9/11/2019
ENTRETIEN. Des climatosceptiques aux écologistes, Sylvestre Huet déplore le manque de culture scientifique des politiques, journalistes et citoyens.
Longtemps journaliste à « Libération », Sylvestre Huet avait consacré un livre impitoyable à Claude Allègre, L'imposteur, c'est lui, en 2010. © DR
Il est l'un des meilleurs journalistes scientifiques français. « L'honneur de votre profession », nous confiait récemment l'académicien des sciences Yves Bréchet. Sur son blog (Sciences²) hébergé par Le Monde, Sylvestre Huet évoque avec pédagogie les nouvelles alarmantes du réchauffement climatique. S'il ferraille contre les climatosceptiques, l'homme, de gauche, s'engage aussi clairement pour le nucléaire en tant que source d'énergie décarbonée et épingle les biais idéologiques de certains écologistes comme les contresens du « rouge et vert » François Ruffin. Dans un grand entretien, nous avons évoqué avec lui le cas Claude Allègre, ex-chroniqueur du Point à qui Sylvestre Huet avait consacré un livre impitoyable, L'Imposteur, c'est lui, en 2010. Nous l'avons aussi interrogé sur le manque de culture scientifique des responsables politiques, des journalistes et des Français en général. Entretien.
Le Point : Vous avez publié L'Imposteur, c'est lui sur Claude Allègre en 2010. Quelle est la genèse du livre ?
Sylvestre Huet : quand Claude Allègre sort son livre, L'Imposture climatique, en 2010, Laurent Joffrin, alors directeur de la rédaction à Libération, trouve l'ouvrage formidable. Et annonce en conférence de rédaction qu'il faut absolument que l'on en parle en positif. Je botte en touche car je ne sais pas trop comment annoncer à mon directeur qu'il vient de dire une énorme bêtise. Mais j'avais repéré une énorme falsification dans un des graphiques de l'ouvrage, censé n'être que la reproduction d'une courbe de température de l'an 500 à nos jours, parue dans une revue scientifique (1). Or, sur le graphique du livre, non seulement la période après 1900 ne correspondait pas au graphique initial du scientifique, mais Allègre avait ajouté comme une prolongation qui prédisait que la température moyenne de la Terre allait… chuter. J'ai alors eu l'idée de faire commenter cette falsification par l'auteur même de la courbe originale, le paléo-climatologue suédois Hakan Grudd, en lui envoyant par courriel un scan du graphique falsifié. Grudd a réagi, par écrit, en qualifiant l'attitude d'Allègre de « contraire à l'éthique de la recherche » et « trompeuse » pour le grand public. Muni de cet argument incontestable, j'ai pu faire un article critique dans Libération, titré Allègre part en courbes. L'article a eu un retentissement important, mais ne pouvait avoir aucune conséquence sur la carrière scientifique de Claude Allègre puisqu'elle était déjà terminée. Dans le milieu scientifique, falsifier des données constitue la faute la plus grave pour un chercheur, provoquant le licenciement sec et la rétractation de l'article publié. La raison de cette sévérité est simple : aucune discussion scientifique n'est possible si quelqu'un ment sur des données d'observation ou des mesures expérimentales. J'ai ensuite continué ce « débunkage » du travail d'Allègre sur mon blog, Sciences², puis dans L'Imposteur, c'est lui. J'y ai ajouté un chapitre sur les aventures en climatologie du géophysicien Vincent Courtillot, le bras droit d'Allègre. Aventures révélant son incompétence totale en ce domaine, ce qui lui a valu le titre comique de « chevalier de la Terre noire et plate » décerné par des climatologues américains, amusés de ses erreurs grossières de calcul.
Le Point a, la même année, consacré une couverture à Claude Allègre, avec en titre Le procès Allègre…
Je suis très sévère envers la direction du Point de l'époque. Elle peut avoir les idées politiques qu'elle veut. Mais quand vous regardez le cas Allègre, il est alors déjà très lourd en mensonges grossiers sur les sciences du climat et les climatologues. L'article qui constituait le cœur du dossier comportait un nombre d'erreurs ahurissant.
Ne fallait-il pas donner la parole à une opinion « dissidente » ?
