Sylvestre Huet
16 janvier 2017
Commentaire: passionnant et... instructif, non?
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Les moyens exceptionnels que RTE pourrait mettre en œuvre pour éviter des coupures
Le risque de pénurie d’électricité au moment de la vague de froid qui approche suscite moult commentaires et nombre de confusions. Une petite contre-désinformation s’impose.
L’ampleur du problème
Avec le froid qui s’installe et le chauffage électrique qui grimpe, la consommation de l’hexagone pourrait atteindre 89 000 MW ce soir, 94 000 demain soir et frôler les 100 000 les deux jours suivants, annonce RTE. Or, toujours selon RTE, la production disponible ne serait que de 87 000 MW en moyenne cette semaine. Il pourrait donc manquer jusqu’à 13.000 MW. Un écart susceptible d’être couvert par des importations, de toutes les frontières, au niveau des limites techniques des connexions électriques avec nos voisins… si ces derniers ont de quoi nous fournir un jus que nous paierons au prix fort.
La pénurie, c’est la faute au nucléaire qui défaille. Dit-on. Oui, mais non
Oui, bien sûr, puisqu’il est logique d’organiser la gestion des arrêts de centrales pour maintenance en fonction d’une consommation supérieure l’hiver à l’été. Et donc d’essayer d’avoir le maximum des 63 GW de puissance nucléaire installée disponible au plus froid de l’hiver. Sauf qu’il est impossible de savoir à l’avance quand arrivera le plus froid de l’hiver – en décembre, en janvier, en février ? – et qu’il est impossible d’avoir à disposition la totalité de la puissance installée durant les trois mois continus. Ce n’est jamais arrivé, cela n’arrivera jamais.
Pour l’instant, l’hiver 2016/2017 affiche une première vague de froid pour les jours qui viennent selon Météo France, alors que 53 des 58 réacteurs d’EDF devraient être disponibles selon RTE (il en manque encore deux de plus ce jour). Ce n’est pas le maximum, ce n’est pas non plus la grande débandade… comme au début décembre lorsque la crise due à la découverte d’anomalies de fabrication d’équipements lourds était à son pic. C’est une situation susceptible de se produire en raison d’aléas techniques ou d’exigences de l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Si le système électrique français n’est pas capable de résister à l’arrêt de cinq réacteurs, c’est qu’il est sous-dimensionné au total. Un petit retour en arrière le montre.
Le pic historique de février 2012
Reportons-nous au 7 février 2012. Avec un pic historique de consommation à 102 098 MW, donc bien au delà de la puissance nucléaire installée, même à supposer qu’elle soit à 100% disponible. Pour y répondre, la production d’électricité mobilisée était composée de 63% de nucléaire (59 000 MW avec trois réacteurs indisponibles), 13% d’hydraulique (une période faste pour le jus à l’eau), 5% de charbon, 5% de fioul, 4% d’éolien, 3% de gaz et moyens de pointe et 6% de moyens « autres » (obligation d’achat, thermique diffus, etc). S’y sont ajoutées 7300 MW d’importations. Une situation très tendue donc, mais non catastrophique car les marges de sécurité du système – des capacités de production mobilisables immédiatement pour pallier une défaillance – ont été conservées.
L’évolution de la puissance en centrales thermique depuis 2012
Donc non, ce n’est pas à la seule faute du nucléaire en rade que l’on doit la situation tendue de cette semaine. Tendue au point d’envisager de recourir aux effacements volontaires (des entreprises très consommatrices qui acceptent d’être coupées en échange d’un prix plus bas toute l’année), puis des baisses de tension, voire des délestages – des coupures de jus tournantes. Et c’est là qu’il faut se pencher sur l’évolution du système électrique français depuis 2012 pour le comprendre. Un système qui a perdu près de 9 000 MW de puissance programmable en charbon et fioul d’après le graphique ci-contre, tiré d’un document de RTE. Et 9000 MW en moins, c’est beaucoup plus que ce qui manque de nucléaire disponible pour les jours à venir.
