Et le grand prix du jury du climathon est attribué à…

Par Benoît Rittaud et le jury du Climathon.

Voici la liste des nominés et le choix du jury du climathon.

 

La richesse de ce mois de décembre a posé un cas de conscience au jury, qui a dû faire un choix impossible entre deux réalisations exceptionnelles.

D’un côté, face au train de propagande climatique ayant accompagné le One Climate Summit jupitérien, l’un des membres du jury a d’emblée lancé : « Je ne vois pas comment on peut échapper au triomphe d’Emmanuel Macron. »
D’un autre côté, le président du jury, lui, a eu le plus grand mal à se remettre du choc mystique éprouvé à la lecture du titre fabuleux de cet article de Marielle Court paru dans Le Figaro :



Non, vous n’êtes pas sur une autre planète : vous êtes dans le Climathon.
Vous l’avez compris : ce mois de décembre 2017 a été celui d’un match au sommet entre rationalité et mysticisme, entre froideur calculatrice et évanescence auto contradictoire. Marielle Court y aura vaillamment tenté de capter le fameux « en même temps » macronien, en en approfondissant considérablement la portée : ce n’est pas seulement « froid en même temps que chaud », c’est « froid parce que chaud ».


Mais il fallait un seul vainqueur, et dans cette guerre d’attrition entre raison et passion, c’est la raison qui l’a finalement emporté. Plus précisément la raison du plus fort, celle du nerf de la guerre : le pognon. C’est donc Emmanuel Macron qui l’emporte ce mois-ci, pour l’organisation du One Planet Summitqui fait suite au bide de la COP23 destiné à donner une nouvelle impulsion à l’action climatique.
Pourquoi ce nouveau Sommet en France ? Parce que COP21, bien sûr, dont l’élan n’a jamais pu être prolongé au cours des deux éditions suivantes. Au fond, ces dernières sont un peu à la COP21 ce que Jack et William sont à Joe Dalton.
Oui, donc : encore un Sommet indispensable pour sauver la Planète. Une telle densité de Sommets pourrait faire penser à un continuum — un peu comme, pour donner un exemple pioché au hasard, une courbe de température qui serait plate à force d’avoir en permanence des maxima.
Alors que l’inoubliable Sommet des Consciences du Commandeur des Croyants était tout esprit, le One Planet Summit a été plus terre à terre : pognon, pognon, et pognon.

Le sous-titre annonçait la couleur :
La finance publique et privée au service de l’action climatUn nom français pour philosopher, un nom anglais américain international pour remplir les caisses, c’est finalement assez logique. Mais ne soyons pas dupes, « mettre la finance au service du climat » n’était bien sûr qu’un fallacieux prétexte : les 4000 participants de ce Climathon dans le Climathon, dont 50 chefs d’État et de gouvernements, avaient en réalité décidé d’en découdre pour faire émerger le grand vainqueur de l’étape de décembre.
La bataille fut homérique, chacun faisant assaut des plus belles formules millénaristes, de ces annonces catastrophistes à faire frémir même les plus rompus aux manifestations de ce genre, avec fin du monde, hausse exponentielle du thermomètre, valse des milliards, montée des eaux, disparition des ours blancs et autres stand up citoyens contre « les énergies du passé ».


Alors qu’il avait le désavantage de passer après d’autres compétiteurs chevronnés, des scientifiques reconnus de la Grande Cause tels qu’Arnold Schwarzenegger, Nicolas Hulot ou encore Marion Cotillard, le Président n’a pas tremblé lors de son discours. C’est le verbe haut qu’il a réclamé un changement « de nos habitudes de production », sans quoi « nous serons responsables de milliards de victimes »….
C’est à cela qu’on reconnaît les champions : ils ne craignent pas les grands nombres, là où tant de petits bras se contentent d’égrener chichement les centaines de millions.
La Pythie de l’Élysée se lance alors dans de sombres présages concernant ses confrères :
Derrière moi, il y a des chefs d’État et de gouvernement. Dans 50, 60 ou 100 ans, il y en a 5, 10, 15, qui ne seront plus là, tout simplement.