En science, la « dissidence » n'existe pas. Ce qui fait qu'un résultat scientifique est considéré comme vrai ou faux, ce n'est pas un vote, c'est son devenir. Lorsque la communauté scientifique a obtenu des réponses aux questions qu'elle se posait, elles sont la vérité scientifique du moment. Lorsque cette vérité scientifique du moment est confirmée vraiment longtemps, on ne se demande plus si la Terre est plate ou ronde. Mais il faut se méfier, car une « vérité » peut durer longtemps puis suivre brusquement un autre destin. Souvent, elle peut être dépassée, c'est-à-dire qu'elle n'est pas fausse, mais qu'on a trouvé quelque chose de plus vrai, au sens de plus proche de la réalité indépendante de l'observateur. Un bon exemple en est l'évolution de la physique de la gravitation, lorsque Newton est dépassé par la théorie de la relativité générale d'Einstein. Si vous voulez calculer la trajectoire d'une fusée vers Mars, vous prenez les équations de Newton, cela suffit. Si vous devez calculer l'onde gravitationnelle provoquée par la fusion de deux étoiles à neutrons, Einstein est nécessaire. Enfin, cette vérité du moment peut également être totalement invalidée. Avant Einstein, la quasi-totalité des physiciens pensait que l'Univers baignait dans une substance, l'éther. Ce concept a totalement disparu de la physique avec les articles de 1905 du physicien.
Dès lors qu'il suit la méthode scientifique normale, tout travail est publié, même s'il est en désaccord avec les résultats antérieurs. Comment s'assurer que cela ne débouche pas sur une avalanche d'articles inconsistants ? La solution, c'est le « peer review », c'est-à-dire l'évaluation par les pairs, des collègues spécialistes du sujet, avant décision de publier. C'est un premier filtre où les « reviewers » n'indiquent pas si le résultat est vrai ou faux, mais si le travail a été fait correctement, dans les règles de l'art. C'est un modèle de débat très puissant, qui permet aux scientifiques de ne pas perdre leur temps avec des charlatans et d'écouter toutes les idées neuves sérieusement construites, même si elles sont iconoclastes.
Ce modèle n'a rien à voir avec celui de la vie politique. Le problème, c'est que nous avons des directions de journaux qui proviennent toutes de formations de type Sciences Po ou littéraires et voient la science et ses débats à travers ce prisme. Dans un système démocratique, on veut que les opinions puissent s'exprimer. Voltaire disait : « Je hais vos idées, mais je me ferai tuer pour que vous ayez le droit de les exprimer. » Ce qui est très louable. Mais ce modèle ne s'applique pas à la science. Revenons au cas Allègre. Non seulement Allègre n'a jamais rien publié en climatologie – c'est un cosmo-chimiste qui a fait du très bon boulot dans son domaine –, mais l'Institut de physique du globe de Paris, IPGP, qu'il a dirigé n'a jamais fait de climatologie. Lui donner la parole sur le climat, pour un journaliste scientifique, est aussi stupide que d'aller consulter un gastro-entérologue pour un cancer du cerveau. On peut même dire que les articles de Vincent Courtillot, parus en 2005 et 2007, n'auraient jamais dû être publiés tant ils sont erronés et la question de leur rétractation demeure posée. C'est d'ailleurs un des très nombreux exemples de ce que les scientifiques préfèrent un certain laxisme dans leur système de publications, ce qui conduit à publier des erreurs ou même des manipulations, plutôt que de rater une idée originale.
Vous comprenez ce qui a pu pousser Claude Allègre à s'engager de la sorte sur le réchauffement climatique ?
Allègre ne s'est vraiment lâché sur le climat qu'une fois sa carrière politique détruite par sa mauvaise gestion du ministère de l'Éducation nationale. Il ne supportait pas la perte de surface sociale et médiatique consécutive à son éviction du gouvernement par Jospin. Il est évident qu'il a utilisé ce sujet pour exister. Il était tellement accroché à ça qu'il est allé très loin dans la caricature et le mensonge. S'il s'était contenté de faire de la vulgarisation de la science du climat, comme il l'avait fait dans des livres précédents, il n'aurait été qu'un scientifique parmi les autres et n'aurait pas eu l'exposition médiatique que sa posture de « climato-sceptique en chef » lui a fournie.
Aux États-Unis, le réchauffement climatique est associé à un clivage politique gauche-droite. En France, dans les médias, il y a aujourd'hui un consensus, non ?
