Haute-Marne : une histoire de trains, épisode III

Les villageois s'attardaient au seuil de leurs maisons. Au loin, roulaient des trains, qui clamaient des cris éperdus. Les femmes se penchaient vers l'ombre, incurablement tristes de n'avoir pas connu les beaux départs. Et quand le train était passé, elles prêtaient encore l'oreille : la grande plaine d'été chantait sur les grillons, les grenouilles et le silence. Elles pensaient alors qu'elles étaient nées de ce village, qu'elles avaient vécu comme leurs mères, ni heureuses, ni malheureuses et qu’après tout, il n' y avait rien à redire à cela.
Marcel Arland, Terres étrangères, Varennes, 1923.

Gare de Vivey-Chalmessin
   Cette gare est perdue au milieu de la Montagne Langroise à la limite de grand bois où vit tout un peuple d'ouvriers forestiers : bûcherons, scieurs de long*, charbonniers et chargeurs de wagons.
   Après la dernière guerre, les scieurs de long sont remplacés assez rapidement par les scies mécaniques des établissements Deloix qui prennent beaucoup d'importance.



Scieurs de long. SuperManu CC BY-SA 3.0

   La forêt de la Faye proche de la gare est attachée au comte de Grancey. Un embranchement spécial a été créé pour atteindre la coupe où est établie une scierie mobile. Chaque mois, une centaine de wagons chargés de poutres, de planches, ou de traverses partent pour reconstruire les ponts et les voies de chemin de fer détruits par la guerre.
   En 1951, cette scierie est installée sous un abri dans un champ à 200 m de la gare.
   Un peu plus tard, dans les années 60 la forêt de Nebro est coupée à blanc. Ses produits connaissent des destinations diverses. Les grumes et le charbon partent vers le dépôt turinois de MM. Deloix pour être distribués dans toute l' Italie.
   Les rondins s'en vont vers les usines de pâte à papier ou de cellulose. Le petit bois est en partie expédié à Clamecy pour être transformé en charbon. Sans arrêt, les véhicules équipés de gazogènes ou les GMC récupérés de l'armée américaine traversent Vivey pour se rendre à la gare où les quais à cette époque sont encombrés de tas de bois de toutes sortes.
   Madame Perrot tient cette gare pendant de nombreuses années. Josette Mugnier lui succède en 1958 après avoir été intérimaire entre Brennes et Poinson. Au début Marcel Pitois aide à former les trains qui sont pesés à Vaillant par Madame Barot.
   Durant 70 ans, cette gare est le centre actif des villages des environs. Chaque jour, le sifflet de la locomotive, son panache de fumée, son passage rythment la vie des habitants qui prévoient le temps selon le bruit du train.



  Après 1968, la gare vendue à des Langrois est bien réparée. La barrière proche appartient à l' abbé Gentilhomme de Recey. Deux Nantais ont acheté des maisons de garde entre la gare et la Côte d'Or. Depuis plus de 20 ans, il y viennent régulièrement en vacances.

Le café d'Emilia
   Théodore Chary né à Piennes, Meurthe et Moselle, est entrepreneur pour la construction de la ligne. Il se marie à Marie Viard de Chalmessin.
   En 1884, il pense déjà construire un café-hôtel le long de l'avenue qui conduit à la gare. Bientôt s'élève un solide bâtiment et l'homme deviendra aubergiste.
   En 1886, 17 personnes habitent ce quartier. Le cafetier a même embauché un domestique car sa femme élève leur 4 enfants.
   Après la guerre mondiale, l'aînée, Emilia, reprend l'établissement. L'activité de la gare, tous les hommes qui vivent et travaillent dans les forêts proches lui assurent une clientèle nombreuse. En hiver, les chasseurs viennent aussi. L'aubergiste, de commerce agréable, détaille au moins deux feuillettes de vin par semaine.


 

De gauche à droite : Pièce de 228 L, Feuillette de 114 L et Quartaut de 57 L. Hôtel des ducs de Bourgogne, à Beaune @CC BY-SA 3.0
  Son frère Edouard devient charretier à Rouvres. L'autre, Marius, victime de guerre est unijambiste. Il se déplace avec des grandes béquilles ou sur une voiturette d'invalide. Sa soeur Marthe gère très longtemps le café à terrasse proche du Château de Vivey. Son mari Aristide Morisot marchand de bois est foudroyé le 20 mai 1924 en se rendant à la gare à bicyclette.





