26 juin 2018

Privatiser progressivement le logement social : tel est l’un des objectifs du projet de loi « Elan », en cours d’examen parlementaire. Les conséquences de ce texte sont potentiellement désastreuses pour les locataires de HLM, en particulier les moins aisés. Après avoir fragilisé la situation de bailleurs sociaux, le gouvernement propose sa solution miracle : vendre 1% du parc chaque année, soit 40 000 logements par an basculés sur le marché privé. Les exemples de privatisation du logement social en Angleterre et en Allemagne laissent pourtant présager le pire : baisse du nombre des logements, dégradation des résidences, augmentation drastique des loyers, et explosion du mal-logement.
1,5 milliard d’euros : c’est la brutale coupe budgétaire réalisée par le gouvernement à l’encontre du logement social. 800 millions en moins sur les allocations logement versées aux locataires du parc social, et 700 autres millions via une augmentation de la TVA sur les HLM, qui passera de 5,5 à 10 %. « 1,5 milliard, cela représente les deux-tiers des fonds propres des organismes HLM, décrit Manuel Domergue, directeur des études à la fondation Abbé Pierre (FAP). Cet argent sert à la rénovation et la construction. » Le fait que les organismes HLM, pour le moment en bonne santé économique, se retrouvent sur la corde raide rendra certaines négociations difficiles. Celles permettant de faire baisser les loyers pour les personnes en grande difficultés, par exemple. « L’annonce de ce budget en baisse a eu des conséquences immédiates : le nombre de projets de constructions a diminué dès le mois de décembre 2017 », remarque Manuel Domergue.
La France compte 4,8 millions de logements sociaux, qui abritent 10 millions de personnes. Un Français sur deux loge ou a logé dans un logement social [1]. Outre le soutien de l’État (subventions directes, exonération d’impôts, accès facilité au foncier), le secteur du logement social reçoit l’aide des collectivités territoriales. La Caisse des dépôts et consignations, institution financière publique, lui octroie des prêts à très long terme, sur 30 ou 70 ans. Ces prêts constituent près de 75% du financement total du secteur, adossés sur les dépôts de l’épargne populaire du livret A. Entreprises et salariés participent également au financement des HLM, à travers le 1% logement. Les bailleurs peuvent, enfin, compter sur les locataires, qui reversent chaque année plusieurs milliards d’euros de loyers.
Bientôt 40 000 logements sociaux en moins chaque année
La mise sous tension financière du secteur, qui inquiète nombre d’acteurs, va en fait permettre au gouvernement d’imposer son agenda. La loi Elan – pour « Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique » – qui vient d’être adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale et passe actuellement au Sénat, en donne l’illustration. « [Cette loi] est pour une large part la conséquence de la loi de finances 2018 », analyse l’Union sociale pour l’habitat. Pour compenser cette coupe budgétaire, le gouvernement avance une solution miracle : la vente accrue de logements sociaux avec un objectif à terme de 1% du parc cédé chaque année, soit 40 000 logements – contre 8000 actuellement. « Nous aurons donc 40 000 logements sociaux en moins chaque année », confirme Manuel Domergue. Or, ce qu’il faudrait, c’est au contraire augmenter leur nombre. En 2017, selon la fondation Abbé Pierre, deux millions de ménages sont en attente d’un logement à loyer modéré ; 3,8 millions de personnes sont mal logées, et 12 millions éprouvent des difficultés locatives.
« La vente d’un logement permet le financement de deux ou trois logements (40 000 logements vendus pour 100 000 à 120 000 logements construits) », affirment Christophe Denormandie et Jacque Mézard, secrétaire d’État et ministre de la Cohésion des territoires. Problème : « On ne sait pas d’où vient ce chiffre, annonce Clément Allègre, chargé de mission logement social pour l’association Consommation, logement et cadre de vie (CLCV). Il n’apparaît pas dans l’étude d’impact du projet de loi Elan, ni dans aucune autre étude publique. Mais il est impossible qu’un logement vendu à Paris, par exemple, soit équivalent à trois logements construits au même endroit, étant donné le prix du foncier. »