"Petit Lexique des guerres de religion d'hier et d'aujourd'hui" / 3

16/08/2017
Extraits de l'ouvrage d'Odon Vallet*, intitulé: "Petit Lexique des guerres de religion d'hier et d'aujourd'hui", Albin Michel, 2004.
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* Odon Pierre Maurice Marie Vallet, né le 3 septembre 1947 à Paris 8e, est un spécialiste français des religions.



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Évangile

La violence du Verbe 
L'Évangile est-il non violent? Comment les chrétiens ont-ils pu lancer des guerres saintes au nom du «doux Jésus»? Ces questions exigent de distinguer les actes des paroles et la brutalité physique de la contrainte spirituelle. Car la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ n'est ni pacifiste ni belliqueuse.

En actes, Jésus semble non violent car il est l'agneau immolé, celui dont le sang versé sauve les humains et épargne les animaux puisque désormais les péchés du monde sont rachetés et les sacrifices du Temple (de Jérusalem) inutiles. Parce que sa royauté est spirituelle et non temporelle, le Christ n'a pas de soldats :
«Si ma royauté était de ce monde, mes gardes auraient combattu...», dit Jésus à Pilate (1).

Le Christ a refusé de prendre les armes «car tous ceux qui prennent l'épée périront par l'épée» (Matthieu, 26, 53). Ce mystère du Calvaire, scandale de la Croix, naît de l'amour des ennemis : «À qui te frappe sur une joue présente encore l'autre» (Luc, 6, 29). Jésus aime la vie à en mourir. «Il vaut mieux perdre la Vie que les raisons de vivre» écrivait le 5 février 1943 le résistant Robert Beck (2) qui fut fusillé après avoir dessiné de son sang une faucille et un marteau sur le mur de sa cellule. C'est l'histoire de la Passion.

Mais la passion peut aussi exprimer la colère et l'épisode des marchands du Temple n'est pas non violent. Selon Matthieu et Marc, Jésus renverse les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes, et, d'après Jean (2, 15), «s'étant fait un fouet, il les chassa tous du Temple, et les brebis et les bœufs».

La violence de Jésus est surtout verbale :
 -«engeance de vipères» (Luc, 3, 7), dit Jésus aux foules,
ne faites pas de violence» (Luc, 3, 14) commande-t-il aux soldats.

La parabole du riche et de Lazare (3) fait du monde à venir un univers impitoyable où l'on «souffre le supplice dans les flammes de l'enfer» (Luc, 16, 24).
Sodome sera traitée avec moins de rigueur» (Luc, 10, 12) que la ville refusant l'annonce de la Parole.
Jérusalem sera écrasée avec ses enfants» (Luc, 19, 43).
les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu» (Matthieu, 21, 31).

Apocalyptique et blasphématoire, cette violence verbale est parfois difficile à interpréter et à actualiser. À qui correspondraient aujourd'hui les grands prêtres, anciens du peuple, scribes et autres pharisiens? Dans une société qui ne séparait pas le moral du légal, le religieux du profane, le théologique du politique, les rôles n'étaient pas définis selon nos critères modernes. Les malédictions du Christ semblent viser tous les détenteurs de richesses et de pouvoirs et leur répétition transforme ces paroles brutales en propos nihilistes. Un seul évangile ne contient pas un mot violent, celui de Jean. «Le disciple que Jésus aimait» (Jean, 13, 23; 19, 26; 20, 2) ignorait-il la haine?

Mais l'évangile de Jean fait du Verbe un commencement et un aboutissement. Sans une identité entre les mots et les actes, il n'y aurait pas de Verbe incarné. Jean est donc amené à refouler ou à censurer la dureté du discours de Jésus. Car le message évangélique exprime, sinon de la violence, du moins de la véhémence.


Exil
De Jérusalem à Babylone
«Babylone tombe, tombe, tombe, Babylone tombe et c'est pour toujours». Le célèbre negro-spiritual fait de la capitale mésopotamienne une ville maudite, symbole de l'oppression antique des Juifs de Jérusalem et de l'esclavage moderne des Noirs d'Amérique.

Pourquoi tant de haine pour haine? Parce que cette cité symbolise l'une des deux extrémités du Croissant fertile : la vallée du Tigre et de l'Euphrate. Sa fertilité en fit un puissant et redoutable empire comme l'autre extrémité, celle de la vallée du Nil, berceau de l'empire égyptien. Toute la stratégie d'Israël, dans l'Antiquité comme à l'époque moderne, est dominée par la présence de ces deux puissances, l'une au nord et l'autre au sud, qu'il ne faut jamais affronter simultanément, l'une pouvant servir d'allié contre l'autre.