L’âge avancé de certains des participants peut en effet laisser craindre que les prédictions du chef de l’État se révèlent exactes. Le Président s’enflamme alors, jusqu’à montrer quelques signes de fébrilité :
On ne va pas assez vite, et c’est ça le drame ! On ne va pas assez vite !
En marche ! serait-il un parti trop lent ? Heureusement, l’homme de chiffres reprend le dessus, et se fait très précis, avec toute la froide rigueur de l’ancien banquier :
Là où on s’est engagés à une augmentation en moyenne de 1,5 degré, on est à 3 degrés et demi.
Le lecteur ne peut qu’être convaincu qu’avec un homme de cette trempe, l’incertitude scientifique est heureusement condamnée à disparaître.

12 engagements : un nombre idéal pour convaincre
Comme dans tout événement planétaire, il faut un résultat final convaincant. Et quoi de mieux qu’un truc avec des « engagements fermes » ? En nombre élevé, pour montrer qu’on a de l’ambition et pour être sûr que personne ne pourra les apprendre par cœur, mais en nombre pas trop grand non plus, pour faire semblant d’être crédible. Le nombre idéal : douze, évidemment.
Douze ! Entier qui aurait constitué une base beaucoup plus pratique pour jouer à Des Chiffres et des Lettres que cet épouvantable dix et son faible nombre de diviseurs.
Dix, ce sont les plaies d’Égypte, certes écologiques pour la plupart, et qui gagneraient d’ailleurs à être réactualisées au XXIe siècle pour apeurer culpabiliser responsabiliser les peuples.
Mais douze, ce sont les travaux d’Hercule, et surtout les principes de la chimie verte : des épreuves qui exigent du sang et des larmes mais à la fin desquelles l’âme humaine s’est élevée. Comme dans la lutte contre le chaos climatique, donc.
Le préambule des Douzengagements est prometteur :
12 engagements pris, et bientôt tenus. Emmanuel Macron avait prévenu les participants du One Planet Summit : « Réfléchissez bien, si vous prenez des engagements, nous vous poursuivrons pour qu’ils soient tenus. » Ils ont bien réfléchi… et se sont engagés. Plus que des engagements ce sont des actions. Les voici.
Finis les consensus mous : avec Manu, place à l’action.
Le Jury confesse une légère déception dans les titres des Douzengagements. Les trois premiers débutent comme il se doit par des verbes d’action ou assimilés, comme dans de beaux programmes de l’Éducation Nationale rédigés en capacités : « faire face aux événements extrêmes », « protéger les terres et les ressources en eau », « mobiliser la recherche et la jeunesse en faveur du climat » (ce dernier étant particulièrement inspiré).
Et puis tout d’un coup, ça s’arrête : le quatrième engagement est « marchés publics et accès des collectivités aux financements climat », puis le cinquième « objectif zéro émission ». Pareil pour les septzengagements suivants, tristement dénués de verbe. Le responsable « éléments de langage » a dû tomber malade et n’a pas été remplacé.
Afin d’apporter sa contribution au One Planet Summit, le Jury du Climathon se propose donc de montrer comment reformuler la suite des Douzengagements pour les rendre plus conformes.


Les accessits décernés par le climathon
À ce jeu de la surenchère, même Jean Jouzel, pourtant flamboyant champion d’Automne, a semblé rester cloué sur place, se contentant d’annoncer un poussif 300 à 400 000 décès supplémentaires, laissant toutefois présager une prometteuse accentuation de ce chiffre. Il s’est heureusement bien rattrapé, et c’est bien volontiers que le jury du climathon lui décerne un accessit pour la suite de son interview sur France TV Info.
Il tente en effet une incursion originale dans le domaine de la santé, façon X-Files, annonçant une entrée « dans un autre monde », s’accompagnant de moultes maladies, y compris des « maladies mentales ».
Reconnaissons bien volontiers avec lui que la répétition de ce type de compétitions de haut niveau peut entraîner quelques troubles mentaux pour des athlètes peu aguerris, ce qui heureusement est loin d’être son cas.
Au niveau des financements, il se libère de toute inhibition et annonce un triomphal :
Mille milliards d’euros pour l’Europe chaque année qui seraient nécessaires sur ces aspects de lutte contre le réchauffement climatique.
Pour le contribuable passablement inquiet à la lecture de cette envolée, pas de panique : tout ça est un cycle vertueux car « ce sont des investissements très créateurs d’emplois également ». À croire sur parole, bien entendu.

