"Petit Lexique des guerres de religion d'hier et d'aujourd'hui" / 2

Extraits de l'ouvrage d'Odon Vallet*, intitulé: "Petit Lexique des guerres de religion d'hier et d'aujourd'hui", Albin Michel, 2004.
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Baptistes et anabaptistes
Les radicaux de la Réforme
Le grec ana veut dire «en sens inverse» ou «de nouveau». Un anabaptiste veut un nouveau baptême à l'âge adulte parce que le précédent, reçu dans une autre Église durant l'enfance, n'a pas, selon lui, une valeur suffisante.


L'anabaptisme est né des soubresauts de la Réforme, chez les protestants radicaux qui s'opposaient à Luther et dépassaient Zwingli (1) qui dirigeait la guerre des Paysans (2) ou le royaume de Munster (une république communiste). Le chef de ce micro-État, Jean de Leyde (3) avait assuré sa postérité et celle de ses amis en épousant seize femmes, en rendant la virginité hors la loi et la polygamie obligatoire. La plupart de ces anabaptistes de la première génération (début du XVIe siècle) furent persécutés en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Suisse et contraints à l'exil. En Amérique, ils mettent un peu d'eau dans leur vin de Cène, ne sont plus ni anarchistes ni anabaptistes mais seulement baptistes. En perdant leur préposition, ils prennent position dans le monde des grandes Églises où ils comptent aujourd'hui plus de cinquante millions de fidèles sur toute la planète. Le baptiste ne baptise ou rebaptise que les adultes et se prive donc du renfort statistique des enfants : les cinquante millions de baptistes équivalent à environ quatre vingt millions de chrétiens d'une autre église.

Aux États-Unis, il s'est fait noir parmi les Noirs et blanc parmi les Blancs. Il est majoritaire à Harlem et domine le marché du gospel. Mais via la Southern Baptist Convention, il est très bien implanté parmi les Américains les plus conservateurs voire les plus racistes. Durant la guerre de Sécession, il comptait dans ses rangs des esclaves et des esclavagistes. Dernièrement, le baptiste fut la religion du réactionnaire Billy Graham (4) et du progressiste Martin Luther King (5), des démocrates Jimmy Carter (6) et Bill Clinton mais aussi de nombreux républicains proches de George W. Bush.

Certaine Églises batistes sont fondamentalistes et d'autres ont une lecture moderne de la Bible, certaines sont pacifistes et d'autres belliqueuses. Il y a des pasteurs pour les agneaux et d'autres pour les loups, Vox populi, vox dei.


Bouddhisme
La colombe des guerriers
Un guerrier pacifiste, tel est le destin du Bouddha «historique», éduqué pour faire la guerre avant de renier l'usage de la force : «La victoire engendre la haine; les vaincus vivent dans la douleur; les pacifiques vivent heureux, délaissant victoire et défaite» (Dhammapada, 201).

Les récits légendaires de la vie du Bouddha insistent sur sa jeunesse sportive, son initiation à l'art de la guerre et sa prédilection pour le tir à l'arc, tenu d'une poigne de fer (tous les arcs se brisent dans sa main). Cette éducation, proche de celle d'un chevalier chrétien, ne l'empêche pas de quitter, à vingt neuf ans, ses armes, sa femme et son père pour trouver la paix intérieure et la compassion active. Ce parcours ressemble à celui du Père de Foucauld(7) qui quitta la carrière des armes pour une vie servante et pauvre, charitable et pacifique. À la différence que Bouddha prôna un détachement total avec les forces de l'action et les ressorts de la conquête, pas le Père de Foucauld.

Religion missionnaire, le bouddhisme cherche pourtant à s'étendre. Or il n'y a guère d'extension sans résistance ni ruptures. L'expansion du christianisme va de pair avec les violences des colonisateurs. L'expansion de l'Islam est inséparable (excepté en Extrême-Orient) de l'alliance du cimeterre et du Coran. Mais le bouddhisme n'a jamais cherché les conversions forcées ni pratiqué la chasse aux infidèles. La notion de guerre sainte lui est étrangère.

Le rayonnement du bouddhisme est beaucoup plus lié aux caravanes de marchands qu'aux colonnes de soldats et il doit à ce soutien des négociants son aptitude à l'échange des idées et à l'emprunt des valeurs (d'autrui). L'un des rares conflits de nature religieuse à mettre au débit du bouddhisme eut pour auteur, en 1057, le roi birman Anawrahta (8): cet ancien moine monté sur le trône fit la guerre au prince de Thaton (ville du sud de la Birmanie) qui refusait de lui donner une copie du canon pâli (langue des textes sacrés du bouddhisme hinâyâna). On peut également citer les innombrables escarmouches entre écoles rivales du bouddhisme tibétain : leurs différences doctrinales se doublaient de rivalités régionales (chaque école est issue d'une vallée) et font songer aux conflits entre cantons suisses protestants et catholiques. Ces guérillas monastiques entre bop-bop (moines policiers) lassèrent les pays voisins (Mongolie et Chine) qui privilégièrent (à partir du XVIe siècle) l'école des gelugpa (vertueux) en désignant son chef (le dalaï-lama) comme souverain temporel, unificateur du Tibet.

Le militarisme nippon s’est appuyé sur certaines tendances du bouddhisme (notamment le zen) et le patriotisme de l’école nichiren (du nom d’un moine du XIIIe siècle) a pu revêtir des traits xénophobes en prônant l’édification d’un royaume du Bouddha rayonnant depuis le Japon sur le reste de la terre.

Mais comme toute religion, le bouddhisme a ses fanatiques. L’un des exemples les plus pittoresques et sanguinaires fut Wu Zetian (9), favorite de l’empereur Gaozong (10). Devenue impératrice après avoir fait massacrer de nombreux membres de la famille impériale, elle prit le titre d’empereur du Saint-Esprit et se considéra comme une réincarnation de Maitreya, le Bouddha du futur. Elle n’eut aucun avenir puisque sa dynastie disparue avec elle en 705. Il était absurde de vouloir être un Bouddha dans un palais, alors que, précisément le bouddhisme est né quand le Bouddha «historique» quitta son «palais» pour méditer sur la condition du commun des mortels.

Calvin
La dictature de l’instruction
Peut-on réformer la Réforme sans précipiter la Révolution? Tel fut le problème de Calvin (11) qui voulut aller au- delà de Luther et en deçà de Zwingli ou de Servet (12), les ultras de la Réformation. Luther avait contesté le pape mais conservé les évêques, supprimé le sacerdoce mais gardé l’eucharistie. Calvin refusa la hiérarchie épiscopale et le sacrifice eucharistique (la Cène ne serait, selon lui, qu’un symbole) et son Église fut dite «réformée» comme si cette seconde réforme était la première.

