Gabriel Ullmann
Docteur en droit et expert judiciaire spécialisé en environnement.
15/10/2016
Si la réforme de l'autorité environnementale en région est intervenue, rien n'est réglé pour les projets. Après un premier article sur un jugement du Tribunal administratif d'Orléans, qui ouvre une importante brèche, Gabriel Ullmann, Docteur en droit, développe et étaye son analyse.
En application du décret réformant l'autorité environnementale , la fonction d'autorité environnementale relève désormais d'une mission régionale d'autorité environnementale (MRAe), et non plus des préfets. Mais seuls les plans et programmes sont visés. En annulant partiellement le décret relatif à l'évaluation de certains plans et documents ayant une incidence sur l'environnement , le Conseil d'Etat avait en effet considéré que l'Etat avait méconnu les dispositions de la directive de juin 2001. L'autorité environnementale en région ne jouissait pas d'une "autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres" pour donner son avis de manière objective. Le même jour, le Conseil d'Etat avait, pour la même raison, annulé certaines dispositions du décret relatif à l'évaluation environnementale des documents d'urbanisme.
Ces décisions étaient attendues, y compris de la part du Gouvernement, car elles se fondaient sur la jurisprudence Seaport de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et faisaient suite aux avis défavorables du Conseil lors de l'examen préalable de ces textes. A cette occasion la Haute juridiction avait en effet rappelé que "la même autorité administrative ne pouvait être à la fois l'auteur ou le co-auteur du plan ou programme et l'autorité compétente pour se prononcer sur l'évaluation environnementale de ce plan ou programme".
Mais cette situation anormale, et irrégulière, est encore plus criante pour maints projets, pour lesquels, contrairement à de nombreux plans, le préfet assure à la fois l'instruction du dossier, est l'autorité environnementale, l'autorité décisionnaire, l'autorité organisatrice d'enquête, quand il n'est pas également le maître d'ouvrage. Rappelons à cet égard que l'autorité qui autorise le maître d'ouvrage à réaliser un projet doit prendre en considération l'avis de l'autorité environnementale, en vertu d'une disposition législative. Dès lors, cette exigence est vidée de tout sens quand le préfet est à la fois l'autorité décisionnaire et autorité environnementale.
Pour les juridictions, il importe avant tout de "sauver le soldat Autorisation"
Très étonnamment, plusieurs cours ont jugé que le préfet de région, quand bien même il était également le préfet de département qui a autorisé le projet, pouvait régulièrement être autorité environnementale. Cela, au motif principal que la DREAL, chargée d'instruire l'avis sous l'autorité du préfet, serait dotée de moyens administratifs et humains qui lui seraient propres et que, compte tenu de la séparation fonctionnelle au sein des services déconcentrés de l'Etat, cette direction disposerait d'une autonomie effective. Cette analyse du rapporteur public dans l'affaire Notre Dame-des-Landes, reprise par la Cour de Nantes, est représentative de l'absence totale de distinction qu'ont bien voulu opérer ces juridictions entre le service qui instruit l'avis de l'autorité environnementale (la DREAL) et celui qui reste décisionnaire du contenu de cet avis, le valide et le signe : à savoir en l'espèce le préfet de région, qui est parfois également le préfet de département signataire de l'autorisation contestée.
Ainsi, le rapporteur public, après avoir retenu la similitude entre les affaires Seaport et Notre-Dame-des-Landes, souligne "la confusion parfaite entre l'autorité environnementale et l'autorité décisionnaire dans la situation en cause". Il rappelle également "l'unicité entre le préfet de région et le préfet du département. En effet, dans les deux cas, les services en charge de l'étude du dossier d'une part, et de la délivrance d'un avis environnemental d'autre part, sont deux services différents, même s'ils ne disposent pas de l'autonomie juridique. Et ils sont placés sous la même autorité hiérarchique, en l'occurrence le préfet, qu'il porte la casquette de préfet de région ou celle de préfet de département, puisqu'il s'agit de la même personne, et qu'on imagine mal que les deux hémisphères de son cerveau seraient totalement déconnectés" (sic)… pour conclure toutefois au rejet du moyen soulevé, pour la raison précitée.
La Cour de Marseille n'a pas hésité, quant à elle, à aller encore plus loin dans la démarche de dénégation de la réalité administrative. Elle a ainsi considéré que, du fait que les services du préfet de région et du préfet de département constituaient deux entités administratives distinctes, "en désignant le préfet de région comme autorité compétente pour se prononcer sur l'évaluation environnementale d'une autorisation d'exploiter une carrière décidée par le préfet de département, et quand bien même un préfet de département peut également occuper la fonction de préfet de région", la disposition réglementaire était régulière. Le dispositif a même été étendu au cas où l'autorité environnementale est également l'autorité en charge de la police des installations classées (DREAL), comme l'a jugé la Cour de Douai.
