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On mélange allègrement météo, climat, pollution, catastrophes naturelles, inégalités dans une bouillie intellectuelle qui a perdu tout sens commun.
Une addiction française aux mots
Notre époque aime propulser des mots au rang de concepts politico‑sociologiques. Cette détestable habitude a culminé chez les philosophes et sociologues français des années 1950. Ils inventaient des mots et passaient le reste de leur vie à essayer d’expliquer ce qu’ils avaient voulu dire. C’était pratique : cela leur fournissait un travail à vie. Le summum du génie était d’écrire des textes incompréhensibles en détournant mots et concepts de leur sens initial.
Alain Sokal et Jean Bricmont, deux physiciens, ont combattu par l’humour, dans un pastiche absurde cette propension au verbiage flou, et en particulier le détournement de concepts issus des sciences dures. Ils ont réussi à faire publier par une revue on ne peut plus sérieuse une étude complètement vide de sens : Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique. La communauté des sociologues a d’abord salué unanimement la pertinence du texte avant d’apprendre, penaude, que c’était une blague. Inventer ou pervertir des mots permet de tout englober, tout relativiser. Ces courants de pensée ont d’ailleurs été qualifiés de « post-modernes », les « modernes », c’est-à-dire ceux qui sont attachés aux acquis du siècle des Lumières, devenant des ringards… Comprenne qui pourra.
Une bonne partie des chercheurs et universitaires français en sciences humaines perpétue cette tradition, le plus souvent à nos frais, contribuables que nous sommes. Toutes les semaines, les débats télévisés font apparaître de nouvelles têtes politico ou socio quelque chose, tous directeurs d’instituts unipersonnels : le gisement paraît infini. Le vétéran Bruno Latour, un des derniers membres de cette lignée de savants inventeurs de mots, est l’archétype de ces gourous qui font la pluie et le beau temps à Sciences Po, et plus généralement auprès de nos jeunes élites politiques, droite et gauche confondues.
Soyez inclusifs
C’est ainsi que le mot inclusif est devenu un mot-valise. Nous l’avons vu apparaître au grand public il y a quelques années dans la sphère écologique.
Auparavant, il avait une définition générale.
Inclusif : qui contient en soi quelque chose d’autre. (Dictionnaire Larousse).
Il avait aussi un usage très technique, grammaticalement.
Personne inclusive : première personne du pluriel affectée dans certaines langues d’une forme propre, telle que dans le collectif du type « nous » on comprend, avec la ou les personnes qui parlent, celle ou celles à qui on s’adresse. (Mar. Lex. 1951)
L’usage en écologie en est venu d’une constatation inavouée des militants de la cause : la plupart des projets et solutions écologistes renforce les inégalités et rend les pauvres plus vulnérables : arrêter les énergies fossiles, électricité et transport plus chers, bio, baisses des rendements, moins de nourriture, figeage des territoires, augmentation du prix du foncier…. La liste est longue, et la « sobriété heureuse » ne serait pas vraiment heureuse pour tout le monde.
Les écologistes, surtout politiques, ont donc compris le risque pour leurs dogmes. Il fallait ajouter un mot à l’écologie pour remédier à ça. Les Anglo-saxons en avaient un : inclusive, traduction française : y compris, inclus, mais par extension ouvert, égalitaire…Va donc pour « écologie inclusive ». Cela faisait in, et même un peu glamour, tout le monde voulait être inclusif. Les villes devaient être inclusives… l’habitat inclusif, tout mouvement social se doit maintenant d’être inclusif, féminisme inclusif, et d’ailleurs souvent en même temps solidaire. Le numérique d’ailleurs, doit aussi être inclusif…
Le dernier épisode, c’est l’écriture : une écriture à égalité homme-femme, donc inclusive. Dans ce dernier cas, l’Académie s’étrangla. Les Sages, malgré leur haute Vertitude, se considèrent doublement violentés : non seulement la grammaire est attaquée, mais comble de l’ironie, par un mot qui n’existe pas dans le sens où il est utilisé !
L’égalité homme-femme est d’ailleurs élargie, elle aussi, à un autre mot-valise, plus ou moins détourné de son sens initial car il recouvre maintenant un concept dépassant de loin son utilisation usuelle antérieure : le genre. C’est ainsi que le collectif des « Bombes atomiques », éco-féministes antinucléaires, a interdit la présence d’hommes « cisgenres » à leur manifestation de Bure. Un homme cisgenre est bêtement un gars qui est « en accord avec le genre qui lui a été assigné à la naissance ». Un beauf, quoi.
De plus en plus fort
Bien entendu, le climat est entré dans la danse du vocabulaire qui ne veut rien dire. D’abord qu’est ce que LE climat, au sens générique ? Il existe bien une bonne dizaine de climats différents sur cette planète, et ils n’évoluent pas à l’échelle de décennies comme on veut nous le faire croire, mais plutôt à l’échelle multiséculaire, voire millénaire. Et qu’est ce qu’un climat « normal » ? D’où la difficulté de nommer la menace : réchauffement climatique ? Mais le climat se réchauffait déjà au XIXe siècle… Changement climatique ? Le climat à toujours changé… Dérèglement climatique ? Ah bon, le climat était réglé ? Mais dérèglement ça fait vieux jeu : on est maintenant dans la disruption climatique. On serait dans une « rupture » de l’ordre ? Nous serions « disruptifs », autre mot à la mode tiré de l’anglo-saxon et lui aussi très en vogue ? Donc on a créé un climat disruptif, c’est clair.
Mais tout cela était encore trop rationnel, pas assez post moderne. Maintenant, on sauve le climat. Car le climat est en danger. On parle même de justice climatique. Tout se rejoint : la guerre climatique est en fait un combat pour la lutte contre les inégalités : elle est donc inclusive ! Et l’urgence climatique est là, ce sera même inscrit dans la future loi Énergie et Climat.
Et c’est Bruno Latour qui se devait d’ajouter une touche ultime : l’invention non pas d’un mot-valise, mais d’un mot malle, que dis je, container ! Susceptible de contenir tout l’univers, bref, une boîte de Pandore à l’envers. C’est le mot Climat lui-même ! Dans un de ses billets, sur son site, comme exégèse à un de ses livres, il écrit d’emblée :
« Climat » est pris ici au sens très général des rapports des humains à leurs conditions matérielles d’existence. Où atterrir ? Comment s’orienter en politique ?
Voilà. Tout est dans tout, comme dirait le pape François dans son encyclique. Les guerres, Trump, les migrations, les inégalités, les colonisations passées, la perte de sens, le populisme, les tremblements de terre : le Climat je vous dis. LE CLIMAT ! Le poumon ?
L’affaire climatique s’affranchit ainsi pour toujours de ses origines plus ou moins scientifiques. En fait, le Climat remplace l’Écologie. On lui adjoint toutefois la biodiversité : autre concept récent, à connotation nettement politique, pour désigner ce qu’on nommait avant zoologie, botanique, bref, écologie. Suffisamment flou pour servir les causes les plus diverses.
On mélange allègrement météo, climat, pollution, catastrophes naturelles, inégalités dans une bouillie intellectuelle qui a perdu tout sens commun. Le climat devient le terme générique pour nommer les fléaux : c’est le KLIMA, que le stupre du développement active. Dans une optique plus shintoiste et universelle, seule Gaïa la déesse mère peut nous sauver de notre trahison envers Klima, et de sa vengeance, si nous la respectons, et même la vénérons.
Le pouvoir des mots
Le combat pour l’égalité homme-femme n’a pas besoin du mot inclusif. Et une écologie inclusive, n’est-ce pas la notion du développement durable, équilibre entre développement économique, social et protection de l’environnement ? Mais le présenter comme cela, c’est admettre le compromis, au contraire du flou de l’inclusivité, qui, elle, ne s’embarrasse pas de détails pratiques. Quant au Climat élevé au rang générique, il est mis à toutes les sauces. C’est bien commode, car ainsi, la contradiction est vaine, on ne peut combattre le Grand Tout.
Les mots ont un sens et un pouvoir, ils peuvent expliquer, réjouir, manipuler, parfois même tuer. L’absence de vocabulaire pousse à s’exprimer par la violence. C’est pour cela qu’il faut que tout citoyen maîtrise la langue, la pratique et lise des textes littéraires et scientifiques. Mais a contrario, un trop-plein de mots creux, vagues ou dévoyés de leur sens premier permet toutes les manipulations. Les euphémismes sont utilisés pour éviter de nommer les choses comme la sobriété, même heureuse, ou, en d’autres temps, le démontage des Mac Do.
En même temps, utiliser des termes outranciers devient banal : négationnistes du climat, enfance volée, extinction de masse, anthropocène, chimistes assassins. La floraison des expressions absurdes, voire grotesques, comme sauvons le climat, ou justice climatique, ou climato-sceptique, ou encore l’inclusivité ou le genre mises à toutes les sauces, parfois même institutionnalisées, qui naguère auraient été tournées en ridicule, en disent long sur la perte de sens de nos sociétés.
Les mots sont politiques par nature.
Seul.e.s la.e biodiversité.e. et le.a. genre universel.le, ensemble, pourront créer les conditions inclusives nécessaires pour sauver le.a. climat.e de s.a.on disruption.e.
Secrétaire des Nations Unies, Palavas-les-Flots, discours d’introduction à la COP 56.
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