Le gaz tente de s’immiscer dans la finance durable

Frédéric Simon

 

Les représentants des 28 États membres de l’UE ont réintégré le nucléaire aux secteurs éligibles aux futurs investissements verts. Ce qui laisse le secteur du gaz plein d’espoir.

L’Autriche, l’Allemagne et le Luxembourg, qui s’opposaient à l’inscription du nucléaire dans le projet de taxonomie financière durable de l’UE, ont perdu la partie.
Désormais, les grands de l’industrie gazière font la queue pour demander une place au soleil.

La taxonomie financière durable « souffre de problèmes en amont qui doivent être réglés au plus vite », a annoncé Didier Holleaux, vice-président exécutif chargé du gaz à ENGIE, une société énergétique française.



Bioénergie et sylviculture veulent des financements verts de l'UE
Les bioénergies, y compris le bois, les biocarburants et l’industrie forestière, devraient être incluses dans le projet de taxonomie financière durable de l’UE, conformément à la directive sur les énergies renouvelables récemment mise à jour, affirme une coalition industrielle.


« L’exemple le plus marquant est celui des centrales à charbon », a déclaré M. Holleaux, soulignant que convertir ces centrales au gaz pouvait réduire drastiquement leur empreinte carbone à court terme, même que d’autres technologies seront nécessaires à l’avenir pour atteindre le « zéro émission nette ».
« Je ne dis pas que le gaz naturel est vert », souligne Didier Holleaux. « Je pense toutefois que remplacer une installation extrêmement polluante par une autre alimentée au gaz naturel est une solution verte. Comme remplacer un camion au diesel par un camion au gaz naturel liquéfié (GNL) est vert », a-t-il ajouté.

Les propos du représentant d’ ENGIE soulèvent une question phare de la transition énergétique : une coupure nette des énergies fossiles est-elle envisageable ou « les combustibles transitoires », comme le gaz, devraient-ils être mis en avant dans la transition vers un système dépendant uniquement des énergies renouvelables ?
« Je reconnais que la situation est complexe. Mais, si la taxonomie européenne ne prend pas cette question en compte, elle risque de devenir contre-productive et ne poussera pas les industries à sortir du charbon », a-t-il averti. En effet, l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables est totalement « hors de prix » et n’est pas adaptée pour les industries du ciment ou de l’acier, qui nécessitent des températures extrêmement élevées pour leur processus de fabrication, ajoute-t-il.
« Nous arrivons à des solutions, où en réalité, nous serions finalement forcés à générer de la chaleur avec de l’électricité produite à partir d’énergie renouvelable », soutient M. Holleaux, arguant que « ce n’est pas la meilleure façon d’utiliser de l’électricité ».

Ce qui est vert et ce qui ne l’est pas
La taxonomie européenne porte sur une liste provisoire censée canaliser les investissements privés dans des technologies respectueuses de l’environnement.
Selon le groupe d’experts à haut niveau sur la finance durable (HLEG), mis en place par l’exécutif européen afin d’établir le premier projet de taxonomie, des investissements annuels allant de 175 millions d’euros à 290 millions d’euros seraient nécessaires pour atteindre « zéro émission nette » d’ici à 2050.
La taxonomie fournira « une définition de ce qui est vert et ce qui ne l’est pas » aux investisseurs, aux fonds de pension et aux fonds d’investissement privés afin de consacrer davantage de fonds aux petites entreprises et éviter le « greenwashing », comme l’a indiqué la Commission européenne l’année dernière en proposant le nouveau projet de taxonomie financière.



Bruxelles propose des mesures inédites pour la finance durable
La Commission européenne suggère une série de mesures en faveur de l’investissement privé dans les technologies à faible carbone, comme les renouvelables.