En 589 avant J.-C., le roi de Juda, Sédécias fit alliance avec le pharaon Apriès, lui-même allié aux Phéniciens, et refusa de payer le tribut au roi de Babylone, Nabuchodonosor (4). C'était le mauvais choix : Jérusalem fut prise le 29 juillet 587. La ville fut détruite, une partie de ses habitants fut déportée sur les rives de l'Euphrate et le roi Sédécias et sa famille furent exécutés peu de temps après.

«Par peur des Chaldéens» (II Rois, 25, 26), certains Judéens ou Juifs (la confusion des deux noms date de cette époque) choisirent l'exode en Égypte (un exode en sens inverse de celui de Moïse) et cherchèrent refuge au pays du pharaon malgré les mises en garde du prophète Jérémie (chapitre 42) qui leur promettait l'épée, la famine et la peste. Ces Juifs devenus mercenaires du pharaon, fondèrent des colonies, notamment près d'Assouan.

L' Euphrate sourit moins aux Juifs que le Nil. L'exil à Babylone fut un temps de nostalgie de la liberté perdue :

«Près des canaux de Babylone 
Nous étions assis, en larmes...
Si je t'oublie Jérusalem
Que disparaisse ma main droite
» (Psaume 136).

Les Juifs privés de Temple se rassemblèrent dans les salles de prières ou synagogues. Ils évoquèrent le bonheur (exagéré) d'antan, reformulèrent leur foi et leur loi pour préserver leur identité : les coutumes de la circoncision et de la nourriture casher devinrent des obligations. L'usage se mua en règle. Certains principes (loi du talion) ou certaines peines (amputation, lapidation) de la Thora juive (voire, plus tard, de la charia musulmane) doivent d'ailleurs beaucoup au droit babylonien ou assyrien. La Torah vient de l'Exil plus que de l'Exode.

Cet Exil fut une défaite politique et une victoire religieuse. Certains Juifs perdirent pour cinquante ans leur liberté mais tous y gagnèrent une identité qui n'a pas faibli depuis deux mille cinq cents ans. Cette identité fut paradoxalement renforcée par une certaine dose de métissage culturel : le sabbat et la semaine sont issus du calendrier mésopotamien où le septième jour, néfaste, invitait à ne rien faire. Les grands récits bibliques de la Création et du Déluge s'inspirent de la littérature mésopotamienne.

En 538 avant J.-C., le roi perse Cyrus (règne entre 550 et 530), vainqueur de Nabuchodonosor, autorisa les Juifs à rentrée en Judée et à «bâtir la Maison du Seigneur, le Dieu d'Israël» (Esdras, 1, 3), c'est-à-dire à reconstruire un petit Temple à Jérusalem.

Certains Juifs demeurèrent en Mésopotamie où ils rédigèrent, mille ans plus tard, le Talmud de Babylone. Cet ensemble de commentaires sur la loi orale (Michnah) devint une source des enseignements rabbiniques au même tire que le Talmud de Jérusalem (rédigé en vérité, sur les rives du lac de Tibériade).

La Babylone fut donc, pour le judaïsme, un lieu de déportation et de refondation. C'est au pays de la tour de Babel que les Juifs firent leur unité religieuse. L'adversaire babylonien donna au judaïsme son caractère irréductible, sur cette terre mésopotamienne qui, d'après la Bible, avait vu naître Abraham.


Exode
Expulsion ou évasion?
L'Exode est au judaïsme ce qu'est l'Hégire (5): le départ d'une nouvelle ère, le début d'une nouvelle foi. Moïse quitta l'Égypte pour Canaan. En mémoire de l'Exode, les Juifs donnèrent, en 1947, le nom d'Exodus au bateau qui amenait en Israël des survivants du nazisme. Mais le pharaon était-il un führer et les «esclaves» hébreux des déportés juifs?

La confusion entre l'Antiquité et l'actualité est d'autant plus dangereuse que l Exode ne nous est connu que par la Bible : les textes égyptiens ne disent rien de cet épisode historique ou légendaire. La traversée de la mer rouge (ou de la «Mer des Joncs») par les Hébreux (Exode 14) n'est attestée par aucune source égyptienne. Nul ne sait où et quand Dieu jeta à la mer «cheval et cavalier».

Le catéchisme officiel de l'Église en France (Pierres vivantes) s'ouvrait naguère par le livre sur l Exode précédant les récits de la Création du livre de la Genèse. Les auteurs avaient ainsi voulu faire de l'Exode l'évènement fondateur du judéo-christianisme. Mais une deuxième édition revint à l'ordre traditionnel des livres bibliques tant il est hasardeux de donner à cet épisode une signification si définitive.

