L’énergie solaire plombée par les terres rares

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Bien que l’énergie solaire soit généralement perçue comme inépuisable, on ne peut pas en dire autant des dispositifs qui transforment les rayons du soleil en électricité. Qu’ils soient de première, deuxième ou troisième génération, les diverses technologies photovoltaïques (PV) dépendent toutes de métaux rares pour leur fonctionnement. Or, les faibles réserves de ces éléments, de même que leur disponibilité réduite sur les marchés, limiteront sérieusement le déploiement à venir de l’énergie solaire.
Malgré toute la publicité qu’elle reçoit, l’industrie photovoltaïque reste aujourd’hui marginale. Selon les données du GIEC, elle ne produit que 0,1 % de l’énergie primaire produite dans le monde, c’est-à-dire toutes les sources d’énergie confondues. La puissance solaire installée à la fin de 2013 était de 134 GW et a produit environ 163 TWh d’électricité, alors que la demande mondiale en énergie cette année-là représentait 23 127 TWh.


La sphalérite, un sulfure de zinc contenant des traces de métaux rares.

Les besoins des technologies photovoltaïques
Les panneaux photovoltaïques de première génération représentent environ 90 % du marché mondial et ils devraient continuer à le dominer dans un avenir prévisible. Ils fonctionnent essentiellement à base de silicium, un matériau qui est abondant. Les terres rares ne présentent aucun souci dans leur cas. Mais ils utilisent des connecteurs électriques en argent, un métal dont les réserves sont extrêmement basses. L’industrie pourrait être forcée d’adopter des substituts moins efficaces.


La deuxième génération de panneaux photovoltaïques est dite « à film mince », parce que les matériaux sensibles sont appliqués en couches très fines. Cette forme de PV convertit beaucoup plus efficacement la lumière du soleil en électricité que la technologie au silicium, mais elle dépend énormément des terres rares. L’une des technologies utilisées, appelée CdTe, repose sur le cadmium et le tellure. L’autre est connue sous le nom de CIGS, du nom des métaux utilisés : cuivre, indium, gallium et sélénium.
Il existe une troisième génération de panneaux PV, qui en est au stade pré-commercial. Cette technologie repose sur une couche d’oxyde de titane – un métal qui sans être rare, n’est pas très abondant – et filtre la lumière du soleil à l’aide de colorants. Il est techniquement possible de créer des colorants organiques, mais les plus efficaces sont à base de ruthénium, un métal rare aussi utilisée dans les technologies de photosynthèse artificielle.

Des métaux rares, en production limitée
L’argent est l’un des rares métaux exploités pour lui-même à être utilisé dans l’industrie PV. On estime le stock total d’argent sur Terre entre 270 000 à 510 000 tonnes. On l’exploite au rythme de 23 000 tonnes par année et les réserves sont proches de l’épuisement, qui devrait survenir quelque part entre 2020 et 2030. Le recyclage ne couvre que 20 % de la demande. L’argent est un conducteur de choix, très utilisé dans l’industrie électrique. En dépit de sa taille modeste, l’industrie PV représente déjà 18 % de la demande mondiale d’argent.
Le cadmium est un sous-produit de la production du zinc. On le trouve en association avec celui-ci dans un minerai appelé sphalérite, qui contient de 3 à 11 % zinc et de 0,0001 à 0.2 % de cadmium. On ne peut donc pas augmenter la production de cadmium sans augmenter celle de zinc, un métal dont les stocks sont eux-mêmes en grande partie épuisés. La production de cadmium atteint 22 000 tonnes par année et les réserves seraient de 500 000 tonnes environ. Il est donc relativement abondant, mais toxique.
L’indium est le 69e élément en rareté au monde. On le trouve lui aussi associé au zinc dans la sphalérite, mais en concentration beaucoup plus faible. La production est de 820 tonnes par année, pour une réserve de 11 000 tonnes seulement. L’indium est une composante essentielle des tous les panneaux à écran liquide (télévisions, téléphones), un usage qui absorbe 80 % de la modeste production mondiale.
Le gallium serait presque aussi abondant que le cuivre, mais il ne forme hélas pas de concentrations importantes. Il est est difficilement extrait de la bauxite, un minerai d’aluminium qui contient de 0,003 à 0.008 % de gallium. La production de gallium est à peine de 440 tonnes par année, pour une réserve de 6 500 tonnes seulement. En dépit de sa rareté, le gallium se retrouve partout dans l’industrie des semi-conducteurs et de diodes, qui absorbe 95 % de la production, contre 2 % seulement pour le PV.
Le tellure et le sélénium se retrouvent en faible concentration dans les minerais de cuivre, dont ils sont séparés par un procédé électrolytique. Le sélénium est relativement abondant avec une production annuelle de 2 000 tonnes et des réserves estimées 120 000 tonnes, mais la disponibilité du tellure est limitée à 500 tonnes par année, avec une réserve de 24 000 tonnes. Le sélénium est peu utilisé pour la production de panneaux PV (il est surtout utilisé dans la production de batteries, notamment celles au lithium) mais le secteur PV représente déjà 40 % de la demande en tellure.
Enfin, le ruthénium est associé au platine, dont 90 % des réserves mondiales se trouvent dans un seul complexe minier, en Afrique du Sud. On en produit 12 tonnes seulement par année; les réserves seraient de l’ordre de 5 000 tonnes. Le ruthénium est utilisé à 60 % par l’industrie électrique, qui s’en sert pour produire des contacts résistants à l’usure. L’utilisation en PV est insignifiante pour le moment.
Les terres rares sont déjà abondamment recyclées, pour la plupart. Il y a peu de percées importantes à attendre de ce côté.

