02 | 10 | 2016
« Toxiques naturellement » : c’est le titre de l’article publié par Que Choisir dans son numéro de septembre 2016. « Pas d’agriculture sans traitement, pas de traitement sans inconvénient. Qu’ils soient bio ou conventionnels, tous les agriculteurs luttent contre les ravageurs », peut-on lire sous la plume du journaliste Erwan Seznec, qui rappelle une simple vérité : l’agriculture biologique utilise, elle aussi, « des centaines de spécialités homologuées » dont certaines possèdent un profil écotoxicologique pas particulièrement rassurant. Le journaliste évoque les cas connus de l’huile de neem, « un perturbateur endocrinien avéré », du cuivre, dont l’accumulation dans les sols provoque « un effet phytotoxique », ou encore du spinosad, « un insecticide bio, toxique pour les pollinisateurs ».
Crime de Lèse-bio : la chasse au journaliste est ouverte Dessin de C Richard pour Agriculture et Environnement
Même si le journaliste de Que Choisir met à mal l’argument marketing du biobusiness, selon lequel l’agriculture bio n’utilise pas de pesticides, il est loin de mettre en cause l’intérêt de ce mode de production. « L’agriculture biologique génère des produits exceptionnellement sains », note Erwan Seznec, tout en précisant qu’il s’agit d’une « démarche délicate, qui pardonne mal les erreurs ». Il révèle ainsi qu’en 2013, alors que 2 000 exploitants sont passés au bio, « mille en sont sortis, selon les chiffres de l’Agence Bio ». Et de préciser : « Sur les quelque 25 000 exploitations, ce n’est pas rien ».
Fureur noire chez les écolos
Il n’en fallait pas davantage pour susciter une fureur noire au sein de la frange la plus intégriste du lobby du bio. Ce dont témoigne une série de mails publiés sur la liste de diffusion des membres de la Commission agricole d’Europe Écologie-Les Verts (EELV). On y retrouve les interventions d’Éliane Anglaret, la présidente de Nature & Progrès (la plus ancienne association française de lobbying du bio), de Claude Aubert, le premier secrétaire de Nature & Progrès et l’un des fondateurs de Terre Vivante, de Jacques Caplat, cofondateur du Réseau Semences Paysannes et actuel administrateur d’ Agir pour l’Environnement, et bien entendu, de François Veillerette, l’incontournable patron de Générations Futures, l’association antipesticides financée par les géants de l’agriculture biologique. Le but de ces échanges ? Persuader les responsables de Que Choisir de ne plus publier d’articles d’Erwan Seznec.
« Seznec est effectivement coutumier du fait. Générations Futures s’était fait allumer par lui il y a quelques mois. J’avais dû faire passer un dossier montrant son parti pris à son rédac-chef », déplore ainsi François Veillerette. « Nous devons réussir à convaincre la commission agricole de Que Choisir, puis le CA fédéral du mouvement, de ne plus laisser paraître quoi que ce soit de ce niveau sur ces sujets dans la revue », poursuit Serge Rivet, militant historique de Nature & Progrès et responsable régional au sein d’ EELV. Une double casquette qui ne l’a pas empêché de devenir référent régional (Vienne) de l’association UFC-Que Choisir. Ce qui est plutôt curieux au regard des statuts de l’association, qui stipule être « complètement indépendante des fabricants, des commerçants, des syndicats, des groupes de presse ou financiers, des partis politiques et, plus généralement, de tout intérêt ou groupement autre que celui des consommateurs ».
Avec l’aide d’autres militants du lobby du bio réunis au sein d’ EELV, Serge Rivet a donc réussi à mettre le « cas Seznec » à l’ordre du jour de la réunion de la commission agricole de l’ UFC-Que Choisir du 16 septembre. « [La commission] était unanime pour dénoncer l’article en question », se réjouit-il dans un mail daté du 20 septembre. « Les arguments que Jean [Pluvinage], Claude [Aubert] et Jacques [Caplat] m’ont fait parvenir sont venus appuyer et soutenir opportunément la commission pour convaincre le bureau fédéral du mouvement de consommateurs d’inscrire ce sujet à l’ordre du jour de sa prochaine réunion », se félicite Serge Rivet, qui compte tout faire pour que l’affaire soit ensuite traitée lors du prochain conseil d’administration fédéral. L’objectif étant « qu’une décision soit prise pour ne plus accepter d’article de cet auteur ». « C’est donc le moment pour envoyer tous les avis et toutes les demandes de droit de réponse, les articles et autres textes qu’un maximum d’entre nous comme de lecteurs voudront envoyer », indique le responsable d’ EELV. « Bravo pour cette initiative », applaudit de son côté Sarah Feuillette, une ancienne animatrice de la commission agricole d’ EELV. « Si des signatures sont cherchées, Générations Futures serait bien sûr ravi d’apposer la sienne », ajoute le procureur de l’écologie politique, François Veillerette.
Une fuite imprévue
L’affaire est donc bien partie. Sauf que la totalité de ces échanges de mails, adressés à plus de 300 personnes, se retrouve sur le bureau… d’Erwan Seznec, l’un des destinataires ayant visiblement jugé utile de l’alerter [1]. . La riposte de l’intéressé ne s’est pas fait attendre : les échanges ont été rendus publics in extenso sur un blog créé pour l’occasion. « Ce site provisoire vise à exposer un incident survenu en septembre 2016. Par un concours de circonstances, que j’expose ici, des militants d’Europe Écologie Les Verts (EELV), ont tenté de me rendre indésirable dans la rédaction d’un magazine pour lequel je travaillais depuis des années, Que Choisir », note Erwan Seznec. Et on y découvre des menaces, des contre-vérités, des insultes et autres « amabilités ».
Malaise chez les complotistes, indignés de voir leur intrigue étalée au grand jour. « C’est très surprenant », s’exclame François Veillerette, qui a reçu une mise au point du journaliste. « Il est toujours choquant de voir que des messages destinés à une liste “fuitent“ au-delà », poursuit Jacques Caplat. Le responsable d’ Agir pour l’Environnement et ancien animateur à la Fédération nationale d’agriculture biologique n’hésite pas à renverser les rôles, traitant Erwan Seznec de… « coupable de délit de recel ». « Qu’il y pense lorsqu’il lira ce présent commentaire, et que lui et son informateur soient informés qu’ils sont parfaitement passibles d’action en justice », menace le militant. Faut-il voir là une tentative avortée d’empêcher Erwan Seznec de rendre publique cette médiocre opération de maccarthysme ? La question mérite d’être posée, car l’opération de muselage du journaliste a visiblement déplu à plus d’un destinataire des mails. Notamment à un viticulteur membre de la Conf’, qui a demandé à être retiré de la liste. « Je commençais à en avoir assez des affirmations et certitudes de la part de ceux qui veulent voir disparaître les paysans, qu’ils soient éleveurs, bio ou conventionnels », a-t-il expliqué.
« Erwan Seznec doit se marrer dans son coin », déplore Jacques Caplat, qui ajoute que « non content d’avoir diffamé l’agriculture biologique, il aura en outre mis le souk sur la liste ». Caplat et ses amis étaient loin d’imaginer que la grenade qu’ils ont dégoupillée leur exploserait à la figure.
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