Le gouvernement dévoile la programmation pluriannuelle de l’énergie

Valéry Laramée de Tannenberg


Commentaire : voyage au bout de la nuit et jusqu'en enfer!

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La France devra réduire de 14% sa consommation d’énergie finale entre 2012 et 2028. [Shutterstock]

Après bien des retards, le gouvernement français a rendu public son projet de programmation pluriannuelle de l’énergie. Relativement audacieuse, cette politique décennale souffre pourtant de nombreux défauts. Un article de notre partenaire, le Journal de l’environnement.
La France rentre dans le dur. Près de deux mois après en avoir dévoilé les grandes lignes, le gouvernement a publié le vendredi 25 janvier, le projet programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Institué par la loi sur la transition énergétique, cet exercice de planification énergétique porte sur les périodes 2019-2023 et 2024-2028. Il est la déclinaison opérationnelle de la stratégie nationale bas carbone (SNBC).
Le nouveau paquet Énergie Climat 2030 européen demande d’ailleurs aux 27 membres de l’Union européenne de fondre ces deux documents en un plan national intégré Energie Climat (Pniec). À charge ensuite pour les services de la Commission européenne de vérifier que les orientations des Pniec soient conformes aux objectifs Energie Climat assignés à chaque pays membre.
La PPE fixe avant tout un grand objectif, qui détermine le reste. Dans dix ans, la France ne devra pas émettre plus de 227 millions de tonnes de CO2 issues de la combustion de fossiles: 43% de moins qu’en 1990 (année de référence pour la comptabilité carbone de l’ONU).



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Recul sur l’objectif de réduction de la consommation

Pour ce faire, la France devra réduire de 14% sa consommation d’énergie finale entre 2012 et 2028 (c’est 6% de moins que prévu par la loi de transition énergétique de 2015), et faire baisser de 35% sa demande primaire d’énergies fossiles pour la même période. En 2028, nous devrons, collectivement, consommer jusqu’à 247 térawattheures (TWh) par an de chaleur d’origine renouvelable: 60% de mieux qu’en 2012.
Puisque le maître mot de cette stratégie est la décarbonation du système énergétique, les réseaux de gaz pourraient recevoir jusqu’à 22 TWh/an de biogaz en 2028: 55 fois plus qu’en 2017. A la fin de la décennie prochaine, la capacité totale du parc de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables pourrait atteindre 113 gigawatts (GW). Soit un doublement de puissance (hydraulique comprise) par rapport au bilan établi l’an passé par RTE.
Comment faire évoluer ainsi le bouquet énergétique? D’abord, en fermant les quatre dernières centrales «fonctionnant exclusivement au charbon». Un objectif fixé pour 2022, à la demande de RTE qui craint de manquer de moyens de production de pointe au cours des trois prochaines années. Ensuite, en poursuivant le développement des énergies renouvelables électriques.

Évolutions possibles du parc électrique français
Filières (en MW)    2017        2023              2028
Hydroélectricité    25.517     25.700       26.400 à 26.700
Eolien terrestre     13.559      24.600       34.100 à 35.600
Eolien marin            0            2.400         4.700 à 5.200
Photovoltaïque      7.660        20.600       35.600 à 44.500
Biomasse               1.949          800               800
Biogaz                      n.c.          270          340 à 410
Géothermie              n.c.           24                 24
Nucléaire               63.130    62.930       59.330
Charbon                 2.997         0                    0
Fioul                       4.098      40.98         40.98
Gaz naturel             11.851      11.851       11.851
Total                       130.761   153.273    177.243 à 188.513
Sources: RTE, PPE 2019

Rien de bien nouveau sous le soleil. La PPE fixe le calendrier des appels d’offres prévus pour les futures capacités hydroélectriques, éoliennes, photovoltaïques. Ils vont se succéder au rythme moyen de sept par an entre le premier trimestre de 2019 et les derniers jours de 2025. Avec quelques petites évolutions à la clé. Les tarifs d’achat sont probablement amenés à évoluer, compte tenu de la baisse des coûts de production de l’éolien et du solaire. «Les résultats de l’expérience du parc éolien offshore de Dunkerque seront, à cet égard, très importants», insiste-t-on dans les couloirs de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC).
Premier parc à avoir fait l’objet d’un dialogue compétitif, le parc éolien de Dunkerque devrait produire aux alentours de 70 €/MWh, moitié moins que le prix probable des parcs marins issus des premiers appels d’offres.
Devant le peu d’acceptation dont font l’objet de nombreux ouvrages (éoliens, mais pas uniquement), Roquelaure veut réduire autant que possible les surfaces consommées par les renouvelables. Pour les centrales photovoltaïques au sol: priorité aux sites dégradés (friches industrielles, anciennes décharges, parkings), aux sites « anthropisés » (champs, lacs) et aux toitures. Au total, le photovoltaïque ne devra pas consommer plus de 400 kilomètres carrés de sol en 2028 et 200 km2 de toitures.

