Nouveau et nuisible : le gouvernement surtaxe la nature

Baptiste Giraud (Reporterre)
15 décembre 2017 /



Le projet de loi de finances pour 2018 va nuire à l’ensemble des espaces naturels, estime le spécialiste Guillaume Sainteny. Le projet prévoit en effet de taxer leurs propriétaires de manière nettement supérieure à celle des détenteurs des autres capitaux. Poussant ainsi à la vente des champs et bois pour la construction immobilière. L’Assemblée nationale risque de l’adopter vendredi 15 décembre.

La chose est passée complètement inaperçue. Alors qu’elle pourrait avoir des conséquences importantes sur les espaces naturels français.

Le principal changement introduit par le projet de loi de finances (PLF) pour 2018, présenté le 27 septembre devant l’Assemblée nationale et critiqué par les ONG environnementales, consiste en la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), remplacé par un nouvel impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui concernera uniquement les biens immobiliers (bâtis et non bâtis), et un prélèvement forfaitaire unique (appelé « flat tax ») pour les biens mobiliers (placements, actions, dividendes, etc.).
Pour les seconds, la taxation consistera donc en un prélèvement unique, identique quel que soit le patrimoine total du propriétaire, de 30 % des revenus de ces biens. Tandis que les biens immobiliers, eux, seront toujours soumis à une série de taxes et impôts : sur les revenus, sur le patrimoine immobilier, sur les plus-values immobilières, etc.

Le problème, soulevé par Guillaume Sainteny, professeur à Polytechnique et qui a travaillé plusieurs années au ministère de l’Écologie, c’est qu’il y a parmi ces biens immobiliers des espaces naturels. Bois, terres agricoles, landes, friches, montagnes, littoraux… L’ensemble du foncier non bâti représente l’essentiel du territoire français (85 % selon Guillaume Sainteny). Parmi ces espaces, certains sont classés Znieff, Natura 2000, ou appartiennent à un parc naturel protégé.

Les espaces naturels deviendraient « les plus taxés de tous les biens en France »
« On savait que l’immobilier allait être davantage taxé. Mais je pensais qu’ils en sortiraient le non bâti, par bon sens. Mais en fait non, il n’y a aucune exception », dit Guillaume Sainteny à Reporterre. Seul le foncier public n’y sera pas soumis.

Imaginez-vous propriétaire d’un petit étang, que vous louez à l’année à des pêcheurs. « D’abord, les revenus issus de cette location seront taxés à 62,2 % (contre 60,2 % auparavant). Puis il faudra payer la taxe sur le foncier non bâti (variable selon les municipalités), la taxe annuelle pour la chambre d’agriculture, des droits de mutation à titre onéreux de 10 % à l’achat, un impôt de plus-value de 36,2 % à la revente, une assurance ainsi que ses taxes (si quelqu’un tombe dans l’étang), et l’ IFI en fonction de son capital immobilier, allant de 0,5 à 1,5 % de la valeur des biens. » Ainsi, les espaces naturels deviendraient « les plus taxés de tous les biens en France », écrit-il dans une note de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité parue le 5 novembre.

« Le Conseil des impôts a montré qu’en France, le foncier non bâti a un rendement net négatif après imposition de ses revenus, avant même de prendre en compte les impositions du patrimoine », explique-t-il. Il coûte donc plus qu’il ne rapporte. « Un conseiller financier ne peut que recommander à ses clients de vendre leur bois, leur zone humide, leur étang ... pour investir dans des actions de sociétés, y compris pétrolières. Ils ne paieront que 30 % d’impôt sur les revenus de leurs actions, rien d’autre. Alors que pour un espace naturel qui stocke du carbone mais ne rapporte rien, leur taux de taxation sera nettement supérieur. »

Sainteny résume ainsi les options qui s’offriraient à un acteur économique : « Les impôts ne pouvant être payés par le revenu du bien, ils devront être acquittés par leur vente, leur fragmentation, en tentant de les urbaniser ou d’intensifier leur production pour en tirer un revenu un peu plus élevé, au détriment de leur caractère naturel. »