Les exégètes qui faisaient naguère débuter les temps historiques de la Bible à l'époque d'Abraham (XVIIIe siècle avant J.-C.) ne sont plus très sûrs qu'ils commencent à Moïse. Pas plus que la guerre de Troie ne corresponde véritablement aux poèmes d'Homère, l'Exode d'Égypte n'est contenu historiquement dans les récits de Moïse (eux-mêmes émiettés dans les livres de l Exode, du Lévitique, des Nombres et du Deutéronome). Et comme Homère l'aveugle, Moïse sauvé des eaux n'a peut-être jamais existé ou, du moins, son existence ne peut être certifiée ni précisée par les textes parvenus jusqu'à nous. Moïse est plus un héros qu'un humain, un personnage plus qu'une une personne.

L' Exode fut-il une expulsion ou une évasion? Les Hébreux furent-ils des immigrés mal intégrés, chassés d'Égypte par le pharaon, ou des travailleurs maltraités ayant choisi de partir? La Bible a interprété ce départ comme une libération. Moïse entend ces paroles : «C'est moi le Seigneur, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison des servitudes» (Exode, 20, 2). Mais l'évasion autorise-t-elle l'invasion? Pour avoir été esclaves en Égypte, les Hébreux devaient-ils s'approprier la terre des Cananéens? Et pour avoir été persécutés en Europe, les Juifs du XXe siècle devaient-ils s'installer sur la terre des Palestiniens?

L'Exode fut-il un départ précipité ou une migration progressive? La première hypothèse correspond au récit biblique fondateur de la Pâque, du «passage» (Pessah) vers la Terre promise. Mais la deuxième hypothèse serait plus conforme aux conditions de vie des tribus semi-nomades, en butte à l'hostilité des populations sédentaires et en quête de nouvelles terres de pâturage. Comme les Bédouins, les Hébreux auraient dû adapter sans cesse leur existence aux aléas démographiques et géographiques.

L'exégèse traditionnelle situait l'Exode vers 1450 avant J.-C. Sous le règne du pharaon Aménophis II (6), environ un siècle avant la réforme monothéiste d'Akhenaton (7) qui aurait donc peut être influencé par Moïse : Yahvé (8) serait bien le premier dieu unique de la planète.

La «nouvelle archéologie» israélienne, rejoignant les doutes des égyptologues, tend même à considérer l'Exode comme une sorte d'archétype de l Exil : sous l'oppression babylonienne, les Juifs se seraient reconstruit un passé mythique dans lequel les esclaves de la vallée du Nil préfiguraient les déportés des rives du Tigre. L'Exode serait plus symbolique qu'historique.

Les épisodes guerriers suivant l'Exode soulèvent bien des difficultés historiques. La célèbre bataille de Jéricho (9) n'a pu se dérouler à l'époque indiqué par la Bible (en 1473 avant J.-C.). Mais le récit de cette bataille contient un épisode pittoresque (Josué, 6, 17) : Rahab, la prostituée, abrite les soldats de Dieu infiltrés dans la ville et obtient la vie sauve. La généalogie de saint Matthieu (1, 5) fait de cette péripatéticienne l'ancêtre de Jésus-Christ et du repos du guerrier l'aube du salut.

Eut avoir le plus grand respect pour la Bible sans pour autant en apprécier ses récits d'extermination d'Égyptiens, ou de Cananéens. Tous les premiers-nés d'Égypte furent tués par Yahvé (Exode, 11, 6) comme les premiers-nés de Judée le seront par Hérode (Matthieu, 2, 16). Et par une curieuse inversion de l'Histoire (ou de la légende), la Sainte famille (10)  trouva refuge en Égypte.



Guerre des Juifs
Un peuple contre César
Peut-on imposer la civilisation occidentale par la force? Telle est la question soulevée par la guerre des Juifs (66-135 après J.-C.), suite de la révolte des Maccabés (167-142 avant J.-C.). Les Romains avaient pris le relais des Grecs en Palestine et la puissance occupante imposait une culture dominante tout en ménageant les usages locaux. Comme la colonisation française en Algérie (1830-1862) maintenait un statut indigène pour les musulmans, la colonisation romano-byzantine (66 avant J.-C.-636 après J.-C.) toléra (plus ou moins selon les périodes) les coutumes juives, l'application de la Torah et la juridiction du Sanhédrin (11).

Deux lois pour un seul homme : tel est le dilemme du croyant dans un pays «impie» qui ne peut respecter une législation sans en violer une autre : torah ou charia d'un côté, lex romana ou common law de l'autre, il faut choisir, que l'on soit zélote (12) au temps de la guerre des Juifs ou islamiste dans une société anglo-saxonne.