Comme Robespierre était le dernier rempart contre l’anarchie, Calvin fut l’ultime défense contre l’athéisme. Et tous deux durent imposer un régime de terreur car c’est en contestant le pouvoir qu’on doit punir les révoltes, en côtoyant le vide qu’on a besoin de garde-fous. Robespierre était tourné sur sa gauche par le communiste Babeuf et sa Société des Égaux (13). Jean Calvin était dépassé par Miguel Servet qui avait publié une Restitution du christianisme en réponse à l’Institution de la religion chrétienne du légiste picard. Le premier de ces livres niait la Trinité et le second en doutait. La dubitation se vengea de la dénégation : Servet fut conduit au bûcher le 27 octobre1553.

La Réforme pouvait-elle faire l’économie de cette violence? Calvin avait fort bien vu que la Bible ignore la Trinité ; on l’avait même accusé d’être arien et de nier la divinité du Christ. Mais l’homme de loi voulait l’ordre. Il décida donc de garder le Credo de Nicée (14) et, la Réforme maintint la croyance de l’Un en Trois. Le tort de Servet fut d’exprimer les réticences de ses collègues : le pasteur a dit la vérité, il doit être exécuté.

Les Genevois furent donc enclin à la prudence dans leur citée théocratique. La danse, les jeux et le cabaret furent punis de prison; la tonsure d’un prêtre ou la vente d’un calice valaient pendaison. Comme dans le Pékin de Mao ou le Moscou de Staline, chaque quartier de la ville eut ses surveillants et l’on dénonça parents et amis à la police. Les méthodes de l’Inquisition furent imitées et quiconque posait trop de questions était soumis à la question.

Calvin publia des ordonnances ecclésiastiques qui réglementaient la vie de l’âme et interdirent de s’endormir durant les sermons. L’ayatollah du lac Léman ressemblaient beaucoup à ces légistes maudits par Jésus pour charger le peuple de lourds fardeaux, même si ce savant honnête et scrupuleux conformait sa vie personnelle à ses propres lois. Calvin promulgua l’interdit de penser et la faculté de savoir. Car, il eut l’immense mérite, trois siècles et demi avant Jules Ferry d’instituer à Genève, dès 1536, la première école primaire gratuite et obligatoire.

Et c’est en partie grâce à ce pape des réformés, en sa cathédrale Saint-Pierre, que les gens du peuple prirent goût à la lecture (de la Bible) et que les fils de paysans entreprirent des études.

Cathares
Des purs très métissés
On les disait «purs» (en grec katharoi) ou «parfaits». Mais ils ne l’étaient pas tous. Les cathares pratiquaient une religion ésotérique pour une minorité et exotérique pour la majorité.

À cette minorité de purs ou de parfaits étaient réservés l’initiation aux mystères divins par le sacrement de la consolation (consolamentum) et l’accès à l’éternité par le secours de l’Esprit. Ces initiés vivaient pauvrement et chastement, sans biens ni femmes. Comme les jaïns de l’Inde (15), ils ne pouvaient rien consommer d’un animal et pouvaient tuer en eux la bête humaine jusqu’au jeûne illimité.

Les cathares croyaient en une spirale de réincarnations. Ils étaient profondément dualistes : le dieu du bien aurait créé le monde invisible de l’Esprit et le dieu du mal le monde visible de la matière. Ces doctrine sindiennes et iraniennes étaient peut-être parvenues aux cathares via les pauliciens de Macédoine (16) et les bogomiles de Bulgarie (17).

Pourtant, les cathares non parfaits, sympathisants de la secte par dégoût de l'Église, n’avaient rien d’effrayant. Scandalisés par la corruption du clergé, ils voulaient simplement réformer la religion tout en menant une vie normale. Ces laïcs n’avaient d’autre obligation que de refuser les serments et le port de l’arme. Mais ces exigences les rendaient suspects auprès des tribunaux de l'Église et des armées du roi, du droit régulier et du bras séculier. Contre les cathares fut créée la «Sainte Inquisition» confiée à l’ordre des dominicains (18). Ces «purs» devinrent les victimes symboliques du trône et de l’autel, et, en tant que Méridionaux («Albigeois»), les martyrs occitans d’un pouvoir nordique. La lutte du comte de Toulouse (19) contre Simon de Montfort (l’Amaury) (20) illustre et caricature la coupure en deux d’une France toulousaine ou parisienne.

Avant de déchaîner, à partir de 1208, les horreurs des batailles et des tortures, les pouvoirs, royal et pontifical firent preuve d’attentisme durant un demi-siècle : les cathares dénonçaient les abus que l'Église déplorait et les clercs qu’elle subissait. Leur influence ne se limitait pas à la France du Midi : elle s’étendait aussi en Italie (comme celle des vaudois), en Catalogne, en Champagne et en Bourgogne. Inversement, des catholiques restaient fidèles au pape au sud de la Loire, notamment à Narbonne, Nîmes et Montpellier. L’image fausse d’un catharisme exclusivement méridional doit beaucoup aux châteaux forts pyrénéens, favorisant une confusion entre «Albigeois» et «Ariégeois». La croisade contre les Albigeois eut bien lieu entre Rhône et Garonne mais les idées cathares rayonnaient dans toute l’Europe.

Ces idées ne furent pas reprises par la Réforme. Celle-ci était trop occidentale pour incorporer des croyances indiennes ou iraniennes, trop centrée sur le Christ pour faire de Lucifer une divinité et trop méfiante sur la nature humaine pour engendrer des «parfaits». Les cathares n’ont donc pas fait école dans l’histoire européenne.

Mais aujourd’hui, l’attirance des occidentaux pour la réincarnation et le végétalisme assure une certaine audience à certains aspects du catharisme. Car, à la différence du Moyen-Âge, le monde moderne permet le pluralisme religieux et admet qu’il y ait hors de l'Église un salut.

Charlemagne
Les crimes d’un «Saint».
Carolus Magnus, alias Karl der Grosse ou Charlemagne (21) aimait guerroyer: cinquante-cinq guerres en quarante-cinq ans de règne. Louis le Grand affronta souvent les protestants et Charlemagne le Grand les «païens». Comme Louis XIV ravageant la Palatine, Charlemagne mit à sac le pays des Saxons dont il fit massacrer cinq mille soldats. Les survivants furent convertis de gré ou de force. Aux uns la hache du bourreau, aux autres la grâce du baptême.

