Sylvestre Huet
21/03/2018
La date anniversaire de l’accident nucléaire de Fukushima, consécutif au séisme géant et au tsunami du 11 mars 2011 qui ont causé près de 19 000 morts, permet de revenir sur quelques questions. La plupart des articles publiés dans la presse à cette occasion ont en effet été très peu prolixes sur l’état des réacteurs ou celui de la décontamination des territoires.
Que se passe t-il à la centrale dévastée ?
► Les réacteurs détruits
sont maintenus dans une situation minimisant les risques de
dissémination de la radioactivité contenue dans les cœurs qui ont fondu
lors de l’accident. Cela s’obtient par une injection d’environ 70 m3
d’eau par jour dans chacun des réacteurs 1, 2 et 3. Les coriums (le
mélange des combustibles nucléaires et des structures métalliques
fondues) sont ainsi maintenu « à froid », en dessous des températures
qui entraîneraient la formation de vapeur. La température de l’eau est
stabilisée vers 30°C. Ainsi, lorsque le Canard Enchaîné explique à ses lecteurs canetons que ces coriums sont toujours «en fusion», il raconte des salades. Ou diffuse une « fake news » selon le mot en vigueur aujourd’hui.
Pour que ces coriums soient en fusion il faudrait que la chaleur
résiduelle due à la radioactivité porte le métal à plus de 1400°C ou
l’uranium à plus de 1100°C.
► Les piscines contenant les combustibles usés. La piscine du réacteur n°4, la plus dangereuse, a été vidée de ses éléments combustibles en décembre 2014.
Les travaux sont en cours pour vider les piscines des réacteurs 1, 2 et
3 qui sont maintenues à 30°C également par une circulation d’eau en
circuit fermé. Après avoir nettoyé les parties hautes des réacteurs, il
faut installer des structures de protection, un pont roulant, et un
dispositif permettant d’extraire les combustibles puis de les introduire
dans un conteneur de transport. La piscine du réacteur 3 devrait être
vidée en 2018. Celles des réacteurs 1 et 2 vers 2023.
► Le détournement des eaux souterraines. Les travaux d’isolation des réacteurs – à l’aide d’un mur imperméable de terre congelée in situ
sur 30 mètres de profondeur et d’un pompage en périphérie – a permis de
limiter ces infiltrations. Alors que les infiltrations étaient
d’environ 450 m3 par jour, elles sont descendues à 150 m3/j et devraient diminuer à 100 m3/j.
Les eaux détournées et pompées sont ensuite rejetées à la mer dès lors
quelles affichent les valeurs réglementaires très basses (moins de 1
Becquerel par litre en césium 137 par exemple). Les eaux pompées en aval
des réacteurs sont traitées et décontaminées avant rejet.
► Le traitement et le stockage des eaux contaminées
constitue un chantier imposant. Même si une partie importante de l’eau
utilisée pour refroidir les coriums provient de la réutilisation d’eau
décontaminée, le stock continue d’augmenter. Les différents dispositifs
de décontamination des eaux permettent de récupérer la presque totalité
des radio-éléments, en particulier le césium et le strontium (dans une
partie du stock, le tritium est toujours là). Près d’un million de m3 d’eau sont stockées sur le site en attente d’une autorisation de rejet dans la mer.
► Les doses reçues par les travailleurs.
L’environnement radioactif du chantier nécessite toujours des
précautions élevées et se traduit par des doses de radioactivité suivies
en détail. Le dernier pointage publié par la TEPCO donnait pour la
période avril 2017 à janvier 2018 un total de 13 448 personnes étant
passées sur le chantier et des doses au maximum de 50 mSv
(millisivierts). Sur ce total, 11 521 travailleurs ont enregistré une
dose inférieure à 5 mSv – pour évaluer ce que signifie cette dose,
on peut la comparer à l’exposition à la radioactivité naturelle en
France qui peut aller à une dizaine de mSv pour un habitant d’une région
granitique consommant de fruits de mer (ou à un scanner abdominal, de
l’ordre de 10 mSv). Moins de 900 travailleurs avaient subi une dose
de 10 à 50 mSv, dont 65 de plus de 20 mSv, la limite légale annuelle
pour les travailleurs du nucléaire en France. Il est possible de
comparer ces doses avec celles reçues par l’ensemble des travailleurs suivis en radioprotection en France, lire cet article. Le nombre total de travailleurs étant passés sur le chantier était déjà de 38 000 fin 2014.
Les doses les plus importantes ont été prises lors de l’accident et dans le mois qui a suivi, les six plus fortes (au maximum un peu moins de 700 mSv pour deux) ont été subies par des salariés de la TEPCO :
► Le démantèlement. Le
gouvernement japonais annonce toujours sa volonté de voir les
installations dévastées démantelée d’ici 30 à 40 ans et les coriums
récupérés à partir de 2025. Mais ce calendrier semble peu réaliste. Les
explorations robotiques ont permis d’observer des traces de corium dans
le réacteur n°2 en janvier 2018, mais de nombreuses inconnues subsistent
sur leurs localisations et la mise au point des engins robotisés qui
permettront d’y accéder et de les récupérer demeure un programme de
recherche.
