Civilisation écologique : la grande transformation de la Chine du XXIe siècle

Zhe Liu
2015





La trajectoire de développement de la Chine a suivi la même tendance que l'industrialisation occidentale, mais sur une période beaucoup plus courte. Au terme de son processus d'industrialisation, la Chine est devenue la deuxième économie mondiale depuis la mise en place en 1978 de sa politique " d'ouverture et de réforme ". Le pays est aujourd'hui le plus gros consommateur de la plupart des matières premières et énergies primaires, ainsi que le premier émetteur de gaz à effet de serre (GES). La Chine est désormais confrontée à de nombreux défis, en particulier en termes de sécurité énergétique et de pollution de l'eau et de l'atmosphère. Cela s'est notamment traduit par la détérioration de la qualité de l'air dans les zones urbaines chinoises au cours des dernières années (cf. repère 1). La rapidité et l'ampleur des changements environnementaux sont sans précédent dans l'histoire, tout comme le peu de temps disponible pour y remédier.

Le repère 2 montre le lien entre le PIB par habitant et les émissions de SO2 et de CO2 entre 1978 et 2013. Ce graphique montre que les émissions chinoises de SO2 ont atteint un sommet en 2006, mais que les émissions de CO2 continuent d'augmenter rapidement malgré les efforts considérables réalisés par la Chine dans les domaines de l'énergie et des émissions. L'atténuation des GES peut aussi présenter des avantages indirects pour le contrôle des polluants locaux, la santé, l'économie d'énergie, etc.
En économie de l'environnement, il existe un lien hypothétique entre le développement et l'environnement, appelé " Courbe environnementale de Kuznets " (CEK). Selon cette théorie, la relation entre le développement économique et la qualité de l'environnement suit une courbe en U inversée, c'est-à-dire que lorsqu'un pays connaît une croissance économique, la dégradation de son environnement tend à s'aggraver jusqu'à ce que le revenu moyen atteigne un certain point, à partir duquel la situation environnementale commence à s'améliorer, Grossman et Krueger, 1995. La CEK est-elle une fatalité ? Et si oui, comment pouvons-nous provoquer le tournant le plus tôt possible ? Et quand la Chine atteindra-t-elle ce tournant ?

Identifier les causes
Qu'est-ce qui a plus particulièrement aggravé les problèmes de la Chine en matière de ressources et d'environnement au cours des dernières décennies ? Deux éléments essentiels expliquent la situation chinoise : les facteurs économiques et politiques. Les moteurs économiques s'appliquent à la Chine de la même façon qu'aux pays développés : ainsi, des facteurs comme l'industrialisation rapide, l'urbanisation et le changement de mode de vie, ainsi que la poursuite d'une trajectoire de développement économique orientée vers le commerce et l'exportation, ont certainement eu un impact majeur.
Toutefois, un grand nombre de moteurs politiques sont propres à la Chine, notamment le bas prix des ressources naturelles, les subventions élevées aux combustibles fossiles et les réglementations environnementales laxistes. Ces problèmes ont de nombreuses causes historiques profondes, par exemple : les ressources sont des propriétés publiques appartenant à l'État ; les prix sont contrôlés par le gouvernement et non pas formés par les marchés ; les prix des ressources sont maintenus bas afin de subventionner les entreprises publiques ; et la promotion des gouverneurs locaux dépend en grande partie de leur aptitude à accroître le PIB, souvent au détriment de l'environnement, Qi et al., 2009. Même si ces problèmes sont en grande partie apparus après l'ouverture et la réforme de 1978, l'effet de dépendance au sentier signifie qu'ils sont encore aujourd'hui pertinents dans de nombreux domaines. Il est important de bien appréhender ce contexte pour mieux comprendre les récentes réformes chinoises en termes de ressources et d'environnement. 