Signification pour l’avenir du PV
Comme on le voit, plusieurs métaux utiles aux technologies photovoltaïques les plus avancées sont rares et déjà accaparés par d’autres industries. Bien que les quantités utilisées par mètre carré de panneau soient minimes, les énormes quantités à produire finissent par représenter beaucoup de ressources.
Les chercheurs Leena Grandell et Mikael Höök ont eu l’idée de calculer combien de panneaux solaires ont pouvait produire à partir des ressources disponibles. Les résultats sont plutôt décourageants pour le PV de deuxième et de troisième génération.
Dans le cas de la technologie CdTe, la production est contrainte par la faible disponibilité du tellure. L’industrie du PV absorbe déjà 40 % de sa production, et même si cela montait à 50 %, on ne pourrait produire, au total, que 465 TWh d’électricité par année à partir de cette technologie de panneaux.
Dans le cas de la technologie CIGD, le facteur limitant est l’indium. Si on en utilisait 50 % pour la production de PV, on pourrait aussi produire un total 465 TWh d’électricité par année, mais comme l’industrie des écrans plats utilise déjà 80 % de cette ressource, il sera difficile d’en transformer plus de 10 % en PV, pour un maigre total de 93 TWh.
En ce qui concerne la technologie de troisième génération utilisant des colorants, la contrainte vient évidemment du ruthénium. Il en faut heureusement très peu, de sorte qu’un utilisant 50 % de sa production mondiale pour l’industrie du PV, on pourrait ajouter 3 720 TWh
Il s’agit là de maximums absolus, après épuisement des ressources connues. Autrement dit, les technologies de deuxième et de troisième génération fourniront moins de 4 000 TWh d’énergie par année, alors que la demande mondiale dépasse déjà les 23 000 TWh et croît rapidement. De plus, la production des terres rares étant lente et limitée par la demande pour d’autres métaux, il faudra des décennies pour atteindre ces quelque 4 000 TWh. Et comme le recyclage ne récupère pas tout, les stocks de terres rares sont appelés à diminuer ensuite. Les panneaux de première génération, limités par la disponibilité de l’argent, connaissent des contraintes semblables.
Il faut donc en conclure qu’à moins de réduire substantiellement notre consommation d’énergie, les panneaux photovoltaïques ne pourront, au mieux, ne couvrir qu’une petite fraction de nos besoins en énergie. On constate aussi que loin d’être inépuisable, cette source d’énergie est liée aux réserves très limitées de terres rares dont nous disposons. C’est un argument de plus en faveur de la sobriété énergétique.


Source :
Leena, G., Höök, M. (2015) Assessing Rare Metal Availability Challenges for Solar Energy Technologies</a. 


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