieu. Tous ont eu bien peur.
  Quand en 1963 le train ne se fait plus entendre, les habitants de Saints-Geosmes sont bien tristes avec cette tranchée devenue inutile qui sépare le village en deux parties. 
  C'est seulement en 1975 que la commune se décide à acheter la totalité de l'emprise. Très vite, le fossé est comblé de déblais et forme des rues et une belle place. C'est là que les jours de fête on installe les bals et les manèges pour la joie des petits et des grands. 

À suivre...

Bernard Sanrey, Le petit train de la montagne haut-marnaise, de Langres à Poinson-Beneuvre, pp. 32-33, 1990.


Aujourd'hui


Saints-Geosmes

 
Au premier plan, l'immense zone industrielle. Derrière, le village d'origine. Au milieu, passe la D974, ex RN74. À droite, les HLM des "Quartiers Neufs" de Langres. Photo : "Le vieux Saints-Geosmes vomit sur le nouveau"

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