Plus de puissance pour moins de mâts
Pour l’éolien, c’est un peu le même principe. Le gouvernement entend privilégier l’installation de machines de plus grande puissance et le repowering (renouvellement ou remplacement intégral) qui permet d’accroître la puissance d’un parc à nombre de mâts constants. En 2028, la France ne devrait pas supporter plus de 15 000 mâts : deux fois plus qu’en 2017, pour une puissance plus de 2,5 supérieure.
Pour consommer un tiers de chaleur renouvelable, le gouvernement prévoit notamment d’obliger les propriétaires de bâtiments neufs à consommer un taux minimum de chaleur ‘verte’. Pour ce faire, le fonds Chaleur verra sa dotation passer de 255 à 350 millions d’euros entre 2018 et 2002. Quelques coups de pouce fiscaux (crédit d’impôt pour la transition énergétique -Cite-, TVA à taux réduit) sont également prévus. Les exploitants de décharges de déchets ménagers devront obligatoirement valoriser le biogaz. De même pour la chaleur fatale produite par les incinérateurs de déchets non équipés de système de récupération de la chaleur ou de production d’électricité.

1,2 million de voitures électriques
Et de l’électricité, il en faudra pour alimenter les véhicules électriques, principale réponse à l’enjeu de la décarbonation des transports individuels. Dès 2023, environ 1,2 million de voitures électriques (contre 43 000 en 2017) circuleront et s’approvisionneront auprès de 100 000 bornes de recharge. En attendant l’interdiction de leur mise en vente en 2040, les voitures thermiques devront voir leurs performances environnementales s’affirmer (95 grammes de CO2 au kilomètre dès 2021) et consommer toujours plus d’agrocarburants. Les services de François de Rugy prévoient d’incorporer 7% d’agrocarburants de deuxième génération en 2028 (contre 0,7% en 2017) et de limiter la distribution de carburants produits à partir d’huile végétale au piètre bilan environnemental: huile de palme ou de soja. Les véhicules professionnels consommant du bioGNV bénéficieront d’un sur-amortissement.
Sujet cristallisant (malheureusement) l’essentiel du débat sur l’énergie en France, le nucléaire obtient une sérieuse dérogation. Comme annoncé depuis plusieurs mois, le gouvernement prévoit bien de plafonner la production électronucléaire à 50% de la production totale en 2035 (au-delà de l’horizon de cette PPE) et non pas en 2025, comme fixé par la loi de transition énergétique de 2015. L’officialisation de ce dérapage devra être acté dans une prochaine loi.

La retraite à 50 ans
Concrètement, les deux réacteurs de Fessenheim devront être arrêtés par EDF «au printemps 2020». Quatre autres tranches pourraient être stoppées entre 2025 et 2028. Par la suite, le principe général sera d’arrêter les réacteurs de 900 MW à leur 50e anniversaire. Ce qui correspond à la durée de l’amortissement de ces 32 réacteurs dans les comptes d’EDF. Si elle fait hurler les antinucléaire, cette dénucléarisation modérée rassure certains spécialistes. «En allant doucement, on empêche EDF de nous fourguer son EPR qui ne fonctionne toujours pas», souligne un conseiller extérieur du gouvernement.
Produire plus d’énergie décarbonée ne suffira pas. Il faut aussi massivement réduire notre demande d’énergie. Par exemple, en renforçant les normes environnementales (énergies et émissions de GES) des bâtiments neufs, dès 2020. Le gouvernement prévoit, comme le précédent d’ailleurs, de faire rénover 500 000 logements par an. Aides de l’ Anah, Cite et certificats d’économie d’énergie (CEE) devraient aussi dynamiser l’utilisation d’énergies renouvelables pour chauffer les logements. Des dispositifs spécifiques sont en cours de déploiement pour éradiquer les chaudières domestiques au charbon (20.000) et au fioul (3 millions) d’ici à 2029.

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Des CEE pour les ETS
L’industrie n’a pas attendu la PPE 2019 pour entamer sa décarbonation et réduire son appétit de calories. Depuis 2010, sa demande d’énergie a baissé de près de 10%. Et toutes les filières consommant du charbon ont diminué leur demande. Pour accélérer ces deux tendances, le gouvernement propose d’expérimenter l’usage des CEE dans les 1 100 sites énergivores assujettis à la directive ETS. BPI France pourra distribuer toujours plus de prêt éco-énergie aux PME réalisant des travaux éligibles aux CEE.
Relativement ambitieuse, cette PPE est loin d’être encore opérationnelle. Les 368 pages mises en ligne par le ministère de la transition écologique doivent encore passer l’épreuve de la consultation avant d’être intégrées au décret qui leur donnera force de loi. Dans quelques mois. Mais les vrais problèmes sont ailleurs.

