1/10/2019
Commentaire : bien sourcé, bien écrit, comme toujours. En clair, passionnant et instructif. Pas mieux.
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Le Deep carbon observatory est une collaboration internationale de grande envergure sur le carbone terrestre
Quel rôle le carbone joue -il dans le destin de la Terre ? L’injection massive de carbone dans l’atmosphère, sous forme de CO2, par l’usage massif des énergies fossiles depuis 150 ans est-elle comparable aux crises provoquées dans les 500 derniers millions d’années par des phénomènes naturels ?
Depuis dix ans, une collaboration internationale – le Deep Carbon Observatory (1) – forte de 504 chercheurs spécialistes du carbone, en particulier de ses sources profondes à l’intérieur de la planète, de 30 pays, à l’aide de 102 projets de recherche qui ont donné lieu à 372 publications, ont répondu à ces questions.
Rumeur
A l’occasion des dix ans de Deep Carbon Observatory, ils dressent un bilan et une synthèse de leurs recherches, avec un feu d’artifice de publications dans la revue scientifique Elements. Elles permettent, entre autre, de tordre le cou à une rumeur qui ferait des spécialistes de la Terre interne, des volcans, de la géochimie, des opposants aux travaux des climatologues. Car l’une de leurs conclusions principales est que les émissions de CO2 d’origine anthropique, combustion des énergies fossiles, fabrication du ciment, déforestation, ont été de «depuis 100 ans de 40 à 100 fois supérieures aux émissions des sources géologiques comme les volcans».
Le cycle naturel du carbone actuel entre la Terre interne et l’atmosphère vu par les géologues du Deep carbon observatory
Pourtant, les stocks de carbone terrestres sont gigantesques, leur estimation est de 1,85 milliards de gigatonnes. Et seul une infime partie, deux dixième de 1%, ont-ils calculé, réside dans l’atmosphère ou la partie superficielle des sols et des océans. Mais les flux, à l’échelle de millions d’années et à de rares exceptions, sont équilibrés entre l’atmosphère et la Terre interne.
L’industrie humaine surclasse la géologie
Les géologues ont multiplié les missions de terrain et les calculs pour estimer les émissions naturelles de CO2 par les sources géologiques actives aujourd’hui. Dont les 400 volcans actuellement actifs sur les 1500 qui l’ont été durant les dernières 10 000 années. Ils y ont ajouté 670 volcans qui, bien qu’inactifs, émettent du CO2 en petites quantités. Mais aussi de vastes régions où des émissions diffuses de CO2 surviennent, Yellowstone aux USA, le Rift en Afrique de l’Est, la région volcanique de Technong en Chine par exemple. Ou les failles sous-marines à partir desquelles se forment les océans.
Le volcanologiste Brendan McCormick installe un dispositif de surveillance des émissions de gaz sur le volcan Rabau en Papouasie Nouvelle Guinée. Crédit Université de Cambridge
Le résultat de ces recherches? Des émissions naturelles annuelles estimées entre 0,28 et 0,36 milliard de tonnes par an. Or, en 2018, les émissions anthropiques, ont été de 33,1 milliards de tonnes pour le seul CO2 issu de la combustion du pétrole, du charbon et du gaz. L’industrie humaine surclasse la géologie et la réduit à une action marginale sur le système climatique terrestre pour ce facteur.
Toutefois, notent les géologues, il est arrivé à la Terre de produire toute seule, sans l’intervention des humains qui n’existaient pas, des événements comparables en termes d’émissions de CO2. C’est arrivé cinq fois en 500 millions d’années. Ces injections massives de carbone ont provoqué des cataclysmes climatiques, l’acidification des océans et… des extinctions massives d’espèces vivantes.
Chixculub
L’une des preuves de ces injections massives provient de l’analyse isotopique du carbone. Les géologues, aidés de la physique nucléaire, ont mis en évidence de brutales « excursions » des rapports isotopiques entre le 12C et le 13C dans les couches stratigraphiques, prouvant que, lors de ces événements, une masse énorme de carbone fossile, stocké dans le sous-sol, est alors injecté dans l’atmosphère (1). Exactement la même observation qu’il est possible de faire aujourd’hui… mais directement avec la composition isotopique du carbone atmosphérique.
Les chercheurs prennent l’exemple de la collision d’un astéroïde géant, il y a 66 millions d’années, qui frappa la Terre dans la péninsule du Yucatán. Baptisé Chicxculub, ce bolide provoqua l’injection dans l’atmosphère d’entre 425 et 1400 milliards de tonnes de CO2. Il s’ensuivit un cataclysme climatique provoquant la disparition d’environ 75% des plantes et des animaux, dont les fameux dinosaures. Or, ces quantités sont similaires à celles des émissions anthropiques, puisqu’en moins de 15 ans au niveau d’émissions de 2018 le bas de l’estimation des géologues est dépassé. Et rien ne permet de penser que les émissions mondiales de CO2 vont chuter dans un avenir aussi proche.
Un graphique montrant les émissions naturelles annuelles actuelles de carbone, à gauche, comparées aux émissions anthropiques actuelles et celles rapportées à l’année sur la durée de l’événement cataclysmique provoquée par la chute de Chixculub il y a 66 millions d’années, moyenne LIP désigne les 4 événements comparables sur 500 millions d’années
Au delà des connaissances sur tel ou tel volcan, les recherches du Deep Carbon Observatory permettent de mieux saisir l’importance du carbone dans le destin de la Terre… et l’énormité de la transformation que nous avons initiée en utilisant de manière aussi massive le carbone fossile pour nos besoins en énergie.
(1) Martin Schobben et al. Elements, vol 15, octobre 2019.
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