Éolien, solaire et fossiles: ne pas confondre puissance et production
Les experts de RTE avaient bien conscience du problème. Et c’est pour cela qu’il y a deux ans, donc sans savoir qu’il y aurait aujourd’hui un problème avec le parc nucléaire, ils ont lancé une alerte pour l’hiver 2016/2017. En indiquant qu’une vague de froid mettrait en difficulté le système électrique. Pourquoi ?
Les moyens de production installés au 31 décembre 2012 dont certains étaient indisponibles lors du pic de consommation du 7 février
Pourquoi, en effet, puisque la réduction de la puissance installée en fossiles (charbon et fioul) n’apparaît pas lorsque l’on affiche la puissance totale des moyens de production. L’installation d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques depuis 2012 a plus que compensé la perte. La puissance totale installée est ainsi passée de 128 GW en 2012 à près de 130 GW aujourd’hui. Sauf que les éoliennes et les PV c’est utile quand il y a du vent – la production éolienne peut alors dépasser les 7000 MW de puissance instantanée – et du Soleil, et inutile lorsqu’il y en a pas. Pour le Soleil, c’est toutes les nuits. Pour le vent c’est très souvent le cas lorsqu’il fait très froid, la production éolienne peut alors chuter sous les 1000 MW de puissance instantanée. L’épisode actuel a été précédé par quelques jours de vent fort – apportant le froid – qui ont bien fait tourner les éoliennes. Mais une fois le froid installé, le ciel est bleu, le soleil brille… et le vent faiblit, comme chaque fois que l’on passe d’une dépression à un anticyclone. Rajouter du PV et de l’éolien à gogo ne changerait donc pas la situation pour les périodes les plus tendues, lorsqu’il fait vraiment froid, et vers 19h, au moment du pic journalier de consommation lorsque le Soleil a disparu sous l’horizon.
Intermittence et back-up
C’est ainsi que la confusion entretenue entre la puissance installée et la capacité de production n’aide pas le citoyen a comprendre les problèmes de son système électrique. Il en néglige la règle d’or des sources d’électricité intermittentes liées à la météo : elles doivent s’appuyer sur des moyens en « back-up » pour compenser leur faible production en l’absence de vents et de soleil. C’est pourquoi le coût principal de l’introduction de ces moyens de production dans un système électrique correspond à la sur-capacité nécessaire en moyens pilotables et programmables capables de les suppléer en ce cas. C’est ainsi de cette nécessité que provient l’énorme surcapacité de production en Allemagne, résultat d’une subvention massive – 300 milliards d’euros en 20 ans – pour les énergies nouvelles renouvelables, dont l’essentiel pour le photovoltaïque et l’éolien.
Conclusions
Cet épisode restera peut-être comme un avertissement sans catastrophe. Il serait stupide de n’en pas tirer quelques conclusions. La principale est que la résilience d’un système électrique thermosensible face aux vagues de froid ne peut reposer sur le remplacement de capacités programmables par des moyens de production dépendant de la météo et de l’heure solaire. La réduction du potentiel de production en charbon et fioul était donc imprudente, sauf si elle avait été compensée par des moyens de production en gaz, moins polluant à tout point de vue. Le dogmatisme, en la matière, est donc peu pertinent. Un mix électrique raisonnable pour les décennies à venir en France doit comporter une part de fossiles, pour passer le cap des pointes de consommation. Leur part totale dans la production annuelle, dans le mix actuel, tourne autour de 5%. Le système électrique demeurerait donc quasi décarboné, c’est dans d’autres directions (le chauffage au gaz et au fioul, la motorisation au produits pétroliers…) qu’il faut chercher pour diminuer de manière significative nos émissions de gaz à effet de serre. Quant au socle nucléaire de la production, le diminuer sans précaution, sans avoir auparavant veillé à l’équilibre avec la consommation – comme le prévoit la loi de transition énergétique ou l’accord PS/EELV pour l’arrêt de la centrale de Fessenheim, c’est aller tout droit à la répétition d’alertes, voire à leur réalisation par des coupures. Un sujet de débat, sérieux, pour les élections à venir ?
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