Nous sommes loin des États-Unis, où le sujet est effectivement polarisé idéologiquement entre démocrates et républicains. La plupart des médias français font en apparence correctement leur boulot sur le sujet, et informent les citoyens sur la base des travaux scientifiques, et notamment des publications du Giec qui les synthétisent. Le problème de l'Europe, c'est plutôt qu'on a encore, malgré le consensus apparent, une très large méconnaissance du grand public, et parfois des responsables politiques, des causes réelles du changement climatique et donc des solutions. Les enquêtes de l'Ademe sur les connaissances des Français sur le climat montrent que la majorité pense que le changement climatique est une certitude scientifique, mais un tiers d'entre eux répond que c'est seulement une hypothèse sur laquelle les scientifiques ne sont d'ailleurs pas tous d'accord. Surtout, quand on leur demande d'expliquer les causes de ce changement, c'est la grande déconvenue ! Malgré un quart de siècle d'explications, les Français ont beaucoup de mal à dire spontanément que le changement climatique est, pour l'essentiel, provoqué par nos émissions de gaz à effet de serre, et surtout le CO2 issu du charbon, du pétrole ou du gaz. Ce que je viens de dire ne semble pas très compliqué. Pourtant, la majorité des Français a du mal à l'exprimer ainsi et à s'en servir comme base pour réfléchir aux solutions. Quand on pose mal un problème, en mathématiques, c'est compliqué de trouver la solution. Si on n'a pas compris qu'il faut s'attaquer en priorité aux émissions de CO2 liées aux énergies fossiles, on ne va pas s'attaquer au cœur du problème. Un institut de sondage a montré que 69 % des Français interrogés pensent que le nucléaire participe aux émissions de gaz à effet de serre et au changement climatique. Indépendamment de l'opinion qu'on a sur le nucléaire comme solution, le fait qu'une grosse majorité de jeunes et de femmes pense que les centrales nucléaires contribuent de manière importante aux émissions de gaz à effet de serre signifie qu'ils n'ont pas compris le b.a.-ba du sujet. Cette incompréhension est trop massive pour ne pas peser sur le débat public et sur les décisions politiques.
Sur votre blog, vous couvrez – et défendez – le nucléaire. Est-ce pour vous une énergie indispensable pour réduire les émissions de CO2 ?
Que l'électricité obtenue par les centrales nucléaires soit décarbonée est un fait, il n'y a pas à le défendre. Cette technologie permet d'obtenir une électricité en grande quantité par un procédé, la fission nucléaire, qui ne contribue pas au réchauffement climatique. C'est parce que son système électrique est massivement décarboné que la France émet sensiblement moins de gaz à effet de serre, par habitant, que les autres pays de même niveau économique, comme l'Allemagne par exemple. Ensuite, si un gouvernement ne veut pas utiliser le nucléaire pour d'autres raisons – la sécurité, les déchets, les coûts, l'indépendance –, ce sont des arguments valables à discuter. Mais si le débat public n'intègre pas le fait que l'électricité issue du nucléaire est décarbonée et disponible de manière massive, il ne peut se dérouler correctement. D'autant plus qu'il est beaucoup plus difficile d'imaginer un futur décarboné pour l'économie, les transports, l'industrie ou le contrôle thermique des bâtiments sans le nucléaire qu'avec. Je parle pour la France. C'est une question qui ne se pose pas partout. De nombreux pays n'en ont pas besoin, comme la Norvège ou l'Islande. Quand on peut produire toute l'électricité dont on a besoin avec de l'eau et des pentes, ce serait stupide de construire un réacteur nucléaire…
Comment voyez-vous la représentation du nucléaire dans les médias ?
Disons qu'il y a une présentation très biaisée de l'industrie nucléaire mondiale comme française. Demain, le géant nucléaire mondial sera la Chine. Dès qu'ils auront terminé les neuf réacteurs en construction, les Chinois auront autant de réacteurs que la France, et ils dépasseront rapidement les États-Unis. Dans le monde, plus de cinquante réacteurs sont en construction, avec un essor rapide des exportations russes, et 449 fonctionnent, ce qui fait à peu près 10 % de l'électricité mondiale. L'idée que cette industrie serait en déconfiture totale est un souhait des écologistes qui refusent cette énergie, mais cela ne correspond pas à la réalité. En ce qui concerne la France, le nucléaire produit entre 70 et 75 % de l'électricité, cela dépend des années, pour un coût très compétitif qui est la seule explication aux bas prix domestiques et industriels relativement à l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie… Autrement dit : cela marche très bien.