Jésus tenta d'éviter le conflit en disant de rendre à César ce qui est à César et, notamment, l'impôt. Il prit quelques libertés avec la loi juive en guérissant les jours de sabbat mais ne plia pas devant la loi romaine en refusant de répondre aux questions de Pilate. Il donna en modèle aux Juifs la foi d'un centurion mais son précurseur, Jean-Baptiste (13), enjoignit aux soldats romains de se contenter de leur (faible) solde et, donc, de ne pas rançonner les Juifs. Ces tentatives de conciliation échouèrent doublement puisque Jésus fut jugé et condamné à la fois par la juridiction romaine de Pilate et la juridiction juive du Sanhédrin.

Cet échec était probablement inévitable tant étaient inconciliables la pax Christi et la pax romana. La première se nourrissait d'amour du prochain, de préférence pour les pauvres. La seconde vivait de la supériorité militaire et de la colonisation économique. Peut-on aimer la loi du vainqueur et la richesse de l'occupant?

L'occupation romaine suscita une guérilla sporadique où petits prophètes et chefs de bande promirent la Jérusalem céleste aux martyrs et la Jérusalem terrestre aux Juifs survivants. Les disciples du prophète Jésus eurent à affronter les bêtes fauves sur le chemin du paradis. Et l'Apocalypse de saint Jean (14) décrit les fléaux de la «grande prostituée» : c'est le surnom de Rome, métropole de la civilisation antique.

Cette Apocalypse des premiers chrétiens trouve aussi son écho chez leurs lointains successeurs que sont les fondamentalistes protestants alliés à certains juifs intégristes : ils voient dans la lutte actuelle contre l'islamisme radical une nouvelle bataille finale, celle d'Armageddon (15), petit mont situé près de Meguiddo, dans le nord d'Israël.

Pendant que l'Apocalypse s'abattait sur les premières communautés chrétiennes, les Juifs voyaient la destruction de Jérusalem. En 66 après J.-C., un jour de sabbat, à Césarée, un homme sacrifia des oiseaux à l’entrée de la synagogue, ce qui provoqua la colère des Juifs. Il s’ensuivit des batailles de rue entre Juifs et païens. Une délégation de Juifs se rendit à Sébaste auprès du procurateur Gessius Florus, qui fit la sourde oreille. Les troubles atteignirent Jérusalem. Le procureur romain choisit ce moment pour prélever 17 talents dans le trésor du Temple : le peuple indigné se révolta malgré les conseils de prudence des notables. Après quelques hésitations, Vespasien (16) et son fils le général Titus (17) choisirent la répression qui fit des dizaines de milliers de morts. La ville fut partiellement détruite et le Temple, bâti par Hérode moins d'un siècle plus tôt, entièrement incendié en août 70.

Cette guerre des Juifs eut donc pour effet indirect de renforcer le rôle des rabbins (maîtres de prière) et des synagogues (indépendantes du Temple) et de remplacer l'holocauste des bêtes par le sacrifice intérieur.

Mais des zélotes poursuivirent encore trois ans la rébellion contre la Xe légion romaine et s'enfermèrent dans la citadelle de Massada (au-dessus de la mer Morte), ancienne résidence d'Hérode. Ils préférèrent se suicider plutôt que de se rendre et leur héroïsme est devenu un symbole du courage au même titre que la résistance du ghetto de Varsovie (18). Aujourd'hui encore, les officiers de l'armée israélienne prêtent serment dans cette forteresse, jurant que Massada ne tombera pas une deuxième fois. Et de nombreux jeunes célèbrent leur bar ou bat mitzva en ce lieu de mémoire.

D'autres révoltes juives affectèrent l'Empire romain, de l'Égypte à la Cyrénaïque et de Chypre à la Mésopotamie. La Judée se souleva à nouveau à l'époque (129 ou 130 après J.-C.) où l'empereur Hadrien (19) interdisait la castration (pratiquée par les prêtres de certains cultes comme celui d'Artémis à Éphèse), abusivement confondue avec la circoncision. La répression fut terrible et transforma cette deuxième guerre des Juifs en une nouvelle extermination. Cette persécution du IIe siècle obligea les Juifs à s'exiler (rebaptisée Aelia Capitolina, Jérusalem fut pour eux ville interdite) et le judaïsme ne survécut que grâce à sa diaspora. L'empereur Antonin le Pieux (20) leva l'interdiction de la circoncision et les communautés juives de l'Empire disposèrent, sinon d'une totale liberté, du moins d'une relative tolérance religieuse tout en rêvant parfois d'un retour à la Terre sainte, «l'année prochaine à Jérusalem».