L’empereur n’était pas un saint même si l’école fêtait naguère la «Charlemagne», patron des écoliers, qui selon France Gall, eut «cette idée folle d’inventer l’école». L’empereur illettré aida l’institution scolaire et le monarque polygame soutint le trône pontifical. En effet, Le 25 avril 799 (le jour des Litanies majeures), au cours d’une procession, Léon III (22) à cheval et ouvrant la marche, fut «assailli, roué de coups, jeté à bas de sa monture, dépouillé de ses vêtements pontificaux». Les conjurés l’accusèrent de toutes sortes de vices et de crimes, de parjure, de fornication et d'adultère et avaient l'intention de lui crever les yeux et lui couper la langue. Enfermé dans un couvent en attendant d'être jugé, il parvint à s'échapper et se réfugia chez le duc de Spolète, avant de se rendre à Paderborn, en Saxe, auprès de Charlemagne. Celui-ci lui donna une escorte pour rentrer dans ses palais.

Le pape était vicaire du Christ et l’empereur «surveillant des évêques». Ce pléonasme («évêque», du grec épiskopos, signifie «surveillant») était justifié puisque Charlemagne nommait les titulaires des évêchés et des abbayes comme un chef de gouvernement contrôle les préfectures et les rectorats. Charlemagne surveillait l'Église dans l’empire d’Occident et Léon III sacrait l’empereur dont le père, Pépin le Bref (23), lui avait donné ses États pontificaux.

Sa mère, Bertrade ou Berthe de Laon (24) dit Berthe aux grands pieds, l’avait conçu hors mariage et lui-même eut au moins quatre épouses et douze concubines tout en éprouvant le plus vif intérêt pour le mystère de la sainte Trinité.

Malgré les réticences du pape, il imposa dans le Credo la mention du filioque : l’Esprit procède du Père et du Fils et non du Père par le Fils comme l’affirment les Orientaux. Cette formule, reprise du concile de Tolède (589), est elle-même inspirée de la version latine des actes du Ier concile Constantinople (381).

Le pouvoir de la capitale de l’Orient fut vivement contesté par Charlemagne, notamment lorsque le culte des images (ou des icônes) fut rétablie par le IIe concile de Nicée (787) malgré les «répréhensions» de l’empereur d’Occident. Mais Charlemagne eut, à la différence des croisés, la sagesse de ne jamais croiser le fer avec Constantinople. Il préféra une polémique verbale à l’égard de cette lointaine capitale dont l’impératrice Irène (25) lui avait proposé, à l'automne 801, un projet d'union matrimoniale destiné à réunifier l'Empire romain. L'aristocratie byzantine, hostile à l’impératrice, voyant dans ce projet un acte sacrilège, organisa un coup d'État en octobre 802. Le logothète du Trésor, Nicéphore, se fit proclamer empereur par une assemblée de hauts fonctionnaires, sous le nom de Nicéphore Ier. L’impératrice fut canonisée par l'Église orthodoxe. Il n’y eut jamais d’union entre «Saint» Charlemagne et «Sainte» Irène.

La violence de Charles fut réservée aux croyants d’Occident et la peine de mort promise à qui refuserait le baptême, le jeûne du Carême ou le maigre du Vendredi. C’était la charria chez les chrétiens en ces temps où la séparation entre religion et État n’existait pas. D’ailleurs Charlemagne obtint du calife de Bagdad Haroun al-Rachid (766-809), la protection des Lieux saints de Palestine, protection confirmée (et étendue à de nouveaux bâtiments) mille ans plus tard par des firmans de l’Empire ottoman. C’est ainsi que la France est encore officiellement propriétaire de couvents et de monastères (Églises Sainte-Anne à Jérusalem, Église des Croisés à Abu Gosh, etc.). La république laïque n’a jamais renié l’héritage chrétien de «Saint» Charlemagne.

Chiites
Les liens du sang
Existe-t-il un seul schisme sans guerre? La réponse est oui : un seul grand schisme ne fut ni la cause ni la conséquence d'un conflit armé, celui du bouddhisme mâhayâna (Grand Véhicule) et du theravâda (Doctrine des Anciens) intervenu vers le IIIe siècle avant J.-C.

Le schisme le plus brutal, dans l'histoire des grandes religions, fut celui des chiites ou «partisans» d'Ali (26), cousin, gendre et fils adoptif (selon certaines sources chiites) de Mohammad. Ali combattait les califes, ces «successeurs» de Mohammad, «lieutenants» du prophète comme Louis XIV était le lieutenant de Dieu sur terre, selon Bossuet (27).

Mais comment séparer le temporel du spirituel et les intérêts familiaux des exigences ecclésiastiques? Le premier calife, Abou Bakr (28) , était l'ami fidèle mais aussi le beau-père du Prophète qui avait épousé sa très jeune fille, Aïcha. Abou Bakr transmit le califat à Omar (29), autre beau-père de Mohammad, époux de sa fille Hafsa. Par le biais du mariage, la succession se fait en sens inverse, les beaux-parents font la loi, les vieux dirigent les jeunes. Celui qui a donné sa fille en retire les dividendes : il a offert de la jouissance, il retrouve du pouvoir.

Le successeur d'Omar est Othman (30), beau garçon ayant épousé, successivement, deux filles de Mohammad : au lieu de donner une femme au Prophète, il lui prend deux filles. Au lieu de négocier un beau mariage, il veut vivre deux unions. La passion consume les forces et consomme l'argent. Malheur à la cigale Othman. Il fut accusé (injustement?) de favoriser sa famille dans la distribution du butin de la conquête. Et c'est oublier qu'il entreprit l'unification des versions coraniques en ordonnant la recension officielle de la Révélation. Mais Othman eut de nombreux ennemis, notamment Ali, l'époux de Fatima, l'une des filles du Prophète. Othman fut tué en 656 par un des frères d'Aïcha, l'épouse favorite du Prophète, qui n'était pas pour autant une partisante d'Ali.

L'Islam s'est donc divisé sur des problèmes de succession et non, comme le Bouddhisme, sur des questions de discipline (monastique). Pas de différents familiaux pour le Christ et l'Éveillé : ils décidèrent logiquement d'instituer des clergés célibataires pour éviter les clergés héréditaires. Refusant cette logique, l'Islam, religion dite sans clergé (le pouvoir des imams sunnites n'est pas surnaturel), est progressivement devenu la religion de l'hérédité : il n'y a pas plus grand titre de gloire que d'être «descendant du Prophète».

