Pierre Thouverez
10/01/2017
Cité plusieurs fois dans un article du 17 octobre 2016 (100% d’énergie renouvelable en France : un projet «délirant» ?), Philippe Hansen a souhaité bénéficier d’un droit de réponse.
Le voici :
Peu à peu, depuis quarante ans, la communication sur l’approvisionnement énergétique de la France a été confisquée aux ingénieurs pour se trouver partiellement, si ce n’est pas totalement aux mains d’une mouvance politique.
Pour défendre une politique énergétique qui puisse éviter à notre pays une future crise pétrolière et qui lui permette de réduire ses émissions de CO2 en conservant la croissance économique nécessaire à la cohésion sociale, je me suis attelé sur mon site énergie-crise.fr (initialement énergie-gouv.fr) à une comparaison qui se veut objective des sources d’énergie. Une lecture critique m’a ainsi permis de démonter les principales impostures de la mouvance antinucléaire. N’étant pas professionnel du secteur, une telle publication ne peut reposer que sur des erreurs logiques, physiques ou économiques fondamentales et non sur des points spécialisés. Seules des critiques sur la forme ont pu être opposées aux arguments avancés. Mes principaux adversaires n’ont pas répondu à mes propositions de débats en école d’ingénieurs.
Mark Jacobson propose un scénario de déploiement mondial de l’éolien et du solaire, et comme il le répète lui-même, sans système de stockage de l’électricité (autre que le solaire thermodynamique et l’hydraulique de barrage). Ce scénario repose sur une surproduction électrique et une gestion de la demande, dont il prétend ainsi pouvoir en effacer les 2/3 ! Est-ce vraiment possible pour une durée assez longue ? Testé à l’échelle des 48 états connexes des États-Unis, le scénario a été approuvé comme une étude théorique. Compte-tenu de la taille du pays considéré qui bénéficie d’une large variété de conditions météorologiques, l’étude pourrait être réaliste techniquement si ce n’est économiquement. Maintenant, Mark Jacobson en déduit un modèle énergétique pour 139 pays de la planète.
Testé sur la France à partir des productions éoliennes et solaires mesurées par RTE entre 2012 et mars 2016, ce mix énergétique n’assure même pas l’approvisionnement électrique hors transport pendant 23% du temps (2000 heures par an). Les simulations sur deux mois ont été publiées. Une telle constatation est en accord avec les études parues sur l’éolien ; Aucune puissance éolienne n’est garantie (Nifenecker, Techniques de l’ingénieur ! 2014), la production éolienne décroît avec la température (Flocard, 2012), la distribution de la production éolien-solaire et celle de la consommation ne peuvent coïncider (Wagner 2013). Faut-il aller chercher aussi un auteur à Stanford pour affirmer que le photovoltaïque produit, dans notre pays, quatre fois moins en hiver qu’en été et que la demande de chaleur en Europe y est maximale à cette période-là ? Pourquoi nier que la somme d’une fonction aléatoire et d’une fonction périodique ne donne pas une fonction à peu près constante ?
Il est assez curieux, dans une revue technique, de voir opposer à des mesures en accord avec la littérature théorique une publication non encore validée au seul motif que l’auteur appartient à une université réputée et partage les opinions de la rédaction.
D’autant plus que Mark Jacobson a modifié son mix énergétique, le jour même où il a pris connaissance de la simulation pour la France en introduisant 130 TWh de solaire thermodynamique à concentration. Ainsi les sources modulables passent de 3 à 14 %, un aveu de la faiblesse de son plan ? Une telle production représenterait une surface de 2000 km2 de miroirs dans le sud de la France et un surcoût annuel de 35 milliards d’euros . Mais en restant dans des puissances et des stockages raisonnables, le CSP (Concentrating Solar Power ) ne peut combler les failles du scénario : un déficit de 80 GW pendant 15 jours, durée de référence pour les périodes sans vent en Europe de l’Ouest. La situation serait pire dans les grands pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Pologne, qui ne reposent que sur des sources électriques fluctuantes.
Il est étrange de faire appel au scénario ADEME pour justifier Jacobson. En effet, cette étude exploratoire en montre plutôt les limites. Elle se donne un objectif deux fois plus faible de production électrique, pour profiter d’une plus grande part d’hydraulique. Elle utilise le report de consommation, le stockage et, malgré tout, nécessite encore des importations d’électricité de centrales thermiques.