Hindouisme
Prêtres et guerriers
Avec le trident de Shiva, la massue de Vishnou, le sabre de Durgâ et de Kali, le poignard d' Hanuman et l'arc de Râma, les dieux hindous ne manquent pas d'armes. L'hindouisme serait-il donc une religion violente fondée par une caste de guerriers (kshatriya)?

La massue de Vishnou est celle d'une force de l'ordre (comme la matraque d'un policier) qui conserve la société mais rénove le genre humain (il est un dieu protecteur, conservateur et réformateur par l'action de ses avatars). Le trident de Shiva est une arme de destruction du mal comme son phallus (linga) une arme de création du bien. Le poignard d' Hanuman aide à vaincre le démon (Râvana) avec le concours de l'armée des singes et de l'arc de Râma, le modèle de bravoure.

Quant à Durgâ et Kali, elles sont les parèdres (assis près de.) de Shiva, les énergies féminines d'un dieu ityphallique (sexe en érection), et leurs armes concourent par la magie à l'équilibre des sexes en une époque où les métiers militaires n'était pas ouvert aux femmes.

Le «deuxième sexe» doit défendre les femmes et les enfants grâce aux guerriers (kshatriya) qui sont gestionnaires en temps de paix et militaires en temps de guerre, sortes d'administrateurs civils, officiers de réserve. Ils forment la deuxième caste (varna, c'est-à-dire «Couleur») issue des cuisses du dieu Brahma alors que les brahmanes (prêtres), sortis de sa tête, forment la première.

Les réformes du Bouddha et du Jina auraient constitué une sorte de reprise du pouvoir des guerriers contre les prêtres mais ceux-ci auraient contre-attaqué en rénovant le vieux védisme pour en faire l'hindouisme qui a presque éliminé (depuis le XIIIe siècle après J.-C.) le bouddhisme du sol indien.

Les grands récits fondateurs de l'hindouisme, tels le Râmâyana et le Mahâbhârata, furent sinon composés du moins remaniés pour combattre le bouddhisme non violent et «asocial» (c'est-à-dire négligent les castes). Le Râmâyana (21) est la recherche de l'âme sœur (Râma aime Sîtâ); la quête de l'union entre l'âme individuelle (âtman), représentée par Sîtâ, avec l'âme universelle (brahman), représentée par Râma. Le Mahâbhârata (22) ) est la «Grande (mâhâ) épopée (bharata)» dont le nom même a fini par désigner l'Inde, terre de conflits aux origines mal connues.

Le vrai danger est de confondre hindouisme et indianité et d'interdire, selon les vœux des extrémistes hindous, l'exercice des autres religions sur le sol indien. Cette intolérance est probablement née d'une longue suite d'invasions car l'histoire indienne est une succession de désastres militaires :
-vers 550 avant J.-C. : invasion des Perses.
-vers 330 avant J.-C. : invasion d'Alexandre le Grand.
-vers 80 avant J.-C. : invasion des Scythes.
-à partir de 712 après J.-C. : invasion des Arabes.
-à partir de 1192 : invasion des Turcs et des Afghans.
-à partir de 1526 : invasion des Moghols.
-au XVIe siècle : invasion des Portugais.
-au XVIIe siècle : invasion des Anglais et des Français.

Cette faiblesse militaire engendra un durcissement religieux et à la fragmentation stratégique en une multitude de royaumes répondit une unification théologique en une foi dominante.

Face aux destructions de milliers de temples hindous par les régimes musulmans, le pays s'est reconstruit idéologiquement en solidifiant le système des castes. Les brahmanes hindous ont personnifié la résistance spirituelle et la tradition nationale.

Mais toute religion persécutée devient persécutrice. Le 6 décembre 1992, à Ayodhyâ (l'Imprenable), des hindous rasent la mosquée Babri Masjid, ou mosquée de Babur, construite en 1528. Elle aurait été construite, d'après une légende, sur l'emplacement de la naissance du dieu Râma, où il y aurait eu un temple hindou détruit par les musulmans. Cette destruction provoque de violents affrontements qui causent la mort de 2 000 personnes, principalement des musulmans. Ces affrontements donnèrent le signal d'une reconquête du pays. Ce mouvement hindou, à l'intransigeante foi, mettent en danger les musulmans voire les chrétiens. De même qu'en 1947, l'exode des musulmans pourchassés avait entraîné la partition du pays (et la naissance du Pakistan).

Les hindous pacifiques risquent d'être supplantés par leur coreligionnaires intolérants, tout comme Gandhi (23) l'a été . Le 30 janvier 1948, en chemin vers une réunion de prière, Gandhi est abattu par balles près de Birla House, à New Delhi, par Nathuram Godse, un hindou nationaliste qui avait des liens avec le groupe fascisant Hindu Mahasabha. Godse tenait Gandhi pour responsable de la partition de l'Inde et par là de son affaiblissement.