L'assassinat d'Othman appelait à la vengeance que son successeur Ali, refusa d'exercer. Il fut donc accusé de complicité avec les meurtriers par les membres du clan d'Othman, celui des Omeyya, à l'origine de la dynastie des Omeyyades (31). L'affrontement eut lieu en 656, près de Bassorah, lors de la bataille du Chameau, ainsi nommée en mémoire de l'animal qu'aurait monté Aïcha, la «mère des croyants». Ali en sortit vainqueur, mais dès l'année suivante, il dut affronter l'armée de Mouawiya, gouverneur de Damas et chef du clan des Omeyyades. Selon la tradition, celui-ci était au bord de la défaite lorsqu'il fit mettre des corans au bout des lances de ses soldats. N'osant combattre le Livre saint, l'armée d'Ali aurait été vaincue et son chef contraint à un arbitrage. Certains de ses partisans les plus décidés, les kharidjites (32), refusèrent ce compromis déloyal, au prétexte «qu'il n'y avait que Dieu qui pouvait passer des compromis». Ils devinrent des «dissidents» avant de partir fonder d'importantes communautés, notamment en Arabie (sultanat d'Omar) et en Algérie.

La troisième bataille eut lieu à l'intérieur du camp d'Ali, entre ses partisans fidèles et les kharidjites. À Nahrawan, près d'Alep, Ali remporta la victoire (658), mais trois ans plus tard, il périt assassiné par un kharidjite, à Nadjaf (Irak). Le califat passa pour quelques mois au fils aîné d'Ali, Hassan (33), mais revint ensuite à Mouawiya (calife de 661 à 680). Celui-ci fit remplacer l'élection par l'hérédité et transmit le califat à ses descendants de la dynastie omeyyade. La fin du système électif fut pour l'Islam, une régression dont les conséquences se font encore sentir aujourd'hui : les liens du sang l'emportent souvent sur le mérite.

Le chiisme privilégia aussi la famille. Ses membres reconnurent pour chef le deuxième fils d'Ali, Hussein (34) qui, contrairement à son frère Hassan, refusa les compromis voués à l'échec, et engagea le combat à Kerbala (680) contre l'armée omeyyade. Il y trouva la défaite et la mort. Le chiisme y gagna une deuxième Ville sainte (après Nadjaf) et un deuxième martyr (après Ali).

L' Irak est la véritable terre sainte du chiisme, et non l'Iran, pays tardivement converti au chiisme, au début du XVe siècle : la rivalité du clan nomade des Moutons noirs (turcomans), chiites, et de celui des Moutons blancs (turcomans), sunnites, fut tranchée par la défaite de ceux-ci contre les Bonnets rouges (35), chiites, dont le chef proclamé Shah d'Iran, Ismail Ier (36) fit au printemps 1501 du chiisme une religion d'État. La situation en Irak est différente. Si le chiisme est la religion majoritaire, elle ne fut jamais religion nationale, au grand regret de ses partisans.

Chine
Des Sourcils rouges au Lotus blanc
Sourcils rouges, Turbans jaunes, Lotus blanc, Paix céleste, Poings vertueux, Roue de la Loi : six noms parmi d'autres de révoltes mystico-politiques en Chine. Pour répondre à la violence du pouvoir, elles semèrent la discorde en milieu paysan, notamment dans le grenier à riz de la province de Shandong. Puis elles essaimèrent dans le peuple des mécontents, profitant des crues dévastatrices ou des sécheresses catastrophique. Enfin, elles furent fauchées par la répression impériale et la religion ritualiste avant de renaître récemment dans la Chine communiste.

En 17 après J.-C., les Sourcils rouges ou Chimei (37) firent alliance avec la noblesse impériale de la dynastie des Han, écartée du pouvoir par l'éphémère dynastie des Xin. Les Sourcils rouges étaient d'inspiration taoïste comme les Turbans jaunes (Huangjin) qui eux, vinrent à bout de la dynastie Han. Ils faisaient la guerre pour obtenir l'égalité sociale.

Comme beaucoup de religions nées d'aspirations populaires, le taoïsme gagna les milieux dirigeants et se fit l'auxiliaire du pouvoir impérial par l'intermédiaire des ministres célestes qui contrôlaient, sanctionnaient ou approuvaient l'action des ministres terrestres. Plus nécessaire de révoltes contre l'empereur, il suffisait de faire révoquer un ministre jugé coupable de mauvaises récoltes ou de défaites militaires.

Devenu religion officielle, le taoïsme perdait le caractère subversif de son antique anarchisme. Mais les révoltes populaires purent trouver des alliés surnaturels dans d'autres religions. À partir du XIIe siècle, la Société du Lotus blanc apparut comme un mouvement messianique et subversif dont la principale révolte, en 1776, ne fut matée qu'après une vingtaine d'années de répression. Un hommage posthume lui fut rendu par Hergé (38) dans son célèbre album du Lotus bleu.

Vers 1850, le mouvement des Taiping (Paix céleste), renouant avec l'idéologie égalitariste des Turbans jaunes affirmaient : «Le grain des paysans, les objets des artisans, les capitaux des marchands, tout cela appartient au Père du Ciel, tout cela doit être remis au trésor (de la secte)».

Il faudra quinze ans à l'empereur, de la dynastie mandchoue des Qing, pour venir à bout par une sanglante répression d'une secte influencée par les missionnaires chrétiens mais dont le régime communautaire annonce aussi l'idéal maoïste. Les Taiping interdisaient le tabac, l'alcool, les pieds bandés des femmes, l'abandon des petites filles et les mariages forcés. Ils refusaient toute ségrégation des sexes et décidèrent le mariage obligatoire par tirage au sort des célibataires de quinze à quarante-neuf ans. Leur chef, Hong Xiuquan (39)  abolit la notion de propriété privée et distribue vêtements et nourriture aux plus pauvres. Si les nations étrangères occupantes de l’époque observèrent tout d’abord une certaine neutralité à son encontre, elles finirent par se retourner contre lui en voyant le danger que représentait ce personnage devenu bien trop populaire auprès des Chinois. Il est mort lors du siège de Nankin par les troupes impériales, la famine qui régnait à l’intérieur de la ville l’ayant poussé à manger des herbes mortelles. Il se disait le deuxième fils de Jéhovah et le jeune frère de Jésus tout en se proclamant «Roi céleste» comme les «quatre gardiens du monde» du bouddhisme chinois. Par la suite, les communistes reconnaîtront en Hong Xiuquan l’homme qui leur ouvrit la voie vers la révolution qui allait suivre et l’idéologie communiste. À l'inverse des Taiping, les Boxers (Poings de la justice et de la concorde), société secrète pratiquant le Kung Fu, refusèrent toute influence occidentale. Leur révolte dura de novembre 1897 jusqu'au 7 septembre 1901, date de la signature du traité de paix mettant fin au conflit. Ils massacrèrent les missions étrangères, les chinois convertis, mirent à sac les églises catholiques, puis firent le siège des ambassades. Ils furent vaincus par un corps expéditionnaire international (Empire du Japon, Empire allemand, Autriche-Hongrie, États-Unis, France, Royaume d'Italie, Royaume-Uni, Empire de Russie). Le gouvernement impérial, qui avait d'abord encouragé ce mouvement xénophobe, fut affaibli par la victoire des armées étrangères. Le traité de paix, signé à Pékin, comportaient comme principales clauses :
-Le paiement d'une indemnité de 67,5 millions de livres sterling pendant 39 ans,
-Deux «missions de repentance» l'une envers l'Allemagne, à cause du meurtre du baron Von Ketteler, et l'autre envers le Japon, à cause du meurtre du ministre Sugiyama,
-L'exécution ou le bannissement d'un certain nombre de «responsables» chinois, -L'interdiction d'importer des armes, la destruction des forts de Taku,
-L'expansion des légations, et l'occupation militaire d'un certain nombre de zones.