Quid de la taxe carbone ?
Pour que l’édifice nucléaire tienne la route, le Parlement doit rapidement adopter la future ‘petite’ loi sur l’atome, dont l’épaisseur ne cesse d’enfler. Son adoption pourrait ne pas être une simple formalité.
Pour réduire l’attrait des carburants liquides fossiles (essence et gazole), la fiscalité du carbone doit maintenir sa pression. Or c’est la pression des Gilets jaunes qui a été fatale à la trajectoire initiale. De 44,6 €/t CO2, celle-ci devait atteindre 86,2 €/t CO2 en 2022. Ce ne sera pas le cas. Et nul ne sait si le gouvernement osera remettre le prix du carbone sur la table du Grand débat national. «Or, sans prix élevé du carbone, aucune politique climatique ne tient la route», résume un économiste du climat.

Pas assez de biomasse
Que ce soit pour faire du biogaz ou de la chaleur, la biomasse est à l’honneur dans cette PPE. Mais la France ne produira pas suffisamment d’effluents, de déchets de végétaux, de reliefs de repas, de bois pour nourrir ses futurs chaudières et méthaniseurs.
«Tout le monde aura la tentation d’aller en chercher à l’étranger qui n’aura pas la possibilité d’en produire suffisamment», concède un haut fonctionnaire du ministère de la transition écologique. «Et même si nous voulions exploiter tout le bois qui se trouve dans nos forêts, il faudrait une politique nationale cohérente qui n’existe pas», renchérit un expert.
On croit aussi beaucoup au développement du biogaz, substitut idéal du gaz naturel fossile. La PPE prévoit d’en injecter 8 TWh/an en 2023: 20 fois plus qu’en 2017. En 2030, 7% de la consommation française de gaz pourraient être satisfaite par les énergies renouvelables (contre 10% prévues par la loi de 2015). Problème: personne ne peut encore dire si les promesses de baisse des coûts faites ces dernières années par les professionnels (et par Engie) sont réalistes. Gênant.

Exporter sans ligne ?
La rénovation du parc de logements est une antienne de la transition énergétique à la française. Voilà une bonne dizaine d’années que les gouvernements tricolores promettent de faire rénover 500 000 logements par an, sans jamais atteindre pareil objectif, de près ni de loin. Faute de moyens supplémentaires alloués à cette noble mission, cela ne devrait pas changer de si tôt.
La transformation importante du bouquet électrique a deux vocations essentielles: assurer la sécurité de l’approvisionnement des Français en électricité décarbonée et conforter la situation française de château d’eau électrique de l’Europe de l’Ouest. La DGEC estime ainsi qu’en vitesse de croisière, la France pourrait exporter 170 TWh/an, plus de deux fois son volume habituel. Impressionnant. À condition de disposer des interconnexions capables de véhiculer ces colossaux volumes d’électrons (presque le tiers de la consommation française!). Ce n’est pas encore le cas. Or il faut bien une décennie pour tirer une nouvelle ligne THT. Un vœu pieux, l’électrification de l’Europe à la française?

Moins d’argent pour le climat ?
L’éolien, terrestre surtout, a été choyé par les rédacteurs du projet de PPE : 22 GW à mettre en service en dix ans, soit une moyenne (jamais atteinte jusque-là) de 2 GW à installer chaque année. Problème : la France ne dispose toujours pas de l’Autorité environnementale. Faute de ce rouage administratif essentiel au développement de ce genre de projets, aucune éolienne n’a été érigée depuis un an. «Le décret de régularisation est en cours de rédaction, assure-t-on à l’Hôtel de Roquelaure, mais sa publication n’est pas encore à l’ordre du jour.» C’est bien dommage.

Last but not least : l’argent. Si le gouvernement évalue à 360 milliards d’euros le montant du devis décennal, nul ne sait qui paiera la facture. Une facture dont le solde annuel peut d’ailleurs surprendre. Dans la dernière livraison de son panorama des financements Climat, I4CE estimait à 41,2 Md€ le volume de sous consacrés par la France à l’atténuation et à l’adaptation. Soit 5 Md€ de mieux par an que ce que prévoient les auteurs de la PPE 2019. La PPE 2019 annonce-t-elle vraiment une baisse des investissements Climat français? On n’ose le croire.


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