Mais les violences intérieures ou extérieures ne sont pas une fatalité pour l'Inde qui peut toujours préférer la flûte de Khrisna (huitième avatar de Vishnou) à la lance de Skanda (dieu guerrier, fils de Shiva).

Irlande
Catholique ou fanatique?
Cinq siècles de violence entre catholiques et protestants ont fait de l'Irlande la patrie européenne des guerres de religion.

Convertie au christianisme par des missionnaires (comme Saint Patrick, ancien moine de Lérins) au début du Ve siècle, l'Irlande fut rapidement surnommée l'«l'île des Saints» tant la ferveur et l'angoisse religieuses étaient vives : certains monastères contèrent jusqu'à trois mille moines. Par crainte du péché et honte de l'aveu, ils inventèrent la confession individuelle et auriculaire. Elle se substitua rapidement, dans toute la chrétienté, à la confession publique.

Le monde catholique doit à l'Irlande la date d'une fête majeure : la Toussaint. Version chrétienne d'une célébration païenne (Halloween ou «veille des saints»), cette commémoration du 1er novembre fut généralisée sur le continent en 835 par le roi de France Louis le Pieux et le pape Grégoire IV.

La richesse de l'Église d' Irlande attira les convoitises et les premières guerres de religion irlandaises furent, en fait, des raids vikings (vers 795) suscités par les trésors des monastères.

L'Église d' Irlande lutta contre la Réforme : Henry VIII d'Angleterre (24) ne put jamais faire admettre le schisme anglican par les évêques et le peuple irlandais même si le Parlement irlandais, composé de colons anglais, l'accepta.

Les Irlandais refusèrent dont l'Acte de suprématie (1534) qui établissait le roi comme «unique et suprême chef» de l'Église d' Angleterre à la place du pape. La reine Élisabeth 1er (25) réagit violemment :
-1562 : par son Acte de Suprématie et d’Uniformité, Élisabeth impose le service protestant et déclenche le début des persécutions religieuses en s’attaquant cette fois directement au dogme catholique.
-1567 : Élisabeth liquide la révolte de Shane O’Neill. Elle installe des fonctionnaires anglais à la tête de chaque province.
-1567 - 1571 : neuf plans de colonisation de l’Irlande sont soumis au gouvernement anglais. La plupart des initiatives privées ne remportant que des succès fort mitigés, l’État s’apprête à prendre le relais.
-1569 - 1573 : première révolte du Munster : les Grands, conduits par le chef des Fitzgerald, James Fitzmaurice, se mobilisent «pour la défense de l’Irlande et de la foi».
-1579 - 1583 : deuxième révolte du Munster qui se soulève sous la direction du chef des Fitzgerald, désormais comte de Desmond. Les soldats de Walter Raleigh emportent la victoire et celui-ci ne manque pas de prendre sa part des terres confisquées à cette occasion : 200 000 hectares sont ainsi distribués à des colons anglais et aux fidèles serviteurs de la reine.
-1594 : révolte des comtes de Tyrone et de Tyrconnell (Hugh O’Donnell). Ils infligent une cuisante défaite aux Anglais le 13 juin à Clontibret.
-14 août 1598 : à Yellow Ford, en Ulster, O’Neill met une nouvelle fois en déroute l'armée anglaise. Le Connaught, le Munster, le Meath et le Leinster se soulèvent croyant avoir trouvé l’homme providentiel capable d’unir enfin les Irlandais dans leur lutte contre la couronne anglaise.
-1599 : Élisabeth envoie alors une armée de 16 000 hommes sous le commandement de son favori, le comte d’Essex, investi des fonctions de lord-lieutenant. Il rencontre le chef des rebelles sur les bords de la rivière Lagan, au gué d’Aclint, à la lisière des comtés de Louth et de Monaghan. Une trêve de six semaines est instaurée.
-1600 : Essex est remplacé par lord Mountjoy. Fort de leurs 20 000 hommes, ils divisent et traquent l’ennemi sans répit, mais préfèrent éviter l’affrontement direct. Ils détruisent systématiquement fermes, récoltes et troupeaux. Des garnisons sont établies jusqu’à Derry, au cœur du territoire ennemi.
-30 mars 1603 : lors du traité de Mellifont, le comte de Tyrone se soumet. Il renonce au titre gaélique de «The O’Neill» ainsi qu’à toute alliance avec l’étranger. Il s’engage par ailleurs à introduire les coutumes anglaises sur ses terres. Cet accord va marquer la fin progressive de la traditionnelle organisation politique de l’Irlande et le déclin sans retour de la société gaélique.

