Publié le 04.12.2017
Alors que plusieurs gestionnaires de transport d’électricité européens ont récemment publié des bilans mettant en évidence les difficultés liées à un déclassement trop abrupte des centrales nucléaires, l’interprétation que leur donnent les ministres compétents et autres autorités divergent. En France, suite au bilan de RTE, Nicolas Hulot annonça le report de la baisse du nucléaire à 50%. En Belgique, le gouvernement a réaffirmé son intention de fermer les centrales en 2025 malgré le rapport d’ Elia. En Espagne, le ministre Nadal insiste sur l’importance du maintien des centrales. En Angleterre, ainsi qu’en Slovaquie, en Hongrie et en Pologne, de nouveaux projets voient le jour, ou sont prévus, alors qu’en Allemagne, l’abandon du nucléaire semble faire consensus.
La sortie du nucléaire ne fait donc pas l’unanimité parmi les états membres de l’UE.
La question s’inscrit par ailleurs dans le contexte pressant de la transition énergétique puisque l’Union s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 20% d’ici 2020 et de 40% d’ici 2030 (par rapport au niveau de 1990). Outre cela, chaque état membre est contraint d’assurer un mix énergétique comprenant suffisamment de sources d’énergie renouvelable (SER).
Comment, dès lors, articuler les besoins de croissance en matière de SER avec ce dilemme nucléaire ? Le renouvelable et le nucléaire sont-ils mutuellement exclusifs ou, au contraire, sont-ils complémentaires ? Afin de tenter d’apporter une réponse à ces questions, plusieurs paramètres doivent être pris en compte.
Tout d’abord, l’Europe doit fixer ses priorités. Veut-on privilégier le déclassement nucléaire ou veut-on faire progresser la réduction des émissions de CO2 ? En effet, avec les technologies disponibles à l’heure actuelle, il est difficile d’imaginer, du moins à court terme, un scénario permettant un déploiement simultané de ces deux objectifs.
Or, s’il est difficilement imaginable que les SER remplacent le nucléaire, notamment à cause de leur caractère intermittent, n’est-il pas concevable, en revanche, que l’énergie nucléaire puisse, elle, contribuer à la réduction des GES ?
Un avantage fondamental de l’énergie nucléaire est le fait que son taux d’émissions de CO2 sur l’ensemble de son cycle de vie est faible, voire insignifiant, lorsqu’on le compare à celui des autres moyens de production. Le GIEC indique que, parmi toutes les sources d’énergies habituellement employées, seule l’éolienne terrestre est moins émetteuse que l’énergie nucléaire[1] .
En conséquence, une combinaison nucléaire-SER optimaliserait le mix énergétique européen et permettrait aux états membres d’atteindre plus facilement les objectifs qu’ils se sont fixés.
Le rôle du nucléaire dans la sécurité d’approvisionnement
Un autre aspect, régulièrement rappelé dans les bilans des gestionnaires ainsi que dans la littérature académique, est le rôle crucial que joue l’énergie nucléaire dans la sécurité d’approvisionnement. Une étude récente réalisée au Japon démontre le risque qu’entraîne l’interruption d’une fourniture volumineuse régulière lors qu’aucune source alternative fiable n’a été prévue[2] .
Ce risque est double, puisqu’une telle interruption met en péril aussi bien la sécurité d’approvisionnement interne qu’externe. D’une part, cette situation alourdit la mission des unités de production restantes à assurer une alimentation continue satisfaisant à la demande des unités de consommation qu’elles desservent, ce qui peut notamment amener à des situations de black-out.
D’autre part, pour compenser le manque de production d’électricité, les marchés soudainement privés d’énergie nucléaire devraient importer davantage de pétrole et de gaz, voire de charbon, ce qui les rendrait plus vulnérables aux externalités économiques, géopolitiques, ou autres. A ce sujet, la stratégie européenne pour la sécurité énergétique précise que la baisse de production d’énergie indigène dans les pays membres pourrait être ralentie à moyen terme notamment en renforçant l’utilisation de l’énergie nucléaire[3] .