Mais ce qui est vrai, c'est qu'EDF et les industriels qui participent à la construction de l' EPR de Flamanville ont rencontré d'énormes difficultés sous l'œil vigilant et très sévère de l'Autorité de sûreté nucléaire, ASN. Elles sont dues pour l'essentiel à des pertes de compétences et d'expériences industrielles. En outre, EDF n'a peut-être pas compris que, depuis la loi TSN, Transparence et sûreté nucléaire, de 2006, elle a affaire à une autorité administrative indépendante, et qu'il ne fallait pas jouer au chat et à la souris avec elle. Tout se paie cash et en public. À titre personnel, cela me réjouit, parce que la sûreté de cette industrie, au potentiel de dangerosité très élevé, requiert un système de contrôle extrêmement sévère. Du coup, il y a une exposition médiatique qu'on ne verrait sans doute pas pour d'autres industries. Mais c'est tant mieux ! Soit dit en passant, l' EPR de Flamanville est actuellement en phase « d'essais à chaud ». Cela signifie que toute la tuyauterie et les circuits ont subi avec succès tous les essais à froid, eau à température ambiante, et que tous ces circuits – y compris ceux dont il faut refaire les soudures – ont vu passer sans problème l'eau à 350 °C sous 150 bars de pression et la vapeur.
Que pensez-vous du rapport des écologistes avec les connaissances scientifiques ? Nous avons récemment interrogé Michèle Rivasi, qui défend la figure de proue des anti-vaccins Andrew Wakefield comme l'homéopathie…
Ils sont victimes du biais de confirmation. Ces personnes sont tellement engagées dans un combat où les idées sont structurées à l'avance avec des messages simplifiés à but de propagande – c'est malheureusement la vie politique normale – qu'ils en arrivent à développer une relation malsaine à la science. Quand celle-ci ne va pas dans leur sens, elle est forcément corrompue. Les écologistes ne sont pas les seuls dans ce cas. Des hommes et femmes, dans d'autres partis politiques, ont la même relation malsaine à la science. Quand Nicolas Sarkozy, en campagne électorale en 2016 pour conquérir la primaire de la droite, a lancé que « cela fait 4 milliards d'années que le climat change, l'homme n'est pas le seul responsable », pour surfer sur le climato-scepticisme supposé des électeurs les plus conservateurs, il savait très bien qu'il disait une bêtise. Il s'était d'ailleurs bien battu au sommet de Copenhague en 2009. Malheureusement, nous avons des responsables politiques qui, dans le feu de l'action pour conquérir le pouvoir, sont prêts à contredire les connaissances scientifiques.
Xavier Bertrand, ancien ministre de la Santé, a défendu l'homéopathie alors que Boiron a un site dans son fief des Hauts-de-France, tout en ne sachant pas ce qu'est un « CH », la centésimale hahnemannienne à la base de cette pseudo-science…
C'est très grave. Lorsque des responsables politiques éloignent la société des connaissances scientifiques, cela accroît l'écart déjà abyssal entre le savoir constitué, détenu par les scientifiques, et l'ensemble de la population. Et cet abysse est vrai pour tout le monde, chef de gare, journaliste ou président de la République… et même pour les scientifiques puisqu'un biologiste sera incapable de faire de la physique nucléaire et inversement. Individuellement, nous n'avons accès qu'à un tout petit volume du savoir existant. Permettre à la société d'avoir des débats sérieux sur les technologies, c'est une clé pour la démocratie de demain. Malheureusement, on part de très bas. La majorité de la population française, même celle diplômée, méconnaît très souvent les bases de la science moderne. Une amie ingénieure m'explique sans rire que l'homéopathie marche avec les chats, car elle a donné des granules à son chat et qu'il a guéri. Avec un tel raisonnement, on doit jeter toute la science moderne à la poubelle, en particulier la médecine. Faut-il revenir à Diafoirus ?
Michèle Rivasi assure d'ailleurs que l'homéopathie fonctionne très bien sur les animaux…
Il n'y a évidemment aucune étude qui compare quatre élevages de milles vaches, chacun ayant les mêmes problèmes sanitaires, et testant l'un les antibiotiques, l'autre l'homéopathie, le troisième l'absence de traitement et le quatrième la tisane, le tout en double aveugle. La science, c'est ça.