Mais en 1646 (28 mars), Charles Ier (26), représenté par Ormond, signe un traité avec la Confédération catholique, afin de pouvoir recevoir des renforts d’Irlande et ainsi contrer le puritanisme républicain de Cromwell (27). Mais le nonce apostolique Rinuccini, partisan de la guerre à tout prix, dénonçant le traité, prévient qu'il excommuniera tous ceux qui s’y rallient. Devant la menace, les Irlandais refusent le compromis avec le roi. Cette intransigeance les exposa aux foudres de Cromwell parvenu au pouvoir. Il entreprit de réprimander la fronde irlandaise. Ce fut l'assaut des «têtes rondes» (28):

-15 août 1649 : Cromwell et ses «têtes rondes» débarquent à Ringsend avec 8 000 fantassins, 4 000 cavaliers et une artillerie conséquente. «Maudit soit celui dont l’épée ne sera pas teinte de sang ! Maudit celui dont l’épée ne s’abreuvera pas de sang irlandais, qui ne les récompensera pas au double pour leur infernale trahison contre les Anglais, qui ne fera pas d’eux des monceaux sur des monceaux de morts et de leur pays un repaire pour les dragons, un étonnement pour les nations!»
-Septembre - octobre 1649 : Siège de Drogheda puis de Wexford. Les deux villes seront tour à tour livrées au pillage et leur population passée au fil de l’épée. Par la suite, la plupart des villes se rendent à la première sommation.

Malgré l'adoption d'une loi d'autonomie intérieure : Home Rule en 1912 (autonomie partielle de l’Irlande. Le gouvernement anglais se réserve les politiques extérieure, douanière et monétaire, nécessitant le maintien d’une délégation de 48 députés irlandais à Westminster. Un Parlement de deux chambres est institué à Dublin pour la gestion des affaires locales), la guerre civile éclata en 1916. Elle aboutit à la partition de l'île et, en 1937, à la proclamation de la République d'Irlande.

-1er juillet 1937 : Eamon De Valera (29) fait voter une nouvelle Constitution (rédigée en gaélique et en anglais) créant l’Eire, un État démocratique, indépendant et souverain, doté d’un président. Elle doit en théorie s’appliquer à l’île entière. L’influence du catholicisme social et l’imprégnation confessionnelle du texte (la souveraineté populaire : il est établi que «tous les pouvoirs du Gouvernement proviennent, après Dieu, du peuple» (Article 6), placé sous l’invocation de la Sainte Trinité, n’échappent pas aux protestants : le mariage est déclaré indissoluble. Yeats (30) prévient pourtant le président que «Si vous montrez que ce pays va être gouverné uniquement par une idéologie catholique, vous n’obtiendrez jamais le Nord». La Constitution n’est approuvée que par moins de 40 % des électeurs. Le nombre des abstentionnistes s’élève à un demi-million : l’Irlande reste profondément divisée.

Dans ce climat passionnel, les cantons du Nord (Ulster) demeurent fidèles à la Couronne britannique.

La violence a beaucoup décliné en Irlande depuis la fin du XXe siècle et la guerre civile appartient, espérons-le, au passé. L'Irlande dispute à l'Inde le privilège d'avoir inventé les grèves de la faim :
-novembre 1920 : Terence McSwiney, né le 28 mars 1879 et mort le 20 octobre 1920, après 74 jours de grève de la faim, à la prison de Brixton. Lord-maire de Cork.

Gandhi aurait pratiqué un premier jeûne prolongé trois ans plus tôt afin de défendre les cultivateurs d'indigo." (...).


A suivre...