Crime de jalousie

   En 1923, une barrière située dans le bois appartenant à la commune de Sainte-Ruffine-les-Metz, Moselle, est habitée par un jeune couple.
   Lui, Victor Humblot 26 ans est cantonnier au chemin de fer. Il part chaque matin travailler avec l'équipe des employés de la voie.
   Sa femme, Lucienne, se languit et s'ennuie dans cette petite maison isolée. Elle noue des relations avec un ami pendant les absences de son mari.
   Le 30 juillet, l'équipe d'ouvriers travaille à proximité de la barrière. Victor s'éclipse du groupe, part à la recherche de sa femme, la ramène au logis, prend son fusil et fait feu deux fois sur elle. Il pend ensuite son arme à l'espagnolette de la fenêtre et se suicide.


La barrière

   En 1912, à côté de la gare s'installe la famille Jourdheuil. Lui, Bernard né à Heuilley-Cotton travaille avec le chef de gare. Sa femme née Marie Menne de Saints-Geosmes s'occupe de la barrière.
   Bientôt la famille s'agrandit de 11 enfants. Tous vivent à l'étroit dans les trois pièces : une cuisine de 25 m2 et deux chambres de 12 m2 chacune. Treize à table chaque jour et malgré les deux maigres salaires, il est bien difficile d'élever une famille si nombreuses avant la création des allocations familiales.

  Il faut absolument travailler davantage. le père accepte de charger des wagons pour les marchands de bois : Boudard et Couturier de Langres ou Naudey de Chalancey. Quand les filles grandissent, elles sont embauchées pour charger la charbonnette, le bois de chauffe, le bois de mine. Le père se réserve les lourdes traverses et vient accrocher les grumes à la grue, les femmes se mettent à quatre pour actionner la manivelle, tourner la grue et descendre dans le wagon le chargement que l'homme vient décrocher.
   À certaines périodes, c'est le charbon de bois qu'il faut expédier. Les sacs sont déposés sur le quai des charretiers. Les femmes les hissent dans le wagon où l'une d'elles coupe les liens à la serpette. À pratiquer ce travail, on devenait tout noir... Et pas de salle de bain. Il fallait monter l'eau rare de la citerne, au seau, en tournant le treuil.
   À la mort de son mari âgé de 49 ans, Madame Jourdheuil élève encore 7 de ses jeunes enfants. Elle habitait encore la barrière lors de son décès en 1958. Elle avait alors 42 petits enfants.
   Trente ans plus tard, la famille comprenait 172 personnes. Une réunion à Vivey en rassembla 103 qui, au cours du repas pris en commun, évoquèrent les souvenirs d'une époque difficile.



Un chef de gare : Lamy
   Dès le début de la gare, Lucien Lamy, lieutenant de réserve, participe à la résistance avec un groupe de Bourgogne d'où il est originaire.
   De temps en temps, le chef de gare d'Is-sur-Tille fait passer à Vivey des wagons chargés de marchandises françaises à destination de l'Allemagne. Dans un coin tranquille, Lamy peut en cacher le chargement en lieu sûr. Il remet ensuite les wagons vides ou "allégés" dans le circuit normal.
   Homme d'action, il participe à la création du maquis de Vivey dès le printemps 1944. Il quitte son travail. Le 28 août, il devient l'adjoint du capitaine Max au maquis d'Auberive. Il dirige alors de nombreuses opérations contre les troupes allemandes qui se replient sur les Vosges.
   Il participe à la libération de Langres, s'engage avec d'autres dans la 1re armée française et combat surtout à Pont-de-Roide, dans la forêt de Hardt où il est cité à l'ordre du corps armé, puis en Allemagne.
   Après la guerre, il est le seul de la région a être accepté avec son grade de résistant. Dès la fin de l'année 1945, il part en Indochine. Le capitaine Lamy obtient plusieurs citations entre 1946 et 1949 année où il promu chevalier de la légion d'honneur. Le 2 octobre 1950, il meurt au Tonkin touché par un éclat d'obus.



À suivre...

Bernard Sanrey, Le petit train de la montagne haut-marnaise, de Langres à Poinson-Beneuvre, pp. 21-25, 1990.


Aujourd'hui



Praslay, source de l' Aube


 

Vivey, le château@Jean-François Feutriez


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