Comment la DREAL, placée sous l'autorité hiérarchique du préfet, peut-elle rendre un avis de "manière objective", comme l'exige la jurisprudence de la CJUE, quand le préfet en question est l'autorité qui a fait instruire le dossier et valider son évaluation environnementale. Pour ensuite soumettre cette évaluation à l'appréciation de l'autorité environnementale, c'est-à-dire de lui-même, avant qu'il ne statue en tant qu'autorité décisionnaire ? C'est ainsi que, outre l'autocensure que certaines DREAL pratiquent par anticipation, pour les projets sensibles elles soumettent souvent au préfet une première mouture de l'avis, afin qu'il puisse le modifier le cas échéant. Aussi, le décret précité du 28 avril 2016, portant réforme de l'autorité environnementale, instaure-t-il que les agents des DREAL, qui instruisent les dossiers au bénéfice des MRAe ainsi créées pour les plans/programmes, soient placés sous l'autorité fonctionnelle de leur président. Autrement dit, pour les projets, ils restent sous l'autorité non seulement hiérarchique, mais aussi fonctionnelle du préfet de région.
En matière de projets, l'autorité environnementale doit jouir d'une autonomie effective
Malgré tous les arrêts contraires, qui relèvent soit d'une profonde méconnaissance de la réalité administrative, soit, plus vraisemblablement, de la volonté volens nolens de privilégier la sécurité juridique des autorisations, une brèche vient de s'ouvrir avec le jugement, remarquable dans son développement et sa motivation, du Tribunal administratif d'Orléans en date du 2 novembre 2016. Le juge était saisi d'un recours collectif contre l'arrêté d'autorisation du 31 juillet 2014, par lequel le préfet de la région Centre a autorisé la société ENEL Green Power France à exploiter cinq éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de deux communes. Le préfet avait exercé également la fonction d'autorité environnementale (AE), laquelle concluait dans son avis, comme se plaît à le relever la juridiction : "Le projet de parc éolien de Préveranges et Saint-Saturnin a fait l'objet d'une étude d'impact de très bonne qualité, tant sur la forme que sur le fond, qui rend compte d'une démarche approfondie de prise en compte des enjeux environnementaux, notamment paysagers".
Le Tribunal a annulé l'arrêté en retenant l'inconventionnalité de l'article R. 122-6 du Code de l'environnement, car il n'a pas prévu de disposition de nature à garantir que la compétence consultative en matière environnementale sera, dans tous les cas, exercée par une autorité disposant d'une autonomie effective. En l'espèce, cet article R. 122-6 a effectivement conduit à ce que l'avis de l'autorité environnementale a été émis dans des conditions irrégulières. Et cela, comme le relève le tribunal, quand bien même les services administratifs concernés étaient distincts, avec du personnel en propre, et que L’État n'avait pas élaboré le projet : il est bien l'autorité qui l'a autorisé.
Certes, cette décision n'émane que d'un tribunal administratif ; elle présente toutefois une force d'analyse, qui s'inscrit dans la réalité des situations administratives, et a un caractère de portée générale qui est loin d'être limitée au seul cas d'espèce de l'affaire qui lui était soumise. Elle est d'autant plus importante que parmi la douzaine de moyens examinés, le juge a retenu ce seul moyen d'annulation.
Vers la fin de la confusion des genres
Sur le fondement de cette irrégularité, le juge applique, dans leur entièreté, les célèbres principes établis par les arrêts fondateurs Ocréal et Danthony : à savoir que les irrégularités affectant le dossier de demande d'autorisation (en l'espèce d'une installation classée) ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d'entacher d'irrégularité l'autorisation, que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative. En l'espèce, le vice affectant les conditions dans lesquelles a été recueilli l'avis de l'autorité environnementale a été de nature tant à nuire à l'information complète de la population, qu'à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.
Cette décision devrait en appeler d'autres, pour vraisemblablement finir par conduire, cahin-caha, à la même issue : la fin de la tutelle de l'autorité environnementale en région par l'autorité décisionnaire. Pour les plans et les programmes, la création tardive des MRAe répond en partie à cet enjeu (sachant que le service instructeur de l'avis reste les DREAL ou leurs homologues). Pour les projets, qui demeurent l'enjeu principal, un long chemin reste à parcourir. Le jugement du Tribunal administratif d'Orléans y concourt, nonobstant toutes les décisions contraires de Cour.
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