Rénovation thermique : la vacance de M.Hulot

Antoine de Ravignan
19/12/2017

Désintox
Après la trêve des confiseurs, la concertation sur le Plan de rénovation énergétique des bâtiments, lancée fin novembre et censée s’achever fin janvier, risque de reprendre sur un mode houleux. En effet, les 14 milliards d’euros d’investissements public sur le quinquennat annoncés le 24 novembre dernier par le ministère de la Transition écologique et solidaire pour rénover 500 000 logements par an (ainsi qu’un quart du parc immobilier de l’Etat) sont nettement sous-estimés. C’est ce qu’a mis en lumière le dernier Panorama des financements climat en France, réalisé par l’I4CE (Institute for Climate Economics), un think tank créé par la Caisse des Dépôts et l’Agence française de développement). Publié le 6 décembre, peu avant le « One Planet Summit » organisé à Paris par Emmanuel Macron, ce document a jeté un froid, montrant combien la France ne se donne pas les moyens de ses ambitions climatiques, en particulier en ce qui concerne la rénovation des logements.

En 2016, le résidentiel-tertiaire a représenté 45 % de la consommation énergétique finale de la France et 24 % des émissions de CO2 liées à la combustion de l’énergie (hors production électrique), d’après le dernier bilan énergétique de la France, ce qui fait de la rénovation thermique des logements et autres bâtiments un enjeu clé de la transition écologique. C’est aussi un enjeu majeur du changement social : 7 millions d’habitations sont mal isolées et 3,8 millions de ménages vivent dans la précarité énergétique.

Déficit de financement
Après avoir présenté le 6 juillet son plan climat, qui vise la neutralité carbone en 2050 et l’éradication de la précarité énergétique dans dix ans, Nicolas Hulot est entré dans la phase opérationnelle et a lancé le 24 novembre une concertation nationale sur son Plan de rénovation énergétique des logements. Objectif : rénover 500 000 logements par an, dont 150 000 correspondant à des passoires thermiques (étiquette énergie F ou G) pour des ménages en situation de précarité énergétique, 100 000 logements sociaux financés par les bailleurs sociaux et 250 000 autres logements privés. Cet objectif est peu ou prou le même que celui qu’avait fixé François Hollande au début de son quinquennat (120 000 rénovations en logement social et 380 000 en logement privé). La France en est toujours aussi éloignée. Environ 288 000 rénovations performantes ont été réalisées dans le privé en 2015, indique le ministère de l’ Écologie, auxquelles s’ajoutent quelque 100 000 rénovations annuelles dans le parc social.

Le financement de la rénovation des logements repose sur trois piliers : les fonds propres des propriétaires, les emprunts bancaires et les aides publiques, sous forme de subventions ou de bonification de prêts. En 2016, selon I4CE, ces trois piliers ont totalisé 8,9 milliards d’euros, dont 42 % de financements publics, qui incluent les investissements de l’Etat, des collectivités et des bailleurs sociaux, ainsi que les subventions aux ménages, sous la forme, principalement, du crédit d’impôt transition énergétique (Cite). Les pouvoirs publics jouent ainsi dans le financement de la rénovation des logements un rôle central, notamment dans leur capacité à orienter l’épargne privée vers des opérations de rénovation efficaces. Cependant, l’étude d’I4CE souligne un énorme déficit de financement. Pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone au chapitre de la rénovation (380 000 logements dans le privé et 120 000 logements sociaux), il faudrait que les investissements dans la rénovation (performante) des logements se situent autour de 20 milliards d’euros par an d’ici à 2020, toutes sources confondues. Soit plus qu’un doublement de l’effort actuel de 8,9 milliards.

Si l’on retient une part de financement public d’un tiers seulement qui correspond à des niveaux historiquement faibles (contre 42 % actuellement), cela signifie 7 milliards d’euros d’engagements annuels… à comparer aux 2,8 milliards annuels du plan Hulot présenté en novembre (14 milliards d’euros répartis sur 5 ans). Même si l’on ajoute 1,2 milliard d’euros par an (6 milliards d’euros sur cinq ans) de certificats d’économie d’énergie (CEE) sur lesquels mise le ministère de manière bien étonnante et si l’on intègre environ 600 millions d’euros annuels au titre de la TVA à taux réduit et de l’ éco-prêt à taux zéro (montants qui ne sont pas comptabilisés dans le plan Hulot), on arrive bien loin du compte.

Zoom 6 milliards grâce aux certificats d’économie d’énergie ? A voir !

« Sur le quinquennat, les certificats d’économie d’énergie permettront en outre d’accompagner les ménages à hauteur de 6 milliards d’euros environ », écrit le plan Hulot. Les CEE, comme on les appelle, sont un dispositif lancé en 2006 et destiné à réduire les consommations d’énergie. Les fournisseurs d’énergie (par exemple une entreprise de distribution de carburant) sont dans l’obligation de faire réaliser à leurs clients un certain volume d’économies d’énergie, attestées par les CEE. En aidant par exemple des ménages à entreprendre des travaux d’isolation dans leur maison qui généreront un certain volume d’économies d’énergie, ces entreprises obtiendront des CEE qu’ils sont censés fournir à l’administration, à hauteur de leurs obligations.

