6 janvier 2017
Commentaire: Nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTre): FNSEA?... servie. Au suivant.
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Les nouvelles régions françaises et leurs exécutifs ont un an. Au sein de ceux-ci, les élus proches de la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire, sont nombreux. Et détiennent les leviers de commande sur les nouvelles compétences échues aux régions, comme la gestion du Fonds européen agricole pour le développement durable.
Un an après les élections régionales de décembre 2015 et l’entrée en vigueur des nouvelles régions françaises le 1er janvier 2016, les exécutifs fêtent leur première bougie à la tête des conseils régionaux. Une première année de mandat qui aura été marquée par des revirements brutaux de certaines politiques publiques, comme en région Auvergne–Rhône-Alpes (Aura).
Après avoir drastiquement réduit les subventions attribuées aux associations d’agriculture paysanne dès son entrée en fonction — moins 70 % pour la Fédération régionale d’agriculture biologique (Frab), moins 50 % pour Terre de liens, moins 35 % pour le réseau des Amap — le nouveau président de région, Laurent Wauquiez, a confié en novembre les clés de son « plan bio » aux chambres d’agriculture et aux industriels de l’agroalimentaire. Un virage à 180 ° qui porte la marque de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), dont le modèle agricole est pourtant fortement remis en cause, comme l’expliquait en juillet à Reporterre Paul Chataignon, président de l’Ardear (Association régionale pour le développement de l’emploi agricole et rural), qui a été amputée de 41.000 euros sur l’année 2016 : « Il y a aujourd’hui une mise sous tutelle de la politique agricole de la région par la FNSEA. ».
Parfois, le représentant se cache derrière l’officie
Et pour cause, le syndicat agricole majoritaire est bien représenté dans l’organigramme de l’exécutif régional. « Huit membres, ou anciens, de la FNSEA », a compté M. Chataignon. Mais le cas de la région Aura est loin d’être unique. Reporterre s’est penché sur quelques-uns des 17 autres conseils régionaux français. Le résultat est édifiant, comme en témoignent ci-dessous les CV de plusieurs vice-présidents à l’agriculture, nommés ou reconduits :
En Bretagne, Olivier Allain est le vice-président chargé de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Il est par ailleurs ancien vice-président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) des Côtes-d’Armor ;
En Pays de la Loire, Lydie Bernard est vice-présidente et présidente de la commission agriculture, agroalimentaire, forêt, pêche et mer. Elle se présente par ailleurs comme une élue FDSEA ;
En Bourgogne–Franche-Comté, Sophie Fonquernie est la vice-présidente chargée de l’agriculture, la viticulture et l’agroalimentaire. Elle est par ailleurs ancienne secrétaire adjointe à la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles (FRSEA) Franche-Comté ;
En Nouvelle-Aquitaine, Jean-Pierre Raynaud est le vice-président chargé de l’agriculture, l’agroalimentaire, la forêt, la mer et la montagne. Il est par ailleurs l’ancien président de la chambre d’agriculture de Dordogne tenue par la FDSEA.
Parfois, le titre de la FNSEA n’apparaît pas directement, comme dans la région du Grand-Est, où le vice-président à l’agriculture et la ruralité, Philippe Mangin, n’est autre que l’ancien président d’Invivo et de Coop de France, deux mastodontes du système agricole français, dont le discours « semble d’ailleurs un “copié-collé” de celui de Beulin [actuel président de la FNSEA] », selon Libération.
Parfois, le représentant se cache derrière l’officiel vice-président à l’agriculture, comme dans la région Occitanie, où Vincent Labarthe, le vice-président chargé de l’agriculture au profil plutôt politique, doit cohabiter avec le vice-président chargé de l’agroalimentaire et de la viticulture, Jean-Louis Cazaubon, connu pour ses prises de position en faveur du barrage de Sivens lorsqu’il présidait la chambre régionale d’agriculture de Midi-Pyrénées.