► Les zones contaminées et évacuées.
Lors de l’accident environ 100 000 personnes ont été évacuées des zones
menacées par l’émission de radioéléments. Par la suite un zonage tenant
compte des différent niveaux de contamination a été établi. Après des
travaux de décontaminations, certaines zones ont pu être autorisées à
l’habitation permanente. Ainsi les ordres d’évacuation ont été levés
dans plusieurs communes (Tamura, Kawauchi, Nahara, Katsuaro, Minamisoma,
Namie, Kawamata, Itate et Tomioka) mais pas pour la totalité de leur
territoire. Au total, la zone évacuée représentait 1150 km² et 83.000
personnes en 2013. Elle a été réduite à 370 km² ou vivaient 21.000
personnes avant l’accident. Mais cette zone restera inhabitée pendant un
temps indéterminé.
Ces éléments d’information proviennent pour l’essentiel du dossier publié par l’ IRSN.
Un récit de Fukushima par le directeur de la centrale
Que s’est-il passé en mars 2011 à la
centrale de Fukushima Dai Ichi ? Quelles sont les causes profondes de
l’accident ? A ces questions, un petit livre apporte des réponses dont
l’essentiel est tiré du verbatim de l’audition de Masao Yoshida, le
directeur de la centrale nucléaire, par la commission d’enquête
gouvernementale. Cette audition longue de 28 heures avait déjà donné le
contenu d’une publication savante en deux volumes dont j’avais fait la recension dans La Recherche
en 2016. Mais Franck Guarnieri, directeur du centre de recherche sur
les risques et les crises à Mines ParisTech), à l’origine de cette
publication, vient d’en proposer un résumé avec Sébastien Travadel,
assorti de leurs analyses.
Guarnieri et Travadel ont sélectionné les
passages les plus significatif de cette audition, pour en tisser un
« récit » centré sur l’action de Masao Yoshida et sur la manière dont il
a vécu cette lutte infernale. Comment ces ingénieurs ont-il dépassé les
procédures et consignes pour reprendre le contrôle de leur installation
dévastée ? Leur action a permis de limiter les conséquences de la perte
de contrôle des réacteurs, par l’injection massive d’eau de mer et la
reconquête de l’alimentation électrique. Sans cette action, l’accident
aurait pu continuer à empirer. Or, Masao Yoshida et son équipe ont agi
sans suivre un quelconque manuel ou une procédure puisque la perte
totale des sources froides et d’électricité pour l’ensemble du site
n’avait pas été envisagée. En outre, Yoshida a clairement désobéi à
certaines consignes, dont la pire a été donnée par le premier ministre,
Naoto Kan, lorsqu’il voulait retarder l’injection d’eau de mer.
Les deux chercheurs ont ainsi mis en
évidence les ressorts dramatiques d’une crise technique mais aussi de la
réaction d’ingénieurs, contraints de bricoler avec les moyens du bord
pour stopper la marche à l’abîme. De se re-construire une image
opérationnelle d’une installation dont les descriptifs techniques
n’avaient plus cours. De se re-construire une image de leur action sur
cette installation dévastée afin de dépasser la sidération initiale. De
se construire en collectif autonome alors que l’environnement
institutionnel – équipe de crise de la TEPCO, Agence de sûreté et
gouvernement – sont dépassés et incapables de fournir le soutien
organisationnel, technique et moral dont ils étaient responsables.
Ce nouveau récit, plus accessible,
pourrait trouver un public moins spécialisé que la première édition,
complète et savante. Le lecteur y trouvera, au début, une des clés de
compréhension des causes profondes de l’accident, lorsque Masao Yoshida
est interrogé sur la non prise en compte du risque d’un tsunami de 15
mètres sur la centrale. Il raconte les discussions à ce sujet, notamment
après le tsunami géant de 2004 dans l’océan indien, et l’absence de
décision de protection pour un tsunami allant au delà de 6,10 mètres.
Surtout, il indique le point aveugle qui a
conduit la société japonaise dans le mur. Alors qu’un tsunami similaire
avait déjà fait plus de 20 000 morts en 1896, avec une hauteur
atteignant 30 mètres à certains endroits, le choix a été fait de se
réinstaller sur les surfaces submergées. Or, note Masao Yoshida : «Mais
si on ne fait rien alentour, même si la centrale peut être protégée,
les villes, les villages voisins vont se retrouver complètement sous
l’eau. Bien sûr protéger une centrale nucléaire est important, mais si
on n’a pas de plan d’ensemble, on ne peut pas parler de véritables
mesures de protection.» Cette réaction incite à penser que si la
société japonaise n’a pas exigé une protection à la mesure du risque
pour cette centrale… c’est aussi que cela l’aurait obligée à se poser la
question de la sécurité des dizaines de milliers d’habitants de la zone
menacée. Pour un traitement plus complet de cet aspect, notamment
l’état de l’art en géophysique à l’époque, lire ici une interview d’un géophysicien peu après le séisme.
La TEPCO a mis en ligne un time line en images, allant de 2011 à 1018, de l’accident et de ses suites.
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