Le 1er janvier 2018 s’ouvre la 4e période d’application des CEE (2018-2020), avec un doublement de l’effort pour les entreprises obligées par rapport à la période précédente (2015-2017). L’I4CE a estimé entre 200 et 300 millions d’euros par an la subvention aux ménages que représente ce dispositif en 2015 et 2016 pour la rénovation des logements privés. Sachant que le niveau de l’effort double, le quintuplement de la subvention aux ménages au titre des CEE indiqué dans le plan Hulot (6 milliards sur le quinquennat) est-il crédible ? « Je suis un peu surpris par ce chiffre », commente Hadrien Hainaut, d’I4CE.

Ce n’est pas tout. Le financement du plan du ministre de l’ Écologie n’est pas seulement très en-deçà des ambitions qu’il défend. Il envisage également une baisse par rapport à l’effort budgétaire consenti jusqu’à présent. En effet, selon les documents présentés le 24 novembre dernier, les 2,8 milliards annuels du plan Hulot additionnent des fonds destinés tant au logement privé qu’aux bailleurs sociaux (pour 600 millions d’euros de prêts), qu’au patrimoine des collectivités (600 millions de prêts) et qu’au patrimoine de l’Etat (360 millions d’euros). Ce qui ferait donc 1,3 milliard d’euros de financements publics pour la rénovation des logements privés (voir ici, page 5) et 2 milliards si l’on intègre la TVA à taux réduit et l’ éco-prêt à taux zéro non inclus dans le plan Hulot. Or, selon I4CE, les financements publics pour les logements privés ont atteint 3 milliards d’euros en 2015 et 2016 (voir ici, page 18). Le plan Hulot propose donc de baisser d’un tiers les financements publics pour la rénovation privée, alors qu’il cherche à faire passer de 288 000 à 400 000 le nombre de rénovations annuelles. Sans expliquer où se trouve la baguette magique.

Les moyens du plan Hulot pour la rénovation énergétique (en milliards d’euros)
Source : Ministère de la transition écologique et solidaire

En 2016, 3 milliards pour la rénovation du parc privé Aides publiques pour le financement de la rénovation des logements privés (en milliards d'euros)
Source : l4CE

On note en particulier que l’instrument principal du financement public de la rénovation énergétique dans le parc privé, le crédit d’impôt transition écologique (Cite), est pratiquement amputé de moitié. En 2016, sur 3 milliards d’euros de financements publics pour la rénovation du parc privé, l’apport du Cite a représenté 1,7 milliard d’euros, soit plus de la moitié. Mais dans le plan Hulot du 24 novembre, la contribution du Cite ne représente plus que 1 milliard d’euros annuels. Où est passée la différence ? Par les portes et les fenêtres. Dans le cadre du vote de la loi de finance 2018, le gouvernement voulait supprimer le crédit d’impôt de 30 % pour les fenêtres, portes et volets, une mesure qui représente une dépense publique d’environ 700 millions d’euros par an. Face à la grogne des professionnels, l’exécutif a finalement ramené cet avantage à 15 % à partir du 1er janvier et sa suppression pourrait être effective à la fin de l’année 2018.

Ce crédit d’impôt « fenêtres » avait été sévèrement critiqué par une étude conjointe de l’IGF (Inspection générale des finances) et du CGEDD (Conseil général de l’environnement et du développement durable) publié en avril dernier, qui dénonçait « un rapport très défavorable entre l’euro dépensé et l’économie induite » (voir ici, p. 2). « Certes, cette mesure était peu efficace. Toutefois, la réalité, au final, est que le Cite a été amputé de 700 millions d’euros, alors que cette dépense aurait pu être maintenue pour financer des travaux plus pertinents », ne manque pas de faire observer Danyel Dubreuil, coordinateur de l’initiative Rénovons !, collectif d’associations et d’entreprises qui milite pour que la France engage pour de bon le chantier de la rénovation des logements.

Pour Marylise Léon, secrétaire nationale à la CFDT : « La rénovation énergétique est un levier incontournable dans la lutte contre le changement climatique. Cet impératif de rénovation est aussi un enjeu de justice sociale. La lutte contre la précarité énergétique doit être pleinement considérée comme une opportunité pour créer de l’emploi et améliorer les conditions de vie des travailleurs ». Le 23 mars dernier, Nicolas Hulot avait lancé « L’appel des solidarités », pour mettre en œuvre une transition à la fois écologique et solidaire. Plus de 80 associations et des dizaines de milliers de citoyens avaient répondu à son appel. Même si le ministre de la Transition écologique et solidaire n’est pas le seul responsable dans cette affaire, loin s’en faut (il faut aussi compter avec le ministre de la Cohésion des territoires et avec celui des Finances), la réponse n’est pas tout à fait celle qu’ils attendaient.

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