De notre correspondante,
Gwenaëlle Deboutte
Publié le 02/06/2016
Commentaire : Et il se dit que "le nucléaire c'est l'enfer!?"
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La transition énergétique allemande ne met pas fin à l’exploitation du lignite, entraînant la disparition de dizaines de villages, remplacés par des mines à ciel ouvert. Proschim pourrait subir le même sort
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Le village de Proschim risque de s’ajouter aux 136 villages rasés depuis cent ans à cause de l’extension de la mine. © crédit photo
En ce week-end de Pentecôte, ils sont entre 1 500 et 2 000 venus de toute l’Europe avec la ferme intention de perturber la machine Vattenfall. Vêtus de combinaisons blanches, les militants écologistes ont préféré opérer en petits groupes pour maximiser leurs chances de réussite. Objectif : pénétrer la mine à ciel ouvert de Welzow, dans l’Est de l’Allemagne, qui appartient à l’énergéticien suédois. Avec ses 11 000 hectares, c’est l’une des plus grandes d’Europe. La manifestation, commencée dans la bonne humeur, se termine par des affrontements avec les forces de police et l’arrestation de 120 activistes. Mais pour les organisateurs, le plus important est ailleurs. Ils se réjouissent d’avoir pu bloquer 80 % de la production pendant deux jours.
Par cette action de désobéissance civile, le mouvement « Ende Gelände » (« le bout du chemin ») entendait dénoncer la poursuite de l’exploitation du charbon et, en toile de fond, la politique énergétique allemande. Le grand tournant, nommé ici « Energiewende », prévoit l’arrêt du nucléaire en 2022. Si la part des énergies renouvelables continue de progresser (30 % en 2015, contre 25 % en 2014), le recours au lignite représente encore 25 % du mix énergétique. Il est prévu que les mines restent exploitées au minimum jusqu’en 2040, voire 2060. Pour Albrecht Gerber, le ministre de l’Économie du Land du Brandebourg (SPD), les problèmes de stockage et l’irrégularité de la production des énergies renouvelables rendent indispensable l’utilisation des matières fossiles, le temps de faire la jointure
Sur le terrain, cette politique a aussi des conséquences humaines désastreuses. La mine de Welzow, d’où sont extraites 20 millions de tonnes de charbon par an, n’a pas été choisie par hasard par les militants d’ Ende Gelände. En cent ans, son extension a rayé 13 villages de la carte. Dans toute la région de la Lusace (près de la Pologne), 136 villages ont été entièrement ou partiellement rasés. « Dieu créa la Lusace et le diable y mit le charbon dessous », dit un proverbe local, montrant bien toute l’ambivalence autour de cet or brun, source de revenus, mais aussi malédiction. Le petit village de Proschim et ses 365 âmes est le prochain sur la liste, avec une disparition prévue pour 2024. Depuis des décennies, certains de ses habitants sont entrés en résistance.
« Les premiers plans de destruction datent de 1984, du temps de la RDA. C’est la chute du mur de Berlin qui nous a sauvés, se rappelle Günter Jurischka, qui vit à Proschim. Depuis 2006, un nouveau projet d’agrandissement remet une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. » Il parle en connaissance de cause : Rosendorf, son village natal, gît depuis quarante ans au fond d’un lac artificiel. Cet homme énergique, adhérent de la CDU (les chrétiens-démocrates), est intarissable sur le sujet. Avec son acolyte plus posée, Hannelore Wodkte, sans étiquette mais soutenue par les Verts, ils forment un duo de choc qui accueille inlassablement les journalistes pour promouvoir leur cause. Devenu célèbre dans toute l’Allemagne, Proschim incarne à lui seul le paradoxe de l’Energiewende.
Depuis 2004, ses habitants ont investi dans les énergies renouvelables. Ils ont commencé avec deux petites éoliennes de 0,6?MW chacune. Deux ans plus tard, elles ont été suivies par quatre plus puissantes, portant la production totale à 13,4 MW. Le hameau compte également une centrale de biogaz de 0,5 MWh et des panneaux photovoltaïques de 1,5?MW. « Au total, Proschim possède 15MW installés, de quoi alimenter en électricité 15 000 logements », se réjouit Günter Jurischka. Mais cela pourrait ne pas suffire pour sauver son village. Déjà, à quelques centaines de mètres, dans le lieu-dit d’Alt Haidemühl, un petit ensemble de maisons à moitié détruites donne une impression de désolation. En 2006, Vattenfall avait commencé l’expropriation des habitants, mais, pour des raisons bureaucratiques, le projet est au point mort depuis dix ans.