Notes
1. Ponce Pilate, né vers 10 av. J.-C. et mort vers 39 ap. J.-C., suicidé. Selon le Nouveau Testament, il ordonna le crucifiement de Jésus, (Jean, 18, 36).
2. Robert Beck dit Raoul, né le 11 septembre 1897 à Arpajon et mort le 6 février 1943 à Paris. Militant communiste.
3. Selon l'Évangile de Jean, Lazare était un ami de Jésus, frère de Marthe et de Marie. C'est lui que le Christ aurait ressuscité, le faisant sortir de son tombeau.
4. Nabuchodonosor, né vers 630 av. J.-C. et mort en 562 av. J.-C. Règne entre 605 et 562.
5. L'Hégire désigne le départ des compagnons de Mahomet de La Mecque vers l'oasis de Yathrib, ancien nom de Médine, en 622.
6. Aménophis II, septième roi de la XVIIIe dynastie. On situe son règne aux alentours de -1428-1427 à 1401-1400.
7. Akhenaton, dixième pharaon de la XVIIIe dynastie. On situe son règne de 1355-1353 à 1338-1337.
8. Nom du Dieu des Hébreux.
9. Première ville du pays de Canaan conquise par Josué et les Hébreux. Le septième jour après l'arrivée des Hébreux, les murailles de Jéricho s'effondrèrent par la simple volonté divine après le défilé sept fois autour de la cité pendant sept jours, de l'Arche d'alliance et de sept prêtres sonnant sept cors. Jéricho est rasée intégralement. La ville et son butin furent alors maudits.
10. Nom donné à la famille formée par Jésus de Nazareth et ses parents, Marie et Joseph.
11. Assemblée législative traditionnelle du peuple juif ainsi que son tribunal suprême, composé de soixante et onze sages experts en Loi Juive.
12. Homme combattant le pouvoir romain les armes à la main pendant la Première Guerre judéo-romaine.
13. Jean-Baptiste, né dans les premières décennies avant J.-C. et mort vers 35 après J.-C. Personnage du Nouveau Testament. Prédicateur en Palestine au temps de Jésus de Nazareth.
14. Livre décrivant une vision allégorique qui prophétise sur ce qui doit arriver à la fin des Temps. Le livre commence par les mots «révélation de Jésus-Christ » (AP 1,1).
15. Lieu symbolique du combat final entre le Bien et le Mal.
16.Vespasien, né le 17 novembre 9 près de Reate et mort le 23 juin 79 à Rome. Règne en tant qu'usurpateur puis légitime du 22 décembre 69 au 23 juin 79.
17. Général Titus, né le 30 décembre 39 à Rome et mort le 13 septembre 81, de la peste, id. Règne du 24 juin 79 au 13 septembre 81.
18. Créé en 1940 et détruit en mai 1943, après l'insurrection de ses occupants contre les nazis. Le soulèvement a commencé le 19 avril 1943. Durant les combats environ 7 000 résidents du ghetto ont été tués, 6 000 ont été brûlés vifs ou gazés.
19. Hadrien, né le 24 janvier 76 à Italica et mort le 10 juillet 138 à Baïes. Règne du 10 août 117 au 10 juillet 138.
20. Antonin le Pieux, né le 19 septembre 86 à Lanuvium et mort le 7 mars 161 à Lorium. Règne du 11 juillet 138 au 7 mars 161.
21. «Le parcours de Râma» est la plus courte des épopées mythologiques de langue sanskrite composées entre le IIIe siècle av. J.-C. et le IIIe siècle de notre ère. Constitué de sept livres et de 24 000 vers, il est, avec le Mahâbhârata, l'un des écrits fondamentaux de l'hindouisme et de la mythologie hindoue.
22. Épopée sanskrite comportant quatre-vingt-dix milles strophes réparties en dix-huit livres (parvan). Considéré comme le plus grand poème jamais composé. Comporte pas moins de 250 000 vers — quinze fois plus que l 'Iliade. Livre sacré de l'Inde.
23. Gandhi, né le 2 octobre 1869 à Porbandar et mort le 30 janvier 1948, assassiné, à Delhi. Important guide spirituel de l'Inde et du mouvement pour l'indépendance de ce pays. Pionnier et théoricien de la résistance à l'oppression à l'aide de la désobéissance civile de masse, le tout fondé sur la totale non-violence.
24. Henry VIII d'Angleterre, né le 28 juin 1491 à Greenwich et mort le 28 janvier 1547 au Palais de Whitehall. Règne du 24 avril 1509 au 28 janvier 1547. Six fois marié.
25. Élisabeth 1er, né le 7 septembre 1533 à Greenwich et morte le 24 mars 1603, au palais de Richmond. Règne du 17 novembre 1558 au 24 mars 1603. Surnommée la «Reine vierge».
26. Charles Ier Stuart, né le 19 novembre 1600 à Dunfermline et mort le 30 janvier 1649, décapité, au palais de Whitehall, à Londres. Règne du 27 mars 1625 au 30 janvier 1649.
27.) Oliver Cromwell, né le 25 avril 1599 à Huntingdon et mort le 3 septembre 1658 à Londres. Militaire. Fondateur de la République unifiée (Commonwealth) entre l'Angleterre, l'Écosse et l'Irlande.
28. Surnom donné aux puritains partisans du Parlement de l'Angleterre pendant la Première révolution anglaise. Ils étaient dirigés par Oliver Cromwell.
29.) George Edward de Valero, né le 14 octobre 1882 à New York et mort le 29 août 1975 à Dublin. Professeur de mathématiques. Considéré comme le père de la nation libre d'Irlande. Troisième Président d'Irlande du 25 juin 1959 au 24 juin 1973.
30.William Butler Yeats, né le 13 juin 1865 à Sandymount et mort le 28 janvier 1939 à Roquebrune-Cap-Martin. Poète, dramaturge. Prix Nobel de littérature (1923).

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