S'attaquer aux causes
Dans les domaines de l'énergie, de l'environnement et du climat, les institutions politiques sont au cœur de la définition, de la mise en œuvre et des performances des politiques. La Chine présente trois niveaux d'institutions politiques : le gouvernement central, le gouvernement local, et d'autres acteurs comme les entreprises et les sociétés.
Le gouvernement chinois étant un État unitaire fortement hiérarchisé, Qi et al., 2009, de nombreux experts considèrent sa politique publique dans les domaines de l'énergie, de l'environnement et du climat comme un exemple d'" environnementalisme autoritaire ". Cela signifie que les politiques publiques ont tendance à être dirigées par des élites au sein d'organismes exécutifs, qui cherchent à améliorer les résultats environnementaux avec une participation limitée de la population , Beeson, 2010. Dans la pratique, ce modèle de " commandement et contrôle " pose de nombreux problèmes, il est généralement rigide et d'un mauvais rapport coût/efficacité, même s'il offre certains avantages en termes de mobilisation effective des acteurs étatiques et sociaux pour réaliser les objectifs fixés par le gouvernement central, Gilley, 2012. Par exemple, pour atteindre l'objectif annuel d'intensité énergétique, le gouvernement central divise l'objectif global en cibles secondaires pour chaque province et pour les grandes entreprises d'État ; ces provinces et entreprises publiques subdivisent à leur tour leurs cibles pour définir des objectifs pour les comtés ou les entreprises affiliées, et ainsi de suite.
Dans les domaines de l'énergie, de l'environnement et du climat, différents acteurs institutionnels sont impliqués. Par exemple, le Comité national sur les changements climatiques, CNCC, est divisé en quinze unités bureaucratiques comprenant le Comité national du développement et de la réforme, National Development and Reform Commission, NDRC, le ministère de la Protection de l'Environnement, MEP, l'Administration nationale de l'énergie, ANE, filiale du NDRC, le ministère des Finances, Ministry of Finance, MOF, etc. Ces différents bureaux ont tous leurs propres idées et objectifs. Par exemple, concernant les futurs instruments de la politique sur le carbone, le NDRC encourage le système d'échange des émissions de carbone car ce Comité s'en verrait confier la gestion, tandis que le ministère des Finances préfère la taxe carbone parce que la mise en œuvre de cette dernière rapporterait plus en termes d'impôts.

Le gouvernement central, composé de différents ministères, joue un rôle décisif dans le processus d'élaboration des politiques, tandis que les gouvernements locaux, provinciaux, municipaux, collectivités, etc., sont chargés de la mise en œuvre des politiques. Cependant, les gouvernements locaux aux différents niveaux ont leurs propres intérêts, qui peuvent ne pas être les mêmes que ceux de l'administration centrale ou d'autres autorités de niveau supérieur. Deux principales raisons expliquent cette disparité. La première est qu'il existe des conflits entre les intérêts des hauts responsables des gouvernements locaux et les objectifs environnementaux. Par exemple, dans le passé, le PIB était le critère le plus important du système de promotion du gouvernement, ce qui signifie que les autorités locales avaient tendance à chercher à accroître le PIB par tous les moyens possibles. Toutefois, des objectifs environnementaux et énergétiques figurent désormais dans le système de promotion, et ces mêmes autorités sont freinées par la non-réalisation de ces objectifs ; aussi, une attention particulière doit être accordée à la réalisation de ces objectifs tout en mettant l'accent sur le PIB, car le gouvernement central n'a pas encore abandonné les critères de PIB.
La seconde explication est le cadre institutionnel. Au niveau central, le MEP est responsable des questions environnementales, tandis qu'au niveau des provinces et des comtés, les agences locales de l'environnement relèvent de l'autorité des gouvernements locaux. Les agences locales de l'environnement jouent toujours un rôle marginal par rapport aux autres organismes, et doivent généralement obéir aux ordres d'élus locaux souhaitant alléger la réglementation environnementale pour ne pas entraver la croissance du PIB. Actuellement, le gouvernement central (MEP) cherche à accroître son propre pouvoir et à rendre les agences locales de l'environnement plus indépendantes.
En 2014, afin de tenter d'améliorer la qualité de l'air à Pékin, le MEP a envoyé des équipes de supervision dans les provinces voisines, et les agences locales de l'environnement ont joué un rôle de chef de file dans l'élaboration, la coordination et la mise en œuvre des politiques visant à lutter contre les sources de pollution. 


