Fessenheim : symbole de notre schizophrénie face à l’urgence climatique

Maxence Cordiez
ingénieur dans le secteur de l'énergie
 
LE CERCLE - Avec la fermeture de la centrale de Fessenheim, la France va perdre l’an prochain 1.800 mégawatts de capacités électrogènes bas carbone. Cette décision politique aura des conséquences pour les émissions de gaz à effet de serre, la sécurité énergétique française et l’emploi dans le Haut-Rhin, regrette Maxence Cordiez, ingénieur dans le secteur de l'énergie.




C’est confirmé, la centrale nucléaire de Fessenheim, Haut-Rhin, fermera bien en 2020. EDF a adressé à l’Autorité de sûreté nucléaire et au gouvernement la demande d’abrogation de l’autorisation d’exploiter la centrale, ainsi que sa déclaration de mise à l’arrêt définitif. Il s’agit du dernier épisode d’un feuilleton entamé lors de la campagne présidentielle de 2007, lorsque le candidat François Hollande s’était engagé à plafonner les capacités de production électrique nucléaires et à fermer Fessenheim – un engagement repris par son successeur, Emmanuel Macron.

Alors que le gouvernement martèle son engagement pour le climat, on est en droit de s’interroger quant à l’adéquation entre les discours et les actes, au travers de cette décision.


Mauvaise opération pour le climat
Les deux réacteurs condamnés de Fessenheim ont une capacité de production électrique cumulée de 1.800 mégawatts (MW). Leur production sur une année est légèrement supérieure à celle de 2.800 éoliennes terrestres de 2 mégawatts, dont la production dépend du vent, soit davantage que le tiers du parc éolien français. En outre, cette production est pilotable : elle est disponible suivant les besoins et non pas quand il y a du vent ou que le soleil brille.

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La production électrique nucléaire présente l’avantage d’être très faiblement carbonée : sur son cycle de vie – chaîne d’approvisionnement, infrastructures et exploitation des centrales – elle émet 6 grammes d’équivalent CO2 par kilowatt/heure (kWh) selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). La France et les pays limitrophes comptent encore de nombreuses centrales à gaz (500 grammes d'équivalent CO2/kWh) et à charbon (1.000 gCO2éq/kWh).

La fermeture de Fessenheim entraînera donc un surcroît d’émission de gaz à effet de serre compris entre 6 et 12 millions de tonnes équivalent CO2 par an, par rapport à la situation dans laquelle la centrale aurait été prolongée, du fait du recours aux centrales à gaz et charbon que sa prolongation aurait permis d’éviter. Cela correspond à une fourchette comprise entre 30 et 60 % des émissions de CO2 de la totalité de la production électrique nationale, 20,4 millions de tonnes de CO2 en 2018 selon le Bilan électrique 2018 du Réseau de transport d'électricité (RTE).


Un projet alternatif peu convaincant
Dans le cadre du plan de reconversion du territoire de Fessenheim, le gouvernement a lancé début 2019 un appel d’offres pour l’installation dans le Haut-Rhin de 300 MW de panneaux photovoltaïques. Un observateur peu averti se dira peut-être que ça représente 17 % de la puissance de Fessenheim, ce qui n’est pas si mal, même si c’est insuffisant.

Cependant, les centrales nucléaires françaises ont un facteur de charge de 75 %. C’est-à-dire que l’énergie électrique fournie par les réacteurs sur une année équivaut à ce qu’ils auraient produit en fonctionnant en permanence à 75 % de puissance, ou 75% du temps à pleine puissance. Du fait de l’ensoleillement, le facteur de charge photovoltaïque dans la région Grand Est est de 13 % seulement, si l'on en croit le Panorama de l’électricité renouvelable en 2018 du RTE.

Sur une année, les 300 MW de panneaux photovoltaïques produiront ainsi 35 fois moins d’électricité que la centrale de Fessenheim. Cela, sans compter le fait qu’une centrale nucléaire est pilotable et produit selon les besoins, même de nuit.


Menace sur l'emploi
On peut avoir tendance à l’oublier mais une centrale nucléaire est aussi une installation industrielle, comme un haut-fourneau, une aciérie ou une usine automobile. Elle emploie donc des gens et participe à l’activité économique de la région où elle est implantée. Dans le cas de Fessenheim, une analyse de l’Insee estime que «pour la région, l'existence de 1.900 emplois et les revenus de 5.000 personnes dépendent de la centrale». Même si le gouvernement soutient des projets alternatifs pour en limiter le contrecoup, l’arrêt de la centrale ne sera pas transparent pour les communautés locales.

Enfin, même s’il s’agit d’un problème bien plus vaste dont Fessenheim n’est qu’une petite composante, la plupart des pays européens ferment des capacités électrogènes pilotables – centrales nucléaires et à combustibles fossiles – sans se concerter et en comptant sur leur capacité à importer l’électricité qui leur est nécessaire en période de forte consommation. Les gestionnaires des réseaux électriques européens ne cessent d’alerter – sans succès – leurs gouvernements quant au risque croissant de coupure d’électricité majeure en Europe.

En reprenant à son compte l’engagement du président Hollande de fermer la centrale de Fessenheim, le gouvernement actuel fait preuve de schizophrénie entre un discours très clair sur l’urgence climatique, et des actions qui vont à l’encontre de la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre en France. Étant donné les enjeux vitaux portés par le changement climatique, ce manque de cohérence est grave.


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