La logique est l’exact inverse de la taxation du carbone, présente dans ce Projet de loi de finances 2018 (voir notre article). « Là, on taxe ceux qui stockent le carbone, les forêts, les prairies… analyse Guillaume Sainteny. Stopper des crues, stocker du carbone, faire écran sonore, conserver la fraîcheur… tous ces services écosystémiques ne sont pas comptabilisés aujourd’hui sur le plan économique, donc, on ne s’en rend pas compte quand on les supprime. »

Certes, mais qui sera concerné par ces mesures ? Les agriculteurs propriétaires des terres qu’ils exploitent ne seront pas soumis à l’ IFI. Mais leurs bailleurs non exploitants paieront l’ IFI ainsi que les 62,2 % d’impôt sur le loyer qu’ils perçoivent en fermage. « En France, les fermages sont fixés par arrêté préfectoral à un prix très bas. Donc les propriétaires de foncier ont une rémunération faible, et une taxation maximale. »

Le signal symbolique est bien clair : investissez dans le mobilier, les actions et autres placements, pas dans la nature.
Mais qui sont ces propriétaires ? Y a-t-il encore de grands propriétaires terriens ? Guillaume Sainteny évoque les agriculteurs retraités, qui auraient conservé des terrains, ainsi que les propriétaires forestiers (l’essentiel de la forêt française étant privée), par exemple dans la forêt des Landes. « L’immobilier, bâti ou non, est beaucoup plus important dans les petits patrimoines que dans les gros », annonce-t-il. Selon lui, les espaces naturels représentent 85 % du territoire français, mais seulement 5 % en matière de valorisation.

La forêt des Landes appartient encore largement à de grands propriétaires.

Quoi qu’il en soit, l’IFI ne s’appliquera que pour les plus gros propriétaires, à partir de 800.000 € de capital immobilier (voir le barème ici).
Si l’on peine à voir quel type de propriétaires seront touchés, risquant de mettre en danger les espaces naturels qu’ils possèdent, le signal symbolique est bien clair : investissez dans le mobilier, les actions et autres placements, pas dans la nature.

Alors qu’Emmanuel Macron invitait il y a peu les signataires de l’accord de Paris à réfléchir au financement de la transition énergétique, cette analyse fait apparaître le double discours de l’État français. Volonté politique de pousser les gens à construire, ou simple bévue ? Interrogé par Reporterre, le député France Insoumise de Gironde, Loïc Prudhomme, penche pour la seconde option : « Je ne pense pas que ce soit fait sciemment. Le gouvernement s’est attaché à alléger toutes les charges fiscales des plus riches, il a aligné la taxation du foncier non bâti et du bâti sans faire attention. »

« C’est symptomatique du monde dans lequel on vit, avec une classe privilégiée tellement obsédée par ses intérêts qu’elle ne fait pas attention aux effets de sa politique, et aux dégât collatéraux sur l’environnement » avance le député. « En l’état, ces mesures sont scandaleuses. Elles constituent une incitation à vendre des parcelles ou les bâtir. »

Après être passé en première lecture à l’Assemblé, puis au Sénat, le texte doit à nouveau être examiné à l’Assemblée ce vendredi 15 décembre.

LE GOUVERNEMENT N’INCITE PAS À LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE, BIEN AU CONTRAIRE
La même logique de taxation devrait également pénaliser les travaux de rénovation énergétique des bâtiments, selon Guillaume Sainteny. « Vous voulez rénover ? le coût est élevé et demande à être amorti. Mais, avec ces travaux, votre bien prend de la valeur, donc votre IFI (impôt sur la fortune immobilière) augmente. Si, ensuite, vous voulez revendre, vous aurez la taxe sur les plus-values immobilières, qui augmente de 34,5 à 36,2 %. S’il s’agit d’un bien que vous mettez en location, la taxation des revenus que vous en tirez augmente, donc le temps de récupération de votre investissement s’allonge. Il y a 8 millions de logements dans le parc locatif privé, et c’est là que les logements sont le moins rénovés. Dans tous les cas, il faut être maso pour faire ces rénovations ! »

Lire aussi : Sous des dehors alléchants, le budget 2018 traite mal l’écologie
Source : Baptiste Giraud pour Reporterre
Photos :
. chapô : Unsplash (Nitish Kadam/CC0)
. Landes : Wikimedia (Marie Anne ROBERT/CC BY-SA 4.0)

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