Afin d’entrer dans la liste, une activité économique doit remplir « au moins un » des six objectifs environnementaux prédéfinis : l’atténuation du changement climatique, l’adaptation au changement climatique, l’utilisation durable et la protection des ressources hydrologiques et marines, la transition vers une économie circulaire, y compris la prévention des déchets et recyclage, la prévention et contrôle de la pollution, la protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes. Par ailleurs, toute technologie en est automatiquement rayée si elle nuit gravement à l’un des objectifs.
Les ONG demandent de leur côté de ne mettre en avant que les « activités économiques entièrement durables » dans la taxonomie européenne, quitte à exclure tout le reste, en commençant par les énergies fossiles et nucléaires.
Dans une déclaration conjointe, une coalition d’ONG écologiques a exigé que le gaz naturel soit exclu de la taxonomie, avançant que le seuil actuel d’émissions identifié par le HLEG devait être revu à la baisse afin d’exclure le gaz naturel avec captage et stockage du CO2. « D’une façon générale, pour le secteur énergétique, nous recommandons de réduire la norme de performance en matière d’émissions de 100gCO2/KWh à p. ex. 50gCO2/KWh », a-t-elle ajouté. Ce seuil exclurait de facto le gaz naturel avec captage et le stockage de CO2.
En outre, la Banque européenne d’investissement (BEI) a récemment annoncé que les combustibles fossiles ne figureraient pas dans sa nouvelle politique de prêt dans le secteur de l’énergie, sauf exception. Aux yeux des ONG « la taxonomie devrait continuer sur cette trajectoire et exclure les combustibles fossiles complètement ».

Marge de manœuvre pour le biogaz ?
Les militants estiment aussi que le biogaz devrait être exclu lorsqu’il est utilisé dans les transports, car les véhicules alimentés au biométhane peuvent aussi l’être au gaz fossile, et il n’existe aucun moyen de contrôler quel type de carburant se trouve dans le réservoir. Entre-temps, d’autres technologies comme l’énergie hydraulique et la bioénergie pour l’électricité et la chaleur devraient seulement être approuvées en fonction de critères plus stricts et plus simples.
Les militants écologistes ne ferment toutefois pas entièrement la porte au biogaz et aux autres types de gaz à faibles émissions en carbone — pour autant qu’ils soient rentables.
« Il existe pléthore de gaz verts ou décarbonés », assure Sébastien Godinot, économiste auprès du WWF. « Selon nous, le seul gaz qui tient la route est l’hydrogène vert, car il provient entièrement d’électricité issue de sources renouvelables », a-t-il ajouté.
Il a toutefois émis des doutes sur le fait que la production d’hydrogène soit un jour suffisante pour occuper une part considérable du bouquet énergétique européen. « La production reste très couteuse et le secteur ne devrait pas connaitre de boom avant 2030 », a-t-il indiqué.



18 pays européens soutiennent la neutralité carbone pour 2050
L’Allemagne, la Grèce, l’Italie et la Slovaquie ont ajouté leur nom à la liste des pays européens favorables à la neutralité carbone d’ici à 2050, augmentant les chances de conclure un accord lors du sommet européen.


S’aligner sur la législation européenne
Plus fondamentalement, M. Holleaux a déclaré que la taxonomie financière durable devrait s’aligner sur la législation européenne et en particulier sur la directive « Énergie renouvelable » qui garantit l’éligibilité de la bioénergie et du biogaz en tant que sources renouvelables, au même titre que l’énergie éolienne et solaire.
 
« Que le HLEG puisse délibérément établir des critères qui sont différents de ceux de la directive, c’est insensé », déplore-t-il. La composition du groupe est, elle-même, douteuse et pourrait expliquer ces non-sens.
« Le groupe est largement composé d’experts financiers. Certains étaient électriciens, mais c’est tout », a-t-il affirmé, ajoutant que le groupe « ne disposait ni de mandat ni de la légitimité » pour s’écarter de la directive européenne.
L’industrie du gaz qui se range derrière les propos de M. Holleaux. Gas Naturally, un consortium de l’industrie gazière, a déclaré que le projet de taxonomie « devrait assurer une cohérence » avec les mesures déjà existantes.

Selon le consortium, la cogénération — le processus lors duquel l’électricité et la chaleur sont produites simultanément — « devrait être envisagée comme un critère de durabilité environnementale en rapport avec la directive sur l’efficacité énergétique ».

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