Énergie : pourquoi arrêter 14 réacteurs d’ici 2035 ?

Michel Negynas


 

France, de Moulins à Paris : autoroute et Paysages, une traversée du territoire : " centrale nucléaire " Belleville-sur-Loire (Cher) By: (vincent desjardins) - CC BY 2.0 


Le narratif : « on arrête le nucléaire au fur et à mesure de l’augmentation des ENR » est simple, compréhensible par tous, donc satisfaisant pour l’esprit. Peu importe qu’il soit une fable.


En écrivant mon dernier billet sur cette folie du programme énergétique français, en particulier le volet électrique, une question toute bête m’est venue à l’esprit : comment diantre a-t-on déterminé le chiffre de 14 réacteurs à arrêter d’ici 2035 ?

Alors j’ai cherché, dans les documents publiés tous azimuts par le gouvernement et ses agences, où il pouvait y avoir une justification du calcul. Eh bien il semble qu’il n’y en ait pas.

RTE, le Réseau Électrique de France, filiale d’EDF, a fait un certain nombre de scenarii type pour l’évolution du réseau. Sous un aspect « scientifique », les calculs sont sujets à caution et les conclusions confuses : RTE montre que tout est possible, sauf qu’il faut ajouter des tas d’hypothèses improbables pour que ce le soit. Et il n’est écrit nulle part que cela ne pose pas de problèmes d’arrêter 14 réacteurs nucléaires.

Alors, j’ai essayé de me mettre dans la tête d’un homme ou d’une femme politique qui a une formation standard : juriste ou licence d’histoire, sciences po, puis ENA ou Normale sup lettre. Il ou elle n’a pas le temps de lire des documents techniques, et de toute façon il ou elle a oublié même la physique élémentaire enseignée avant le baccalauréat. Le seul outil scientifique à sa disposition est la règle de trois, et encore il ou elle ne l’applique pas assez.

Par ailleurs, à propos de l’électricité, un classique indémodable dans les media et chez la plupart des politiques, est de confondre ou de mélanger des KW, unité de puissance, et des KWh, unité d’énergie.


Première méthode
Quelles sont les données de base :

Nous allons augmenter la puissance installée des énergies renouvelables de 30 GW pour l’éolien, soit une équivalence de 7 GW compte tenu du taux de capacité de l’éolien de 25 % car le vent ne souffle pas toujours. Pour le solaire, c’est environ 30 GW également, soit 3 GW en équivalence avec un taux de capacité de 11 %, car le soleil se cache parfois.

Cela fait environ 10 GW.

On va baisser le nucléaire d’un équivalent de 12 réacteurs après démarrage de l’EPR et fermeture de Fessenheim, soit environ 10 GW.

Génial, ça colle parfaitement !


Deuxième méthode

On veut faire passer la part du nucléaire de 75 % à 50 % du mix. Supposons qu’on soit à consommation constante. On baisse de 25 %.

Nous avons 58 réacteurs en service, nous allons arrêter en arrêter 14. Il en restera 75 % du chiffre initial : moins 25 %.

Bon sang ! Cela colle encore parfaitement !

Finalement, je pencherais plutôt pour la première méthode. En effet, on trouve partout, dans les textes, qu’on « arrêtera du nucléaire en fonction de la montée en puissance des ENR… » Par exemple, Euractiv, reportant un discours d’Emmanuel Macron fin novembre 2018, lors de la présentation du projet de Programmation Pluriannuelle de l’Energie : « Le président de la République a confirmé la baisse de la part du nucléaire à 50 % d’ici 2035. Pour y parvenir, 14 réacteurs seront fermés, a-t-il annoncé. Les deux réacteurs de Fessenheim seront fermés d’ici 2020, quatre à six autres réacteurs le seront entre 2025 et 2030. Le rythme de fermeture sera déterminé en fonction de la sécurité d’approvisionnement, des interconnexions avec les voisins européens et de la montée en puissance des énergies renouvelables. »

Lorsqu’on lit les études sur la sécurité d’approvisionnement de RTE, seules études « officielles », on n’est pas vraiment rassurés.

Et la dernière partie de la phrase confirmerait mes craintes : l’arrêt du nucléaire serait juste un problème d’ignorance totale du sujet par les décideurs, considérant qu’un KW délivré de façon aléatoire et intermittente est équivalent à un KW pilotable à la demande. Ou qu’ils confondent KW et KWh.

Un doute m’assaille : dirigerait-on la France vers une catastrophe, juste parce que nos décideurs sont des littéraires post-modernes, considérant dépassé de tenir compte des contingences techniques ? Nous sommes effectivement dans le monde des « éléments de langage » et des « narratifs ». Le narratif : « on arrête le nucléaire au fur et à mesure de l’augmentation des ENR » est simple, compréhensible par tous, donc satisfaisant pour l’esprit. Peu importe qu’il soit une fable.

Réveillez-moi de ce cauchemar.


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