L’Agence Internationale de l’Énergie profite de ce climat financier propice aux grandes annonces chiffrées pour démontrer qu’elle n’est pas là pour compter les piécettes. Elle estime sans sourciller qu’il faudra
en moyenne 3 500 milliards de dollars d’investissement uniquement dans le secteur énergétique chaque année pendant 30 ans, pour contenir l’augmentation des températures à un minimum de 2°C .
Cela représente la bagatelle de 105 000 milliards de dollars au total (on ne résiste pas à l’idée de le voir s’afficher : 105 000 000 000 000 $), soit une cinquantaine de fois le PIB annuel de la France. Tout va bien.

La Banque mondiale précise de son côté :
Le changement climatique pourra faire basculer d’ici à 2030 plus de 100 millions de personnes dans la pauvreté.
Mais il n’est malheureusement pas précisé si elle compte parmi eux les généreux donateurs occidentaux qui contribueront à ce financement. Heureusement RFI tient à rassurer le lecteur : « plus vite on agira, plus on évitera des coûts considérables pour l’avenir ». Ouf.

Les skippers s’y mettent

Peu après avoir bouclé à Brest son tour du monde en quarante deux jours, François Gabart répondait aux questions du Monde le 20 décembre. Ayant aperçu un glaçon au sud de la Nouvelle-Zélande, et apparemment surpris de la chose alors que le tourisme sur des icebergs autrement plus gros que celui-ci y est monnaie courante, François Gabart déclare :
Dans les années qui viennent, les marins vont continuer à progresser et le record que j’ai établi va être battu. La seule limite, peut-être, à nos progrès sera la fonte de l’Antarctique à cause du réchauffement climatique. Ce qui pourrait nous empêcher de naviguer dans ces contrées dans les années qui viennent, avec une augmentation d’icebergs dans les mers du sud.
Un peu avant, à la question « En mer, voyez-vous des animaux ? Ou des pollutions humaines (le fameux 7e continent) ? », François Gabard répond :
Pour ce qui est de la pollution, malheureusement, on voit des plastiques proches des côtes, mais aussi, parfois, au milieu des océans. Mais le pire, ce sont les microplastiques que les poissons ingèrent et que, par voie de conséquence, nous ingérons aussi quand nous mangeons ces poissons, on ne les voit pas. Les scientifiques nous prouvent pourtant que leur présence ne fait qu’augmenter…
Comme quoi il est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir : celui qui veut voir à tout prix.

Notre meilleur ennemi
Bruno Latour confirme sa place au plus haut niveau dans un entretien accordé à Télérama (13/12/2017). Ce journal, trop peu présent dans la compétition malgré un potentiel évident, a lancé à notre compétiteur une question en forme de starting-blocks : comment apprendre à vivre dans « les ruines du capitalisme » ? (Si, si, tout ce que vous voyez autour de vous ne sont que ruines, vous n’aviez peut-être pas remarqué mais c’est comme ça.)
Notre champion d’octobre n’a pas manqué l’occasion :
Les questions à poser sont finalement assez élémentaires : cette Terre nouvelle, que change-t-elle à vos opinions, vos indignations, vos sentiments ? Avec qui voulez-vous cohabiter, et qui sont vos ennemis ? Pour ma part, j’ai rencontré avec les climato-sceptiques mes vrais ennemis politiques.
Un propos à rapprocher de ceux dans lesquels il présentait ses recherches sur la « cartographie des controverses », destinées à légitimer une partition binaire de la société distinguant les gentils des méchants :
Face à une carte, chacun doit pouvoir se situer : par exemple constater que si je suis contre l’origine anthropique du réchauffement, je me retrouve aux côtés de gens qui sont contre l’avortement, pour l’utilisation du charbon, et me demander si j’ai bien envie d’être aux côtés de ces gens-là.
On ne peut pas dire qu’on n’était pas prévenus.