Les Boxers peuvent être considérés, idéologiquement, comme une résurgence du Lotus blanc et comme la quintessence d'un nationalisme chinois ombrageux et orgueilleux.

Le Fa Lun Gong (Roue de la Loi) (40) ) est aussi une sorte de syncrétisme patriotique mêlant habilement bouddhisme et taoïsme. Depuis 1999, concurrençant le Parti communiste chinois (PCC) comme organisation sociale, il fait l'objet d'une répression : arrestations et emprisonnements accompagnés de torture. Si elle est tant redoutée par le gouvernement, c'est pour des motifs historiques : depuis deux mille ans, le retour périodique des révoltes mystiques annonce des changements politiques majeurs. La transformation perverse d'une mystique de groupe (société secrète) en crime organisé (triade) est difficilement compréhensible. Pourtant, la plus ancienne triade connue fut bien celle des Sourcils rouges. De même, la triade des Trois Harmonies joua un rôle important dans le renversement de la dynastie mandchoue des Qing (1912). Et les «Triades» criminelles d'aujourd'hui sont de lointaines et indignes descendantes des confréries religieuses d'autrefois.

Clovis
Un barbare orthodoxe
Les «religions du Livre» doivent beaucoup aux illettrés. De Mahomet à Clovis (41), nombreux furent-ils à combattre pour la foi sans savoir lire.

Clovis était un roi franc et germain puisque les Francs sont des Germains. Il était aussi païen et adorait notamment Wotan (Odin), le dieu borgne de la guerre et de la victoire. Mais à la bataille de Tolbiac, près de Cologne (vers 496 après J.-C.), Clovis était proche de la défaite face aux Alamans (42) quand il appela au secours Jésus-Christ, le dieu de son épouse, la future sainte Clotilde (43). Le sort des armes lui fut favorable et, comme Constantin à la bataille de Pont-Milvius, Clovis se convertit avec trois mille de ses soldats.

Le baptême de Clovis (vers 496 ou 499) par saint Rémi, évêque de Reims, n'est pas seulement un évènement majeur de l'histoire de France. C'est un tournant décisif de la religion chrétienne face au paganisme et à l'arianisme : c'est le crépuscule des dieux germaniques et de la foi hérétique. La plupart des Germains avaient adhéré au courant de pensée du prêtre égyptien Arius (vers 280-336 après J.-C.), importé par Ulfilas («petit Loup»), évêque goth de Cappadoce. La conversation de Clovis au christianisme «orthodoxe» alors minoritaire en Europe, provoqua l'effondrement de l'arianisme et rétablit, pour quatre siècles (jusqu'au schisme de Byzance en 1054), l'unité de l'Église.

Bientôt, les peuples barbares influencés par la décision de Clovis, rejoignirent la foi de Nicée :
-Les Burgondes (516) : peuple germanique du rameau ostique. Probablement originaires de Norvège, ou de l'île de Bornholm (Burgundarholm), île aujourd’hui danoise située dans la mer Baltique,
-Les Suèves (vers 560) : se sédentarisent au début du Ve siècle dans la région correspondant à l'actuelle Galice et au nord du Portugal. Le royaume suève prend Bracara Augusta (Braga) comme capitale et existe de 410 à 584, année de son effondrement devant l'armée du royaume wisigoth dirigée par le roi Léovigild,
-Les Wisigoths (589) : le royaume wisigoth exista de 419 à 711 à la suite des Grandes invasions pour persister durant le Haut Moyen-Âge. Il eut d'abord Toulouse comme capitale (il englobait la partie de la France actuelle située entre la Loire et les Pyrénées). Lorsque Clovis Ier battit les Wisigoths à la bataille de Vouillé en 507, ces derniers ne conservent que la Septimanie (correspondant au Languedoc) et une partie de la Provence avec l'aide des Ostrogoths. Après la perte de Toulouse, les Wisigoths installèrent leur capitale à Tolède. En 575 ils conquièrent le royaume des Suèves (situé dans le nord du Portugal et la Galice). Récarède Ier, dit « le Catholique» unifia le royaume sous l'égide de l'Église catholique, officialisée au IIIe concile de Tolède en 589. En 711, le royaume est conquis par les musulmans.

Le dogme est une cuirasse et le doute une fêlure. Clovis rejoignit la «vraie» foi après avoir éliminé tous ses rivaux politiques, signant l'alliance du trône et de l'autel.

À la fin du XIXe siècle, la patrie de Clovis était alors le premier pays catholique du monde. Elle n'est plus, en nombre de baptisés, que le sixième, derrière le Brésil, le Mexique, les Philippines, les États-Unis et l'Italie.

Constantin
Une seule foi pour un seul roi
C'est probablement le premier empereur chrétien de l'Histoire. Il convertit l'Empire romain au christianisme, fit exécuter sa femme Fausta (44) et son fils Crispus (45) en 326, puis reçut le baptême sur son lit de mort, d'un évêque hérétique (Eusèbe de Nicomédie). Ayant poussé tous ses rivaux au suicide, l'astucieux monarque rendit son âme au Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte (337 après J.-C.), à Ancyrona, dans les faubourgs de Nicomédie (aujourd'hui Izmir).

En 313, Constantin fit publier l'édit de Milan (46) accordant la liberté de culte aux chrétiens d'État. Il reprenait ainsi (peut-être sans le savoir) la politique d'ouverture prudente au bouddhisme de l'empereur indien Ashoka (IIIe siècle avant J.-C.). Il est donc inexact de parler de l'Église constantinienne comme d'une institution officielle. Le christianisme d'État ne date que de l'empereur Théodose (379-395).