Transformation de la Chine du XXIe siècle : vers la civilisation écologique
Le gouvernement chinois a déployé des efforts considérables pour répondre aux problèmes d'énergie, de pollution et d'émissions de GES, et des progrès importants ont été réalisés dans le cadre du concept général de " civilisation écologique ", cf. encadré. Pendant la période couverte par le onzième Plan quinquennal chinois, 2006-2010, l'intensité énergétique du pays, consommation d'énergie par unité de PIB, a diminué de 19,1 %, cf. repère 2, et les principaux polluants, SO2 et demande chimique en oxygène, ont diminué de plus 10 %. Les objectifs du douzième Plan quinquennal, 2011-2015, comprennent une réduction de 16 % de l'intensité énergétique ; une diminution de 8 % à 10 % des principaux polluants, notamment l'ammoniac, l'azote et les NOx, ; une augmentation de 8,3 % à 11,4 % de la part de consommation d'énergie primaire provenant de combustibles non fossiles ; et une diminution de l'intensité de CO2, une cible nouvellement établie, de 17 %.
En 2014, le Conseil d'État publiait le Plan d'action pour la stratégie de développement de l'énergie (2014-2020), annonçant les nouveaux objectifs et plans pour réduire la consommation de charbon, accroître l'offre de gaz naturel et l'utilisation de combustibles non fossiles. Ces objectifs ne sont qu'une partie de la " révolution énergétique " initiée par le président Xi.
Le nouveau Comité permanent chinois, dirigé par le président Xi Jinping et le Premier ministre Li Keqiang, accorde désormais une attention particulière au concept de civilisation écologique en mettant l'accent sur la bonne conception des institutions. Par exemple, les questions écologiques et de sécurité des ressources figurent parmi les onze principaux enjeux de sécurité nationale soulevés par le président Xi en 2014. Par ailleurs, en 2013, la troisième session plénière du 18e Congrès national du Parti communiste chinois a prévu une revalorisation du rôle du gouvernement, mais aussi du marché, dans les domaines des ressources naturelles et de l'environnement : par exemple, il est prévu d'établir un bilan national des actifs en ressources naturelles, de définir des capacités de charge environnementale et de fixer des limites de développement correspondantes dans les différentes régions, de mettre en œuvre des mécanismes de compensation écologique, d'augmenter progressivement le prix des ressources naturelles et les impôts sur la pollution, de prélever un impôt sur les produits à forte consommation d'énergie et polluants, ou encore de remplacer les frais de pollution actuels par un impôt environnemental. Les instruments de politique de marché, tels que le système d'échange d'émission, sont en cours de développement et joueront un rôle plus important à l'avenir.
Dans le nouveau système de promotion du gouvernement, la performance énergétique, l'intensité énergétique, et probablement la proportion d'énergies renouvelables et le contrôle de la quantité de charbon consommé, ainsi que les objectifs de réduction des polluants, SO2, COD, NOX, CO2, et probablement PM2.5, seront des critères essentiels pour évaluer les performances des responsables locaux. La stratégie de la Chine est de lancer une " révolution énergétique ", de réformer ses politiques environnementales et de se fixer des objectifs ambitieux en termes d'émissions de CO2. Ainsi, la Chine espère accélérer sa transformation vers une civilisation écologique et redescendre la courbe de Kuznets aussi vite qu'elle en a fait l'ascension. 


La détérioration croissante de la qualité de l'air des villes chinoises

La qualité de l'air est de plus en plus mauvaise dans les villes chinoises et le phénomène ne cesse de s'étendre.


Croissance et pollutions en Chine

La croissance chinoise s'est accompagnée d'importantes pollutions qui s'avèrent aujourd'hui coûteuses en termes de santé humaine et environnementale, au point de provoquer un changement dans l'agenda du gouvernement chinois.







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