Course à l’échalote
Hervé Le Treut fait partie de ces candidats discrets mais efficaces, avec un beau succès au climathon 2015 ainsi que deux accessits (ici et ). C’est donc avec plaisir qu’on retrouve ce compétiteur au mieux de sa forme, qui se décide enfin à prendre ses responsabilités et à tenter une double sortie du peloton.
Dans Sciences et Avenir tout d’abord, où il affirme que la communauté internationale pêche par ses prévisions trop optimistes quand elle annonce un réchauffement de 3°C « qui n’est pas fondé ». Commentant la grande diversité des prévisions des modélisations climatiques, il encourage à ne pas considérer la moyenne, 3°C donc, car ce serait « vouloir s’éviter des solutions onéreuses », ou encore « une manière de nier une partie des risques ».
Pour ne pas se faire négationniste, une seule solution : se fonder sur les modèles les plus pessimistes, c’est-à-dire sur un réchauffement supérieur à 5°C. Le jury ne peut qu’encourager l’Agence Internationale de l’Énergie à refaire tourner sa calculette afin de chiffrer les sommes nécessaires pour prendre les mesures qui s’imposent.
La deuxième sortie d’Hervé Le Treut a été aidée par un Étienne Klein dont on n’attendait pas mieux (et à qui le jury du climathon est heureux de décerner aussi un accessit).
Dans l’émission « La conversation scientifique » sur France Culture le 16 décembre, notre climatologue national déroule une foule d’énormités avant de lancer l’un des paradoxes dont il a le secret :
On a besoin de s’y mettre tout de suite c’est vrai, mais sans trop savoir où ça nous mènera de toute façon.
Pour ne pas être en reste, Étienne Klein pioche dans la pseudoscience contemporaine de quoi poser à son invité une question neutre et intelligente :
J’ai lu qu’un rapport de la société américaine de psychologie parle du lien entre réchauffement climatique et santé mentale. Et ce qu’il dit, c’est que les prévisions, qui sont toujours mauvaises, assombrissent l’humeur générale et que ça a des répercussions sur la société tout entière.
Parmi les bonnes lectures d’Étienne Klein, il y a peut-être Le Monde, qui titrait sobrement le 14 novembre que « les cyclones ravagent les biens, les corps mais aussi les esprits », le corps du texte lâchant de fortes pensées de la même veine. Le lendemain, le supplément « Sciences et médecine » enfonçait le clou en expliquant que
nul n’est besoin d’être touché directement pour ressentir des effets sur la santé mentale. […] En effet, à terme, les gens affectés sont plus susceptibles de présenter des comportements à risque, comme l’alcoolisme et la toxicomanie, ou d’avoir des difficultés au travail.
L’occasion d’un accessit rétrospectif, donc. Pour en revenir à Hervé Le Treut, mis face à ce morceau de science de haut vol, il lance de nouveau l’un de ses inimitables traits de génie qui consistent à dire à peu près le contraire de ce qu’il veut dire tout en ayant l’air de défendre son point de vue :
Je pense qu’il faut essayer de poser les problèmes effectivement dans leur dimension positive. Je le dis en ayant beaucoup péché parce que j’ai beaucoup alerté sur les problèmes de changement climatique.
Cher Hervé, vos péchés vous sont pardonnés, si récents qu’ils soient. Nous nous réjouissons par avance de votre explication de la dimension positive que vous envisagez à l’idée de remplacer la hausse moyenne prévue par la hausse extrême.
Pour ce faire, sans doute pourrez-vous vous associer avec Marielle Court pour titrer dans Le Figaro : « Chouette ! La Terre pourrait se réchauffer de 5° et non seulement de 3° ».

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