Constantin était jacobin avant l'heure. Il centralisa l'Empire et tenta d'unifier le culte : une seule foi pour une seule loi. Il prôna l'unité du christianisme et convoqua les évêques au concile de Nicée (325). Celui-ci proclama que le Père et le Fils étaient de nature identique (homoousios) et pas seulement de nature semblable (homoïousios) comme l'affirmaient les disciples d'Arius, prêtre d'Alexandrie, qui niaient la nature pleinement divine du Christ. Telle est l'histoire de ce concile de Nicée, ville d'Asie mineure dont le nom (comme celui de Nice) signifie «victoire».

Pendants ces temps troubles, Hélène (47), mère de Constantin, voulut expier les fautes de son fils. Elle partit en pèlerinage vers la Terre sainte (325) où on lui attribue l'«invention» (découverte) de la vraie croix du Christ et la construction de basiliques à Bethléem et au Saint-Sépulcre. Sept siècles plus tard, des chrétiens voulurent restaurer ses œuvres au prix de cruelles batailles : les Croisades.

Si Constantin semble trop cruel pour être le premier empereur chrétien, on peut lui substituer un autre monarque. Philippe l'Arabe (48), un Syrien, se serait converti secrètement selon certaines sources. Le «très doux empereur Philippe», selon la formule de saint Denys d'Alexandrie (persécuté), accéda au trône en faisant assassiner son prédécesseur (d'autres versions ont vu récemment le jour, tendant à penser que Gordien III est mort au combat ou de maladie), Gordien III dit le pieu (49). C'est le triomphe de l'État sur la pitié de Dieu.

Crimée
Une clé des Lieux saints
Un conflit profane pour des Lieux saints, tel est le bilan de la guerre de Crimée (50) , qui opposa, de 1853 à 1856, la Russie orthodoxe à la France catholique, à l'Angleterre protestante et à la Turquie musulmane. En ce temps-là, chaque grande puissance voulait protéger «ses» chrétiens et «ses» Lieux saints. La Russie avait donc demandé au sultan Abdul Medjid (51) de reconnaître le protectorat du tsar, Nicolas Ier (52) sur les orthodoxes de l'Empire ottoman. Devant le refus de la Sublime porte, les Russes occupèrent les principautés de Moldavie et de Valachie (Roumanie) et détruisirent, en 1853, une flotte turque à Sinope, en mer Noire. En tant que suzerain de ces principautés chrétiennes, mais vassales de l'Empire ottoman, le sultan ottoman déclare alors la guerre à la Russie le 4 octobre.

Les sultans avaient pourtant beaucoup donné à la Sainte Russie :

-1774 : traité de Kaïnardji : droit de «protéger» les orthodoxes de rite grec se rendant en pèlerinage à Jérusalem,
-1812-1816-1829 : droit de garde du Saint-Sépulcre à Jérusalem, les clés de l'église de la Nativité à Bethléem.

Ces concessions mécontentèrent la France qui, depuis 1740, disposait d'un droit de protection sur les catholiques latins de l'Empire ottoman comme sur les lieux de pèlerinage confiés à des religieux catholiques et orthodoxes. Le Vendredi saint 10 avril 1846, une querelle entre les deux communautés religieuses fait plus de 40 morts au Saint-Sépulcre à Jérusalem. En 1850, le prince-président Louis-Napoléon (Napoléon III), souhaitant flatter l'opinion catholique française, demanda au sultan de faire respecter le droit des catholiques latin contre les abus du clergé grec orthodoxe. En 1852, il obtint un décret redonnant aux Latins trois clés de l'église de Bethléem ainsi que le droit de dire la messe près du «Tombeau de la Vierge». Les Russes protestèrent, obtinrent deux des trois clés et le droit de dire leur messe avant celle des Latins.

La France défendait les églises et l'Angleterre défendait les détroits, car Nicolas Ier avait pour but de s’emparer des détroits (Bosphore, mer de Marmara, Dardanelles) pour obtenir un débouché sur la Méditerranée. Pour les Britanniques, il s’agit de protéger la route des Indes par le Proche-Orient en empêchant le tsar de prendre pied dans les détroits et sa flotte de faire irruption en Méditerranée orientale. Elles firent donc alliance au nom de la liberté du commerce et de la religion puis se coalisèrent avec la Turquie, rivale traditionnelle de la Russie dans la «question d'Orient». La guerre de Crimée commençait.

Cette guerre est caractérisée par la grande inertie, voire l'improvisation des généraux français et britanniques. La plupart nommés pour des raisons politiques plus que pour leurs compétences ou expériences de la guerre. Cela n'empêchera pas les soldats français et britanniques de faire preuve de courage dans ce conflit. Cette guerre est aussi marquée par le nombre élevé de pertes chez les alliés à cause du choléra et autres maladies, des mauvaises conditions sanitaires et des problèmes d'approvisionnement. En fait, plus de soldats meurent de faim et de maladie qu'à cause des combats. La guerre montre aussi l'efficacité des troupes turques sous commandement du général Omer Pacha (53) qui furent grandement sous-estimées, notamment par Nicolas Ier. Elle s'acheva par la prise de Sébastopol (54) grâce à l'assaut lancé contre la tour Malakoff (55) le 8 septembre 1855, en la fête de la Nativité de la Vierge.

En mars 1856, le congrès de Paris marqua la fin de la guerre dont le grand vainqueur fut le choléra qui tua les trois quarts des cent mille soldats français décédés. La France amorça un rapprochement avec le nouveau tsar Alexandre II (56). En remerciement de son intervention armée, la Sublime Porte offrit à la France plusieurs beaux bâtiments en Palestine, telles l'église Sainte-Anne à Jérusalem et l'église des Croisés d'Abu Gosh, site supposé des pèlerins d'Emmaüs (Luc, 24, 13-32). C'est ainsi que la République laïque a hérité de nombreux lieux de culte en Terre sainte.

Croisades
Une vierge pour la victoire
En Grèce, la victoire personnifiée s'appelait Athéna Nikè, protectrice d'Athènes. Elle était une vierge (parthénos) vénérée au Parthénon. Son ennemie jurée était Aphrodite, déesse de l'amour. Identifiée à la romaine Minerve, Athéna dut à sa virginité d'inspirer certains aspects du culte de la Vierge Marie. Celle-ci devint aussi la marraine céleste des soldats, et fut vénérée sous le nom de Notre Dame des Victoires. L'église parisienne du même nom fut édifiée en 1629 par Louis XIII (57) qui assiégeait les protestants de La Rochelle et prit la ville en ordonnant «une immense offensive d'Ave Maria».