Si sept vice-présidents à l’agriculture sur treize régions métropolitaines sont agriculteurs — et donc très probablement liés à la FNSEA — le syndicat se retrouve aussi dans les cercles proches des pouvoirs exécutifs régionaux. À l’image d’Émilie Bonnivard, vice-présidente déléguée à l’agriculture, loin d’être issue du milieu agricole et donc sans proximité directe avec la FNSEA, mais « encadrée » dans ses activités par deux responsables : Dominique Despras, ancien président de la FDSEA du Rhône, est devenu conseiller régional délégué à l’agriculture bio, tandis qu’Eric Thébault, ancien directeur de la FRSEA Rhône-Alpes, a été nommé chargé de mission auprès de la vice-présidente de l’agriculture.
« La FNSEA a concentré ses efforts sur ce levier de décision »
Une situation que l’on retrouve en Île-de-France, où la vice-présidente chargée de l’agriculture, Anne Chain-Larché, pharmacienne de profession, se retrouve flanquée de Michel Caffin, conseiller régional et président de la commission ruralité et agriculture, qui est par ailleurs l’ancien président de la FDSEA Ile-de-France.
De même, dans les Hauts-de-France, le président de la commission agriculture, Jean-Michel Serres, se trouve être l’ancien président de la Fédération nationale porcine, une « association spécialisée de la FNSEA ». Enfin, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ne possède pas de vice-président dédié à l’agriculture, mais le président de région, Christian Estrosi, s’est doté d’une conseillère particulière en agriculture, Isabelle Giordano, qui n’est autre que l’ancienne directrice de la FRSEA.
La pénétration des exécutifs régionaux par d’anciens représentants de la FNSEA est donc une réalité sur l’ensemble du territoire, quelle que soit la couleur politique au pouvoir. « Cela s’inscrit dans une longue tradition, rappelle Gilles Luneau, journaliste et auteur d’une histoire du syndicat avec La Forteresse agricole. Il y a toujours eu des agriculteurs en politique, notamment au niveau des communes. Puis, le virage s’est pris avec l’arrivée de Jacques Chirac au ministère de l’Agriculture dans les années 1970 : c’est lui qui a instauré la cogestion des politiques publiques agricoles avec la FNSEA, qui était alors le syndicat ultra majoritaire dans la profession. »
La proximité du syndicat avec le pouvoir n’est donc pas nouvelle : « Les disciples de Beulin sont partout », dit René Louail, ancien porte-parole de la Confédération paysanne. Mais l’ampleur de cette stratégie d’entrisme étonne : « Une véritable offensive », juge Gilles Luneau. D’autant plus que les régions ne sont pas le lieu de pouvoir privilégié par la FNSEA. En tout cas, jusqu’en 2014 et le transfert de compétences dans la gestion du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) de l’État vers les régions.
« La région étant devenue autorité de gestion sur ces fonds européens, la FNSEA a concentré ses efforts sur ce levier de décision », constate Nicolas Thierry, vice-président à l’environnement dans la région Nouvelle-Aquitaine. Les défenseurs de cette évolution n’en avaient d’ailleurs pas anticipé l’effet pervers : « Nous étions favorables à la régionalisation de cette enveloppe, sans avoir conscience de ce que cela impliquerait pour la FNSEA », admet aujourd’hui Antoine Couturier, délégué régional de Corabia, membre de la Frab en Rhône-Alpes. Une conséquence pourtant logique, à en croire Gilles Luneau : « L’histoire de la FNSEA a toujours été d’avoir un œil, et la main autant que possible, sur la ‘‘caisse’’. En s’emparant des régions, le syndicat cherche à maintenir sa position monopolistique concernant l’orientation des lignes de crédit. » Le changement dans l’agriculture, ce n’est pas pour maintenant.
Lire aussi : Beulin-Pinatel : deux visions de l’agriculture, interviews croisées
Source : Barnabé Binctin pour Reporterre
Photo :. chapô : Businesslab
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