L’attention des médias apporte une lueur d’espoir aux habitants de Proschim. « Autrefois, il suffisait qu’un projet d’extension soit demandé par l’exploitant pour que le gouvernement régional l’accepte immédiatement. Aujourd’hui, nous avons réussi à montrer que l’agrandissement d’une mine n’est pas qu’une question économique, c’est aussi une question de droits humains », estime Thomas Burchardt, de l’association Klinge Runde qui défend l’identité souabe, une minorité allemande dotée d’une langue propre. Celle-ci est particulièrement menacée par ces déplacements. Du temps de l’Allemagne de l’Est, ces familles étaient souvent dispersées et relogées dans des immeubles collectifs grisâtres, ce qui entraînait une perte de leur culture.
Une région économiquement fragile
L’État essaie donc de faire mieux, comme en 2004 avec les villages de Horno et de Haidemühl. Après une décennie de lutte, les deux communes ont été déplacées pour un montant respectif de 50 et 150millions d’euros. Le nom des rues, ainsi que leur organisation ont été conservés. Aujourd’hui, Neu Horno (nouvel Horno) donne l’impression d’une petite ville rutilante et paisible. On y trouve même un musée consacré aux lieux disparus, qui accueille une centaine de visiteurs par an. « Je comprends que les plus anciens aient perdu leurs repères, souligne Derthe Stein, employée du musée. Mais nous, la jeune génération, nous nous y sentons bien. Nous savons qu’il n’y a pas de retour possible, donc nous y avons pris nos marques. »
Pourtant, si les habitants ont souvent gagné au change avec des maisons plus modernes, respectant les dernières normes écologiques, il est des images qui marquent encore les esprits. « Le déplacement du cimetière de Horno, si douloureux pour beaucoup de familles, fut un véritable choc et le déclic de mon engagement dans la cause de Proschim », se souvient Hannelore Wodkte. Conscientes de la mauvaise image de ce genre d’opération, les autorités avaient alors promis que Horno serait le dernier village à subir ce sort. Mais en Allemagne, le charbon est une tradition dont il est difficile de se séparer. Pour des raisons d’économie, de politique et de lobby. En particulier dans cette région de l’ex-RDA, à la structure économique si fragile.
« La poursuite de l’exploitation du charbon brun en Lusace est indispensable, tranche Maik Bethke, de la Chambre de commerce et d’industrie de Cottbus. C’est la base de l’économie de la région. Plus de 17 000 emplois directs et indirects en dépendent. Une restructuration trop abrupte aurait des conséquences catastrophiques. » Il n’est pas rare que des tensions apparaissent entre militants anti-charbon et employés des mines, inquiets pour leur emploi…
Craintes autour du rachat des mines
Le sort de Proschim, comme celui d’une trentaine de bourgades, est entre les mains du groupe tchèque EPH et de son partenaire financier PPF. Ils ont signé, le 18 avril, un accord pour le rachat de toutes les mines de Vattenfall outre-Rhin [lire ci-dessous]. Dirigé par le milliardaire Daniel Kretinsky, EPH est spécialisé dans la production, le stockage et le transport du gaz et de l’électricité. Si le montant de la transaction n’a pas été précisé, EPH a indiqué qu’il reprendrait pour 3,4 milliards d’euros d’actifs et 2 milliards d’euros de passifs et de provisions, notamment pour les opérations de réhabilitation des sols. Face à de tels chiffres, l’inquiétude à Proschim est montée d’un cran. « C’est une entreprise capitalistique, qui ne connaît pas le charbon et qui cherche à faire de l’argent, juge Thomas Burchardt. Si le charbon redevient attractif car le prix des énergies renouvelables augmente, nous ne sommes pas à l’abri d’un nouveau projet. » Interrogé sur sa stratégie, EPH a botté en touche, estimant qu’il est encore trop tôt pour fournir plus d’informations.
« Après la signature définitive de l’accord de transaction, nous prendrons toutes les décisions importantes qui concernent l’extension de la mine. Cela se fera en concertation avec les parties prenantes (gouvernement régional et fédéral, responsables du personnel, habitants de Proschim) », précise Daniel Castvaj, le porte-parole du groupe. Pour les opposants au projet, tels Hannelore Wodkte et Günter Jurischka, il n’est pas question de relâcher la pression.
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