Un travail d’ingénieur ne se limite pas à utiliser des densités surfaciques, sur un coin de table. Il existe un territoire sur lequel il y a d’autres activités, un patrimoine immobilier et naturel. Les études d’impact vont bien au-delà de la zone des 500 mètres, utilisée pour déterminer la surface consommée par les parcs éoliens. Le potentiel éolien calculé par l’ADEME consiste en 17 000 parcs. En considérant les lumières clignotantes la nuit aux sommets des mâts, il y a de quoi transformer un pays millénaire en sapin de Noël. L’ADEME est partie, elle, de 10 000 parcs éoliens dans le scénario de référence, puis s’est replié sur 6 000 (dans un le cas d’une acceptabilité modérée), puis sur 4 000 (dans le cas d’une acceptabilité très contrainte). Lorsque les autorités régionales ont voulu déterminer leur potentiel éolien, elles ne trouvent que 1 700 à 3 000 parcs possibles. Que de contradictions avec une étude qui s’affranchit du stockage et envisage un déploiement éolien délirant. Il ne faut pas lire que le titre des études.
Pour poursuivre sur cette dernière remarque, dans la seule publication (Scénario Message Supply–N) qui décrit un scénario énergétique mondial permettant de stopper le réchauffement climatique, nous ne proposons pas « de construire 7000 GW entre 2060 et 2100 », ce qui est la description du scénario IIASA mais 17 000 à 20 000 GW entre 2020 et 2100, ainsi que 1500 centrales solaires de 100 km2 et 2 millions d’éoliennes.
Il est étonnant de lire, dans le pays qui a recyclé plus de trois fois le plutonium dans le réacteur Phénix, que le nucléaire ne serait pas renouvelable. C’est le cas politiquement, mais physiquement, le caractère renouvelable du nucléaire a été démontré dès 1983 par Cohen (publication téléchargeable sur le site de l’université de Stanford !) : il s’agit d’extraire une partie de l’uranium apporté par les fleuves dans la mer. Aujourd’hui les études américaines, japonaises et chinoises sur l’extraction de l’uranium de l’eau de mer se poursuivent et on arrive à des retours énergétiques entre 20 et 1000, alors que les publications récentes de Hall, Pietro et Weissbach ramènent celui du solaire en Europe à un intervalle 4-6 à partir des seuls facteurs physiques. Bien sûr, on peut contester ces études, mais alors il faut expliquer pourquoi.
Enfin comme la production solaire est en opposition de phase avec la consommation énergétique, il est faux de prétendre qu’il est possible de répondre à une demande énergétique par la même quantité d’électricité solaire produite annuellement par un autre mix énergétique. Il faudrait investir dans 1600 GW solaires tous les vingt-ans. Pour sortir des fossiles le compte est vite fait : 3200 milliards d’euros jusqu’en 2050 sans les batteries ; au lieu de 300 pour le nucléaire. On peut se demander pourquoi sacrifier des milliers de kilomètres carrés contre le risque d’en perdre quelques centaines par une fusion de cœur sur un réacteur nucléaire.
La faible performance de l’éolien-photovoltaïque n’est pas due à des contraintes techniques, mais à des facteurs physiques immuables : la hauteur du soleil en hiver ou en été, la pente des toits, le rendement maximal des transitions électroniques, la puissance en fonction de la vitesse du vent, etc… La vérité est donc qu’un pays à notre latitude et notre densité de population ne peut reposer très majoritairement que sur l’atome pour produire une électricité sans carbone. L’intérêt du solaire et de l’éolien est faible pour le réseau électrique, c’est ce qui fait la faillite du système électrique de Jacobson, qui ne résisterait pas à des hivers exceptionnellement froids.
En France, le photovoltaïque et l’éolien coûtent plus de 5 milliards d’euros par an à la collectivité, bien plus que les ratés du nucléaire, dont le bilan est globalement très positif. Les éoliennes et le photovoltaïque sont importés, et il nous restera des éoliennes et des panneaux usés sur les bras lors de leur fin de vie. Avec le nucléaire nous accumulons de la matière fissile réutilisable chaque année et des platinoïdes pour nos descendants dans les colis vitrifiés. Lors de l’accident de Fukushima, il n’y a pas eu d’impact des radiations sur la population civile, alors que les réacteurs étaient beaucoup moins sûrs que les nôtres. Ils n’avaient pas de recombineurs passifs d’hydrogène, qui auraient évité l’explosion, ni de filtres à sable qui auraient limité les rejets. L’accident n’aurait pas eu cet impact avec nos réacteurs. En parallèle, on ne montre pas les techniciens brûlés au sommet des éoliennes ou les installateurs de photovoltaïque qui tombent des toits. Lorsque des journalistes indépendants, comme ceux de Forbes récemment, reprennent des études scientifiques, le nucléaire dépasse les autres énergies, mêmes dans les bilans sanitaires. Nous pouvons donc continuer dans le nucléaire sans regretter qu’une meilleure alternative ne soit disponible et il n’est pas normal d’être mis publiquement en cause pour l’avoir défendu.
Philippe Hansen
Dans les Droits de réponse, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
php
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