L’insoutenable légèreté de l’air

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Mickaël Fonton

Éditorial. En simplifiant encore un peu plus la tâche des promoteurs de l’éolien, le gouvernement poursuit un choix plus idéologique que rationnel, relève Mickaël Fonton.

Le parc éolien de Névian dans l'Aude. (photo ©R. Garcia/La dépêche du Midi/MaxPPP)

Les gens ne font jamais la même erreur deux fois. Ils la font trois, quatre ou cinq fois. Si la fameuse loi de Murphy a été écrite bien avant la ruée de certains pays occidentaux vers les énergies renouvelables, à une époque où les comportements déraisonnables prenaient d’autres figures, nul doute que l’admirable constance dont la France fait preuve dans sa politique de développement de l’électricité d’origine renouvelable aurait pu inspirer cette plaisante formule. Notre pays compte 7 000 éoliennes. Avant même d’aborder la question de leur intérêt énergétique, technologique, écologique et financier, notons qu’elles ont réussi, en une quinzaine d’années, à liguer contre leurs mâts de 200 mètres et leurs longues pales tueuses de rapaces, des milliers de riverains, de défenseurs des paysages, de protecteurs du patrimoine et d’ingénieurs électriciens.

Malgré cela, le mouvement qui les porte semble inéluctable. En lançant à l’automne un “groupe de travail éolien”, Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, en fixait le but en des termes pudiques : « Libérer les projets de certaines contraintes. » Comprendre : faire en sorte que l’opposition citoyenne, qui complique beaucoup la tâche des promoteurs depuis quelques années — notamment en pointant du doigt les conflits d’intérêts dans les communes où se fait l’attribution des terrains —, n’ait (presque) plus voix au chapitre. Le message a été reçu : en obligeant à déposer les recours pour les contentieux liés à l’éolien devant la cour administrative d’appel et non plus devant le tribunal administratif, le législateur retire au plaignant le premier et le plus simple des recours juridiques. Dix mille nouveaux mâts attendent de ficher en terre leurs énormes massifs de béton armé dans les huit prochaines années.
Tout ça pour quoi ? Non pour produire à volonté une électricité à faible coût, mais, plus modestement, pour sauver la planète, menacée par le réchauffement climatique. Or, pour la sauver il faut diminuer nos rejets de gaz à effet de serre (notamment le dioxyde de carbone), ce qui implique de bannir ces sources d’énergie “sales” que sont les hydrocarbures et surtout le charbon et de les remplacer par ces sources d’énergie propres, illimitées et gratuites que sont le vent et le soleil. La fin, c’est bien connu, justifie les moyens. Peu importe que tout, dans cette rapide explication causale, soit contestable et même, pour ce qui est de la gratuité et de la disponibilité du vent et du soleil, grossièrement faux. Peu importe la science. Les “énergies renouvelables” (ENR, qui comprennent en théorie l’énergie hydraulique produite par nos barrages mais, dans les faits, concernent toujours l’éolien et le solaire) font office de religion des temps modernes. S’en faire le héraut est, pour un Lecornu, un Hulot ou même un Macron, l’assurance de passer pour un visionnaire et un sauveur.

Quel homme politique refuserait une pareille onction ?
Jamais, pourtant, l’écart entre la réalité d’un objet et son image n’aura été si terrible, si tragique, si incompréhensible. Les principaux arguments relayés par les médias de masse, répétés sans faiblesse par la grande majorité des politiques, imprimés dans la quasi-totalité des manuels scolaires sont au mieux simplistes, au pire mensongers.

Le but, tout d’abord. Le fameux enjeu climatique. Le développement de l’éolien n’a, en France, aucune incidence sur les rejets de gaz à effet de serre. La quasi-totalité (95 %) de notre électricité, essentiellement d’origine nucléaire, est déjà décarbonée, elle l’est même plus qu’aucune autre sur la planète. « Dans le contexte français actuel, l’électricité renouvelable ne présente aucun intérêt, écrit Rémy Prud’homme dans son livre le Mythe des énergies renouvelables, quand on aime, on ne compte pas (L’Artilleur). Elle ne diminue en rien les rejets de CO2 du système électrique français. Et ce rien coûte très cher. » La sécurité d’approvisionnement, ensuite. L’éolien et le solaire ne sont pas conçus comme des ajouts : leurs promoteurs veulent augmenter leur part dans le mix électrique au détriment des autres moyens de production. Ils veulent fermer des centrales (à charbon et à gaz mais aussi nucléaires) pour les remplacer par des énergies propres (à leurs yeux). Or, celles-ci, intermittentes — le vent souffle en moyenne une heure sur cinq et le soleil baigne le sol une heure sur sept — sont incapables de satisfaire la demande nationale. La moitié du temps au mois de janvier, donc un mois de forte demande, la production de la totalité du parc éolien français (2 gigawattheures) équivaut à celle de la seule centrale de Fessenheim. En cas d’épisode de grand froid, comme celui que nous vivons actuellement, une forte hausse de la part des renouvelables dans le mix électrique français conduirait à des pannes ou à des obligations de réduction de consommation drastique. On ne s’étonnera pas de constater que le recours à la contrainte (sur la population ou sur les entreprises) est considéré comme souhaitable dans les projections les plus utopiques des partisans du “green power”.
L’écologie, justement : l’éolien ne souscrit à aucun des articles du credo vert. Complètement dispersée, elle oblige à fortement développer le réseau des lignes électriques, alors que la demande globale stagne ; elle renchérit le coût de l’électricité tout en fragilisant les structures existantes ; elle coûte donc un peu plus cher à tous, pour le seul bénéfice (mais lui, considérable) de quelques-uns ; après les naufrages d’Areva et d’Alstom, elle n’a plus rien de français ; elle génère un emploi marginal et même, du fait de son coût, probablement négatif à l’échelle du pays. Elle n’est en rien, enfin, une source d’énergie modeste, à taille humaine : sa promotion est le fait de grands groupes internationaux, de banques, de fonds d’investissement, qui trouvent dans cette rente imposée aux États une lucrative source de revenus. « Il en résulte que l’avenir désirable pour les renouvelables en France est l’avenir zéro, tranche Prud’homme. La France n’a actuellement nullement besoin de renouvelables intermittents. Ils ont un coût et aucun bénéfice. En fait, chaque éolienne érigée, chaque panneau solaire installé, est un mauvais coup porté à l’économie française. » Bien sûr, la recherche avance. Ne rêvons pas : elle ne sortira pas les ENR de l’impasse. Celle-ci n’est pas circonstancielle, elle leur est largement consubstantielle.

Ceux qui voudraient savoir à quel point la France au mieux s’illusionne, au pire brade son économie et ses paysages pour des chimères, liront avec intérêt l’ouvrage incroyablement complet de Rémy Prud’homme où, même dans les plus subtiles ramifications de ces sujets parfois très complexes, l’auteur conserve une impeccable clarté, rehaussée en outre d’une pointe d’humour bienvenue.

Le Mythe des énergies renouvelables, quand on aime, on ne compte pas, de Rémy Prud’homme, L’Artilleur, 320 pages, 20 €.

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