Une autre solution, plutôt que la technologie, est la décroissance prônée par de nombreux écologistes…
C'est vrai, mais ces personnes écrivent cela sur leur ordinateur et envoient des tweets pour dire qu'il faut arrêter de consommer de l'énergie. Je caricature, mais on est face à une simplification abusive qui passe à côté des vrais problèmes. La décroissance des consommations de matières premières et d'énergie, comme d'espaces naturels, est une nécessité absolue à l'échelle planétaire si l'on veut que nos civilisations durent. Mais cette vision n'a pas de sens pour les deux milliards d'êtres humains – dont 800 millions qui ont faim – qui survivent avec quelques euros par jour. Quant aux sociétés à fortes consommations, aucune force politique n'est en mesure de les convaincre d'opter pour la sobriété sans une réduction drastique des inégalités de revenus et de patrimoines, ont déjà démontré des économistes. S'il est vrai que sans réformes économiques, sociales et culturelles d'envergure aucune politique n'est susceptible d'atteindre les objectifs de la Convention Climat, pour ne parler que de ce dossier majeur, l'idée que l'on puisse y arriver à technologies constantes est absurde.
Comment voyez-vous la controverse sur le glyphosate, qui est devenu un symbole ? Même votre confrère Stéphane Foucart du Monde reconnaît que ce n'est pas un scandale sanitaire du niveau de l'amiante…
Vous avez utilisé le mot « symbole », et c'est bien là tout le problème. Nous sommes face à un problème technico-économique sur l'avenir de notre agriculture. Le mode de production actuel en l'Europe de l'Ouest est très productif, mais utilise beaucoup d'intrants. Engrais, herbicides, insecticides, fongicides. Ces produits ont presque tous des impacts négatifs sur l'environnement et reposent sur des pratiques non durables. Depuis Darwin, il est connu qu'utiliser longtemps au même endroit le même insecticide ou le même herbicide ne peut manquer de provoquer l'apparition de résistances par mutations. La chute des populations d'insectes, et en conséquence des oiseaux insectivores, due aux insecticides mais aussi à la raréfaction des fleurs sauvages, en est un autre exemple. Nous avons donc de nombreuses raisons de penser qu'il serait bien de réorienter le système agraire vers des techniques plus durables. Cela nécessite des discussions très sérieuses sur des sujets difficiles. Comment dé-spécialiser les territoires, rapprocher les productions végétales des productions animales pour mieux utiliser l'engrais animal. Comment cultiver en utilisant le moins possible d'herbicides ou d'insecticides ? Des solutions techniques existent souvent, mais dont les conditions de mise en place relèvent la plupart du temps non de la technique elle-même mais de l'économie agraire, de la répartition de la valeur créée entre agriculteurs, commerçants et consommateurs, ou de la maîtrise des échanges internationaux, la logique agronomique voudrait que la France produise moins de blé à exporter et plus de protéines pour ses élevages. Cela suppose des discussions très sérieuses. À la place, on a des débats hystériques sur des symboles, tel le glyphosate, avec une course à l'échalote des responsables politiques, à celui qui fera le discours le plus simplificateur, populiste et alarmiste. Le résultat, c'est qu'on risque d'avoir un recours accru à d'autres herbicides nettement plus dangereux, sans débat de fond.
Que faire ?
On ne peut pas transformer chaque citoyen en scientifique. On ne va pas faire lire les dossiers d'homologation utilisés en agriculture par soixante millions de citoyens ! Mais il faut que la société utilise mieux les savoirs constitués et correctement expertisés, à l'image de ce que font des structures comme l' Anses ou le Giec. Le devoir des responsables politiques est de les créer, les organiser, de nommer à leur tête des personnes digne de confiance et de leur donner les moyens de travailler. Puis, de s'y référer pour leurs décisions, en expliquant aux citoyens que ces structures se sont vues garantir une indépendance vis-à-vis des pouvoirs économiques et politiques. Et lorsque ces structures défaillent, ils doivent les réformer. Mais pour que la société dans son ensemble puisse participer aux discussions qui découlent de ce travail d'expertise, nous avons aussi besoin de plus de journalistes formés aux matières scientifiques, et de plus de directions de rédactions sensibles à cela. Parce que la démocratie, ce n'est pas seulement que les citoyens décident, mais surtout que les citoyens décident en connaissance de cause.
(1) Hakan Grudd, Climate dynamics, 2008.
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