La première Croisade, ordonnée par le pape Urbain II (58) et confirmé par le concile de Clermont, partit, le 15 août 1095, de la ville du Puy-en-Velay dédiée à la Vierge. Cet ancien sanctuaire druidique, où l'on cherchait la guérison sur la «pierre des Fièvres», possédait une statue de la Vierge en majesté qui, en 1254, fut remplacée par une Vierge noire, peut-être rapportée par Saint Louis de la septième Croisade. En 1429, la mère et les frères de Jeanne d'Arc (59) auraient demandé à la vénérable statue de cèdre la victoire du roi de France sur les anglais. Et, en 1860, un rocher de la ville fut couronné par une immense statue de Notre Dame de France, fondue grâce aux deux cent treize canons pris aux Russes par le général Pélissier à la bataille de Sébastopol.


Le 15 août 1095 était la fête de son Assomption, c'est-à-dire de son élévation glorieuse au ciel, corps et âme. Prédicateur de la première Croisade, Adhémar de Monteil, évêque du Puy de 1077 à 1098, aurait écrit lui-même les paroles du célèbre chant marial Salve Regina, prière en latin, dédiée à la Vierge Marie. Les croisés de Godefroy (60) le chantèrent en entrant dans Jérusalem le 15 juillet 1099 avant d'égorger des milliers de musulmans dans la Ville sainte jusqu'à l'esplanade des Mosquées. Le siège de Jérusalem dura du 7 juin au 15 juillet 1099. Plusieurs tentatives avaient été faites, mais furent toutes repoussées. Trois machines de sièges furent terminées et amenées près des murs dans la nuit du 14 juillet. La tour de Godefroy de Bouillon atteint le premier les murs et, deux flamands de Tournai, des frères du nom de Lethalde (Lethold) et Engelbert furent les premiers à mettre le pied dans la ville, suivi par Godefroy, son frère Eustache (61), Tancrède (62) et leurs hommes. La tour de Raymond fut retardée par un fossé, mais comme les Croisés avaient déjà pénétré dans la ville, les gardes musulmans se rendirent et leur ouvrirent les portes. Une fois les Croisés entrés dans la ville, de nombreux habitants furent tués durant l'après-midi, le soir et le matin suivant. Le comte de Toulouse Raymond assura la population de sa protection. Le bilan varie selon les sources : pour les chrétiens, 10 000 morts, pour les musulmans, 70 000. Tancrède avait demandé le quart du Temple pour lui et accorda sa protection aux habitants et soldats, mais ne put empêcher le massacre de ces derniers par les autres Croisés. Le gouverneur de Jérusalem s'était barricadé dans la Tour de David, qu'il donna à Raymond en échange de la vie sauve pour lui et ses hommes, ils purent se rendre à Ascalon avec la population civile femmes et enfants selon le récit de l'émir d'Ascalon.

«Salut Reine, mère de miséricorde, notre vie, notre douceur et notre espoir... Ô clémente, ô pieuse, ô douce, Vierge Marie». Comment un hymne aussi paisible fut-il le chant du carnage?

Les Croisades eurent certes des causes complexes :
-Religieuses : la délivrance du Tombeau du Christ,
-Politiques : l'unité de l'Occident chrétien,
-Économiques : la protection des routes commerciales.

Elles laissèrent au Proche-Orient d'admirables témoignages architecturaux. Mais ces guerres saintes divisèrent la chrétienté et firent l'unité de l'Islam contre le christianisme. Aujourd'hui, les moines catholiques terminent leur journée en entonnant le Salve Regina. Le temps des moines-soldats est révolu et nombre de ces religieux sont d'authentiques non-violents. Mais c'est sur un ancien chant de guerre que s'endorment ces hommes de paix. " (...).

A suivre...