En revanche, si l’élargissement du parc de SER permet de diminuer les émissions de GES, les technologies renouvelables actuelles ne sont que de très faibles gardiens de la sécurité d’approvisionnement étant donné leur dépendance quasi totale, du moins dans le cas de l’éolien et du photovoltaïque, de conditions météorologiques favorables.
Ceci étant, l’augmentation de SER permettrait d’agrandir la capacité de production interne. En assurant la charge de base et en contribuant à une énergie de secours, cette synergie entre la capacité accrue en SER et l’énergie nucléaire, constituerait la recette idéale pour assurer une sécurité d’approvisionnement aussi bien interne qu’externe. Il subsiste toutefois un inconvénient dans le fait que l’énergie nucléaire n’est pas facilement « dispatchable ». Sa mise en service comme énergie en suivi de charge est fort coûteuse.
L’éolien déstabilise le réseau
Un paramètre additionnel qu’il faut prendre en compte est la capacité du réseau de transport européen à absorber ce volume accru d’énergie provenant de SER. En effet, une étude de Katrin Schmietendorf et. al., publiée en novembre, démontre que, de par ses caractéristiques, l’injection d’énergie éolienne déstabilise le réseau électrique et diminue considérablement la fréquence ainsi que la qualité du voltage[4] . En outre, l’électricité photovoltaïque exacerbe cette instabilité en raison des fonctions de commutation non-linéaires des onduleurs[5] , et bien sûr, de l’irradiation solaire irrégulière.
A l’inverse, l’énergie nucléaire est très régulière et est de ce fait choisie traditionnellement comme source principale pour assurer la charge de base. Or, comme expliqué ci-dessus, l’énergie nucléaire n’est pas une technologie flexible. Une source complémentaire en suivi de charge (et non en charge de base) est donc nécessaire pour le maintien de la stabilité du réseau.
Dans une étude sur le mix énergétique français, pour ne prendre qu’un exemple, Camille Cany et. al. estiment que la centrale à cycle combiné gaz présente les meilleurs atouts en terme de coûts[6] . Quoi qu’il en soit, ce paramètre met en évidence la complexité de la question du mix énergétique. Il apparaît donc que l’intégration des unités de production renouvelables supplémentaires dans le mix énergétique européen nécessitera une adaptation importante de l’infrastructure de transport et de distribution accompagnée d’une croissance de la flexibilité du parc de production avec, dans la mesure du possible, même des moyens de stockage et de gestion de la demande.
En conclusion, il est vrai que les SER et l’énergie nucléaire peuvent contribuer de manière complémentaire à la réduction des émissions de GES. De plus, là où l’accroissement du parc de SER permet une augmentation de la capacité de production indigène, les centrales nucléaires peuvent soutenir les fluctuations intermittentes de ces SER avec une charge de base solide et régulière.
Néanmoins, afin d’assurer pleinement une alimentation continue ainsi que la stabilité du réseau, une source supplémentaire est nécessaire, préférablement sous la forme de centrales à cycle gaz combiné.
[1] IPCC. 2014., IPCC Working Group III – Mitigation of Climate Change, Annex III: Technology – specific cost and performance parameters, p. 10.
[2] Kitamura, & Managi. (2017). Energy security and potential supply disruption: A case study in Japan. Energy Policy, 110, 90-104.
[3] Commission européenne, COMMUNICATION DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN ET AU CONSEIL Stratégie européenne pour la sécurité énergétique/* COM/2014/0330 final */
[4] Schmietendorf, K., Peinke, J. & Kamps, The impact of turbulent renewable energy production on power grid stability and quality, O. Eur. Phys. J. B (2017) 90: 222.
[5] Hossain, J., & Pota, Hemanshu Roy. (2014). Power Systems : Robust Control for Grid Voltage Stability: High Penetration of Renewable Energy : Interfacing Conventional and Renewable Power Generation Resources (1). Singapore: Springer Singapore.
[6] Cany, Mansilla, Da Costa, Mathonnière, Duquesnoy, & Baschwitz. (2016). Nuclear and intermittent renewables: Two compatible supply options? The case of the French power mix. Energy Policy, 95, 135-146.
php
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire