Nucléaire : une saisine parlementaire sur Astrid ?

Sylvestre Huet



André Chassaigne, député du Puy-de-Dôme

Le président de l’Assemblée nationale vient de recevoir une lettre du député André Chassaigne. Président du groupe Gauche démocrate et républicaine, l’élu communiste du Puy-de-Dôme, y demande la saisine de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et t, technologiques, OPECST. Sujet : la décision, présentée comme provenant du CEA, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, mais en réalité gouvernementale, de stopper net le programme de recherche sur la technologie dite des « neutrons rapides » et en particulier le projet de réacteur expérimental Astrid


 

Le début de la lettre d’André Chassaigne à Richard Ferrand

Ce serait bien dans la mission de l’ OPECST que d’engager un travail parlementaire pour faire la clarté sur ce sujet tant cette décision fut prise sans le moindre débat. Sa justification par le ministère de la transition écologique est en effet pour le moins rudimentaire. Alors même que la raison majeure du développement d’une telle technologie est réaffirmée – « fermer » le cycle du combustible nucléaire, c’est à dire diminuer drastiquement les déchets produits et réutiliser le plutonium plutôt que de l’enfouir en sous-sol, et s’assurer une ressource indépendante et pluricentennaire constituée de nos stock d’uranium naturel appauvri en isotope 235 – le seul argument avancé est, en résumé, qu’il serait trop tôt pour construire un démonstrateur de taille industrielle. Car, voyez-vous, le prix actuel de l’uranium est très bas. Ce qui est vrai… mais comme l’on parle des années post 2050 pour un éventuel déploiement de la technologie des « rapides », l’argument ne pèse pas lourd.

Isotopes
De quoi parle t-on ? Quelques mots de physique sont nécessaires pour le comprendre. Dans les réacteurs actuels, seuls les isotopes 235 de l’uranium naturel sont utilisés. Ces réacteurs sont dits à « neutrons lents », la course des neutrons émis lors des réactions de fission nucléaire y étant ralentie, par l’eau, pour favoriser leur capture et la réaction en chaîne. Mais l’uranium naturel est chiche en isotope 235, ils n’en constituent que 0,7%. Un pourcentage d’ailleurs insuffisant pour la plupart des réacteurs actuels, d’où leurs combustibles « enrichis », avec une part d’isotope 235 portée près de 3% à 4%. Et la constitution parallèle de stocks d’uranium « appauvri » constitués d’isotope 238 à près de 99,8%.
Or, un autre type de réacteur peut utiliser ce combustible, il suffit de n’y pas ralentir les neutrons qui, rapides, peuvent alors briser les noyaux d’uranium 238, mais aussi du plutonium… voire ceux de déchets nucléaires à très longue durée de vie. D’où le double intérêt de cette technologie : d’une part multiplier par près de 50 la quantité d’électricité tirée de l’uranium naturel, diminuant d’autant les activités minières; et d’autre part « brûler » plutonium et autres noyaux à très longue durée de vie radioactive, réduisant drastiquement la toxicité des déchets ultimes de la filière, lire ici une présentation pédagogique du sujet.

plein de mais…
Il y a bien sûr plein de mais… Pas sur le principe de la technologie. Cela fait un demi-siècle que des réacteurs à neutrons rapides ont fonctionné, en France et en Russie, un réacteur de 600 MW depuis 1980 à Beloyarsk. Mais il faut un stock de plutonium pour démarrer ces réacteurs si l’on veut les alimenter par un combustible mélangeant uranium naturel ou appauvri et plutonium. Mais c’est une nouvelle technologie à mettre au point. Mais le prix de l’uranium est si bas que l’économiser est sans intérêt financier pour les exploitants de centrales électro-nucléaire… Bref, cette technologie intéresse les gouvernements qui voient loin : anticipant la pénurie de combustibles fossiles, le besoin d’une électricité décarbonée, le stockage géologique des déchets nucléaires incompressibles, l’éventuelle raréfaction de la ressource uranium si le nucléaire se multiplie, voire, pour un pays comme la France, l’idée séduisante de ne plus avoir à importer d’uranium.
L’intérêt à long terme de cette stratégie n’est d’ailleurs pas nié, au point que le texte officiel qui annonce l’abandon d’
Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration (Astrid ) qualifie de «solution transitoire» le recours à un recyclage multiple des combustibles mixte, les MOX qui mélangent uranium et plutonium. Recyclages multiples, récupérer le plutonium des combustibles usés pour lui faire faire un deuxième tour, voire plus, en réacteur, sur lequel le CEA et les industriels concernés, EDF, Framatome, Orano, sont invités à se pencher par le gouvernement.

Disperser les équipes
Sur la base d’un tel discours, on comprend mal, du coup, l’ordre donné par le gouvernement à François Jacq, l’Administrateur Général du CEA, de stopper toute recherche sur le sujet et de disperser les équipes qui étaient en train de mettre la dernière main à une étude détaillée du projet de réacteur. Un ordre mis en oeuvre avec une vigueur qui a provoqué quelques remous dans les équipes. Il a également soulevé une grosse colère, mais très argumentée, de l’ex-Haut Commissaire à l’énergie atomique, Yves Bréchet, lire le texte ici.
Qu’il faille étudier soigneusement le calendrier de la construction d’un prototype expérimental est évident. Aller trop vite, relativement au déploiement industriel, serait figer une technologie en se privant des innovations à venir. Mais casser brutalement un savoir-faire reconnu au plan international n’est pas plus futé. Constituer une expertise sur un sujet aussi complexe est long, mais la détruire se fait rapidement, il suffit d’abandonner toute activité durant quelques années et de disperser les collectifs qui s’y consacraient.
Au plan international, la filière des rapides est au cœur des visions à long terme sur l’énergie nucléaire. Si le Japon n’est probablement plus un partenaire sérieux dans ce domaine, Chinois et Russes poussent les feux de cette technologie, et pas seulement dans des petits réacteurs de recherche. Les Russes ont un réacteur de 800 MW qui fonctionne depuis 2015 à Beloyarsk. Les Chinois ont entamé la construction d’un « rapide » de 600 MW en 2017. Les mêmes travaillent sur un « rapide » de recherche très innovant avec un mélange plomb/bismuth comme matériau de refroidissement. Il y a donc la place pour une coopération internationale avec le futur n°1 du nucléaire mondial, la Chine. Et avec une Russie qui développe son parc nucléaire et surtout exporte à tour de bras dans le monde. Tandis que les Américains se contentent de projets de réacteurs de recherche.

Emmanuel Macron et les experts

Au fond, la décision assez brutale du gouvernement relève d’un problème plus général des relations du Président Emmanuel Macron avec l’expertise scientifique et technologique. Un peu comme lorsque le Président décide, tout seul, sans consulter aucun expert, que le chantier de Notre-Dame de Paris prendra… cinq ans. Bazarder ainsi une expertise qui pourrait se révéler cruciale dans un demi-siècle parce que l’on en fait une variable d’ajustement budgétaire sur quelques années est fort imprudent… mais sans aucune sanction politique à craindre. Or, c’est justement là que l’on fait la différence entre les « hommes, et femmes, d’ Etat » et les politiciens sans vision de long terme. Il sera intéressant de voir si Députés et Sénateurs décident au moins de confier à l’ OPECST le soin d’instruire le dossier pour la représentation nationale sur la demande du Député André Chassaigne.


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