Notes
1. Ulrich Zwingli, né en 1484 et mort en 1531. Réformateur religieux suisse.
2. Jacquerie qui a enflammé le Saint Empire romain germanique entre 1524 et 1526 dans de larges parties de l’Allemagne du Sud, de la Suisse et de l’Alsace.
3. Jean de Leyde, né en 1509 à Leyde et mort en 1536, torturé, à Münster. Envoyé comme apôtre à Münster par son maître Jan Matthijs, il parvint à convertir la ville à sa foi. Il se proclama «Roi de Sion» en avril 1534.
4. Billy Graham, né le 7 novembre 1918. Théologien et prédicateur protestant.
5. Martin Luther King, né le 15 janvier 1929 et mort le 4 avril 1968, assassiné, à Memphis. Pasteur baptiste afro-américain.
6. Jimmy Carter, né le 1er octobre 1924. 39e Président des États-Unis.
7. Charles Eugène de Foucauld de Pontbriand, né le 15 septembre 1858 et mort le 1er décembre 1916, assassiné, à la porte de son ermitage. Militaire français, béatifié en 2005.
8. Anawrahta, règne de 1044 à 1077. Fondateur du premier royaume birman unifié, avec Pagan pour capitale.
9. Wu Zetian, né en 625 et morte le 16 décembre 705. Unique impératrice de Chine. Régna sous le nom d' «Empereur Shengshen » de 690 à 705.
10. Gaozong, né en 628 et mort en 683. Troisième empereur de la dynastie Tang et régna de 650 à 683.
11. Jehan Cauvin, né le 10 juillet 1509 et mort le 27 mai 1564 à Genève. Homme de lettres, théologien et chef religieux.
12. Miguel Servet, né le 29 septembre 1511 en Aragon et mort le 27 octobre 1553, exécuté, à Genève. Théologien et médecin.
13. La Conjuration des Égaux (1796) est une tentative de renversement du Directoire menée par Gracchus Babeuf avec ses camarades (les Égaux), dans un contexte d'exaspération sociale due à la vie chère.
14. Le Credo de Nicée élaboré au cours du Ier concile en 325, réuni par l'empereur Constantin Ier.
15. Le jaïnisme, ou jinisme, religion ou chemin spirituel qui insiste sur les concepts d'ahimsa (non-violence) et de karma et qui met l'accent sur l'ascétisme.
16. Hérésie chrétienne orientale, probablement d'origine arménienne. Ce mouvement néo-manichéen apparaît en Asie mineure, alors partie de l’Empire byzantin, à la fin du VIIe siècle.
17. Le bogomilisme, mouvement chrétien hétérodoxe né au Xe siècle.
18. L'ordre des Prêcheurs, plus connu sous le nom d’ordre dominicain, est un ordre catholique né sous l’impulsion de saint Dominique en 1215.
19. Raymond VI, né le 27 octobre 1156 à Saint-Gilles et mort le 2 août 1222 à Toulouse.
20. Simon de Montfort (l’Amaury), né entre 1164 et 1175 et mort le 25 juin 1218 à Toulouse. Seigneur de Montfort-L'amaury de 1188 à 1218, comte de Leicester en 1204, vicomte d'Albi, de Béziers et de Carcassonne de 1213 à 1218, comte de Toulouse de 1215 à 1218. Principale figure de la croisade contre les Albigeois.
21. Charlemagne, né le 2 avril, probablement en 742 ou 748 et mort à Aix-la-Chapelle le 28 janvier 814.
22. Léon III, né en 750 à Rome et mort le 6 juin 816, id. Élu pape le 26 décembre 795. 
23. Pépin le Bref, né en 715 et mort le 24 septembre 768 à Saint-Denis. Fils cadet de Charles Martel et de Rotrude, il doit son surnom à sa petite taille. Roi des Francs de 751 à 768.
24. Berthe de Laon dit Berthe aux grands pieds, née vers 720 et morte le 12 juillet 783 à Choisy-le-Bac. Reine des Francs, fille du comte Caribert de Laon. Affligée «probablement » d'un pied-bot, d'où son surnom.
25. Irène, née en 752 à Athènes et morte en 803 sur l'île de Lesbos. Impératrice byzantine de 797 à 802.
26. Ali, né vers 600 à La Mecque et mort en 661, assassiné, à Nadjaf. 1er calife chiite de 656 à 661.
27. Jacques-Bénigne Bossuet, né le 27 septembre 1627 à Dijon et mort le 12 avril 1704 à Paris. Homme d'Église, prédicateur et écrivain.
28.Abou Bakr, né vers 573 à La Mecque et mort en 634 à Médine.
29. Omar, né en 584 à La Mecque et mort le 7 novembre 644, assassiné, à Médine. 2è calife de 634 à 644.
30. Uthman ibn Affan, né en 579 et mort le 17 juin 656, assassiné, à Médine. 3è calife de 644 à 656.
31. Omeyyades, dynastie de califes qui gouverna le monde musulman de 661 à 750.
32. L'une des trois principales branches de l'Islam.
33. Hassan, né en 624 et mort en 670. 2è calife chiite.
34. Hussein, né en 626 et mort en 680, lors de la bataille de Kerbala. 3è calife chiite de 670 à 680.
35. Les Bonnets rouges, appelés Qizilbash en raison de leur bonnet de couleur rouge à 12 plis, symbolisant les 12 imams.
36. Ismail Ier, né le 17 juillet 1487 à Tabriz et mort le 23 mai 1524 en Azerbaïdjan. Fondateur de la dynastie des Séfévides qui régna sur l'Iran entre 1501 et 1736.
37. Chimei, ainsi nommés car ils se peignaient le visage pour se donner l'apparence de démons.
38. Georges Prosper Rémi dit Hergé, né le 22 mai 1907 à Etterbeek et mort le 3 mars 1983 à Woluwe-Saint-Lambert, Belgique. Auteur de bande dessinée francophone, principalement connu pour Les Aventures de Tintin.
39. Hong Xiuquan, né en 1812 et mort le 1er juin 1864.
40. Le Fa Lun Gong, fondé par Li Hongzhi en 1992, ce qigong particulier comptait en 1999 environ 70 millions de pratiquants.
41. Clovis Ier, né vers 466 et mort le 27 novembre 511 à Paris. Roi des Francs saliens, puis roi de tous les Francs de 481 à 511.
42. Ensemble de tribus germaniques établies d'abord sur le cours moyen et inférieur de l'Elbe puis le long du Main.
43. Clotilde, née vers 475 et morte le 3 juin 544. Deuxième épouse de Clovis.
44. Fausta Flavia Maxima. Deuxième épouse de Constantin.
45. Crispus Flavius Julius. Fils aîné de l'Empereur Constantin et de Minervina.
46. Édit de tolérance par lequel chacun peut «adorer à sa manière la divinité qui se trouve dans le ciel», accordant la liberté de culte à toutes les religions et permettant aux chrétiens de ne plus devoir vénérer l'Empereur comme un dieu.
47. Sainte Hélène, née entre 247 et 250 et morte entre 329 et 330. Impératrice romaine, épouse de Constance Chlore.
48. Philippe l'Arabe, né vers 204 et mort en 249, à la bataille de Vérone. Empereur romain de 244 à 249.
49. Gordien III dit le "pieux", né vers 224 et mort en 244. Empereur romain de 238 à 244.
50. Presqu'île située au Sud de l'Ukraine, plongeant dans la mer Noire.
51. Abdul Medjid, né le 23 avril 1823 et mort le 25 juin 1861. Sultan ottoman de 1839 à sa mort.
52. Nicolas Ier, né le 6 juillet 1796 et mort le 2 mars 1855. Empereur de Russie.
53. Omer Pacha Latas, d'origine serbe, né en 1806 et mort en 1871. Général ottoman.
54. Port sur la mer Noire. Le siège de Sébastopol, pénible et meurtrier, dura onze mois, du 9 octobre 1854 au 8 septembre 1855. Le choléra, le scorbut et les maladies multiples sévirent et firent beaucoup de morts.
55. La tour fut érigée au sommet d'une colline face aux remparts pour défendre la ville. On lui donna le nom d'un ancien capitaine russe dont le souvenir restait attaché au lieu, Vladimir Malakhov.
56. Alexandre II, dit le "libérateur", né le 29 avril 1818 à Moscou et mort le 13 mars 1881 à Saint-Pétersbourg.
57. Louis XIII, dit le "Juste", né le 27 septembre 1601 à Fontainebleau et mort le 14 mai 1643 à Saint-Germain-en-Laye. Roi de France et de Navarre (1610-1643). L'image de ce roi est inséparable de celle de son principal ministre, le cardinal de Richelieu.
58. Eudes de Châtillon ou Odon de Lagery, né en 1042 à Chatillon-sur-Marne ou à Lagery et mort le 29 juillet 1099 à Rome. 157e pape de 1088 à 1099.
59. Jeanne d'Arc, née en 1408 ou 1412 et morte le 30 mai 1431. Mène victorieusement les troupes françaises contre les armées anglaises, levant le siège d'Orléans, conduisant le dauphin Charles (Charles VII) au sacre à Reims.
60. Godefroy de Bouillon, né vers 1058 et mort le 18 juillet 1100 à Jérusalem. Chevalier franc et premier souverain chrétien de Jérusalem. Refusa le titre de roi pour celui, plus humble, d'Avoué du Saint-Sépulcre.
61. Eustache III de Boulogne, né avant 1060 et mort peu après 1125 à Rumilly. Comte de Boulogne de 1088 à 1125. Moine à Rumilly.
62. Tancrède de Hauteville, né entre 1070 ou 1072 et mort le 5 décembre 1112. Chevalier normand d'Italie méridionale.

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