La Chine ne veut plus être la poubelle du monde

Olivier Guichardaz 
 27/12/2017

La Chine l’a annoncé en juillet dernier : à partir de 2018, elle va interdire l’importation sur son sol de plusieurs sortes de déchets, en particulier les papiers-cartons et les plastiques mélangés, non lavés ou non triés, ainsi que certains déchets métalliques. Objectif affiché : améliorer la qualité des matières recyclables qu’elle achète à des fins de transformation. Dès la décision connue, de nombreux acteurs de l’économie mondiale ont réagi, relayés par la presse économique.




En France, la ­Fédération des entreprises du recy­clage, Federec, a fait part de sa préoccupation. Au niveau européen, ­Euric, la Confédération des industries du recyclage européen, également. Le Bureau international du recyclage (BIR) lui a emboîté le pas. Et pour cause : le commerce international de déchets est devenu un maillon important du commerce des matières premières et la Chine y occupe une place prépondérante.
L’empire du Milieu est, par exemple, le premier importateur mondial de papiers-cartons récupérés (près de 30 millions de tonnes en 2013), très loin devant l’Inde (2,5 millions de tonnes), et le premier importateur mondial de déchets de plastiques (7,8 millions de tonnes en 2016, soit 63 % de ces importations mondiales). Il est aussi le septième importateur mondial d’acier à partir de ferrailles (2,2 millions de tonnes en 2016), derrière la Turquie (17,7), l’Inde (6,4) et la Corée du Sud (5,8).

L’Empire du déchet Importations de déchets en 2015, en milliards de dollars



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Des déchets privés de débouché
Au niveau mondial, les entreprises du recyclage traitent environ 600 millions de tonnes de déchets par an, dont un tiers environ fait l’objet d’échanges internationaux, en particulier avec la Chine et l’Inde, selon le Bureau international du recyclage. Ce commerce s’accroît en raison de la raréfaction des matières premières vierges, de leur coût et des réglementations environnementales qui encouragent l’essor du recyclage, en particulier dans les pays développés.
Il s’appuie aussi sur une forme de division internationale du travail. L’Inde, la Chine et les pays en voie de développement sont ­devenus les usines des pays développés en produisant une bonne partie des biens manufacturés achetés par les consommateurs américains et européens. En retour, une partie des déchets engendrés par ces biens repart notamment en Chine et en Inde, qui manquent de matières premières pour alimenter leurs usines. Les coûts très bas du fret retour favorisent ce type d’échange – en effet, les transporteurs maritimes baissent leurs tarifs pour essayer de remplir leurs bateaux qui, sans cela, repartiraient à vide.
La décision chinoise de restreindre ses importations risque fort de bousculer une partie de ce commerce. Pendant des années, la Chine s’est montrée assez peu regardante sur la qualité des déchets qu’elle importait, ce qui arrangeait tout le monde. Dans les pays développés, on pouvait ­ainsi se contenter d’un tri minimal des déchets, ce qui limitait leurs coûts de gestion. Et la Chine recevait les matières dont elle avait besoin à des prix intéressants.
Ces dernières années, la Chine a ­envoyé plusieurs signaux avertissant d’un renforcement de ses exigences de qualité. La décision ­a­nnoncée l’été dernier n’est peut-être qu’un pas de plus dans un mouvement qui pourrait s’amplifier. Sa brutalité a toutefois surpris. Car si les Chinois appliquent avec rigueur ce qu’ils ont avancé, leur industrie du recyclage va se trouver très vite à court de matière première. Et certains ­déchets triés en Occident, y compris en France, ne vont plus avoir de débouché, au moins à court terme.

Plusieurs scénarios possibles

Sur le moyen terme, la décision chinoise peut avoir des conséquences variées sur lesquelles les spécialistes sont divisés. Certains considèrent que cela va contraindre les pays déve­loppés à trier davantage et mieux leurs déchets, pour satisfaire aux exigences chinoises et ainsi poursuivre leurs expor­tations. Mais si les Occidentaux trient mieux, il se pourrait aussi que les industriels encore actifs dans ces pays se décident à garder chez eux au moins une partie de leurs déchets pour les utiliser in situ, dans leurs usines.
Ce scénario aboutirait au développement à la fois du tri et de la consommation de déchets triés par l’indus­trie occidentale. Les Chinois, de leur côté, amélioreraient la valorisation de leurs déchets par la collecte ­sélective et le tri. L’environnement y gagnerait des deux côtés : moins de transport, plus de tri et de recyclage, moins de consommation de matières premières vierges.
Ce n’est cependant pas l’hypo­thèse la plus probable. Selon d’autres profes­sionnels, les restrictions chinoises aux importations pourraient en effet pousser d’autres pays en développement, notamment d’Asie (le Vietnam, ­l’Inde…), à ­essayer de prendre la place de la Chine et à accepter les déchets dont elle ne veut plus, quitte à les réexporter ensuite vers la Chine… Ce commerce changerait alors uniquement de destination première, mais pas de destination finale…

Zoom Une réglementation à trois étages
Les échanges internationaux en matière de déchets sont régis par trois grands textes : la Convention de Bâle (1989-1992), la Recommandation du Conseil de l’OCDE (2004) et, pour l’Union européenne, le règlement de 2006 sur les transferts transfrontaliers de déchets.
Ces textes disent grosso modo la même chose, avec notamment un principe de base : on ne peut échanger de déchets dangereux que si le pays d’expédition et le pays de destination donnent leur accord. De plus, les exportations de déchets dangereux des pays riches vers les pays pauvres sont interdites. Quant à l’Union européenne, elle se doit d’être autosuffisante pour le traitement de ses déchets, surtout concernant les déchets dangereux. Et le principe de proximité doit être appliqué, qui impose théoriquement que les déchets soient traités au plus près des lieux où ils sont produits.
La faille de ces textes est qu’ils permettent que les déchets valorisables, par recyclage ou par réemploi (réutilisation de biens en tant que tels et non pour leur matière), circulent librement, comme s’il s’agissait de marchandises ordinaires. Résultat : les trafiquants de déchets font passer ou tentent de faire passer pour valorisables des déchets qui ne le sont pas, ou très peu, et qui présentent parfois un caractère dangereux. Les saisies effectuées par les autorités nationales (douanes, police…) ou internationales (notamment Interpol) n’empêchent qu’une faible partie de ce commerce illégal.

Aux dernières nouvelles, les professionnels ignorent encore la rigueur avec ­laquelle les Chinois mettront en application leurs restrictions. Les semaines à venir seront donc déci­sives. Il se pourrait fort, en particulier, que les exigences de qualité servent en fait de « molette de réglage » à la Chine. Elle régulerait ainsi le volume de ses importations selon ses besoins ou d’autres considérations de politique intérieure : quand les besoins seraient importants, elle pourrait se montrer peu regardante sur la qua­lité et, lorsqu’ils seraient en recul, elle pourrait faire la fine bouche. Une pratique vieille comme le recyclage et appliquée aussi, depuis des lustres, au commerce domestique des déchets.

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