Gérard Petit
Commentaire : "Soutien au développement de l’électricité verte, la complexité fabrique t-elle l’opacité ? " Ah, Français si vous saviez! Maintenant ... VOUS SAVEZ!
Tenir tête, Fédérer, Libérer!
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Nous, citoyens en pays de France, nous interrogeons peu sur le financement des champs éoliens et des fermes éoliennes, sauf lorsque nous sommes directement sollicités pour entrer dans des montages participatifs. Nous constatons que le sujet ne doit pas faire problème, puisque les champs s’étendent toujours, même dans des lieux improbables et que les mâts poussent partout, sans vergogne. Parce que les media lui font un très large écho, nous savons aussi que l’Etat pousse fortement à développer l’électricité verte et nous pouvons même découvrir ses grands desseins, décrits par le menu, dans la nouvelle PPE(1). Moins bien connus sont les processus par lesquels l’Etat, qui n’investit pas directement dans ces moyens de production, incite financièrement les opérateurs. On peut en effet parler d’arcanes (litote) à propos des mécanismes de collecte et d’affectation des fonds dédiés. S’agissant des très importants montants dévolus sur la longue durée, viennent immédiatement des comparaisons avec d’autres besoins prégnants, d’autant que nous devons nous interroger sur la capacité du dispositif à réduire les émissions de GES, sa vocation réitérée.
Vache sacrée ?
Alors que l’hôpital public se voit accorder avec parcimonie des suppléments budgétaires, demande objet d’une mobilisation longue et visible, il est au moins un secteur où l’Etat ouvre les vannes ad libitum sans être, au moins en apparence, l’objet d’aucune pression. En effet, nul débat sur le bien fondé de cette libéralité n’occupe la scène médiatique, pas davantage qu’elle ne suscite des joutes à l’Assemblée et au Sénat, à l’occasion de la discussion du budget. Pourtant, il s’agit ici de presque 8 Mds€ par an, c’est plus de dix fois ce qui vient d’être accordé aux hospitaliers sur trois ans.
Faux suspens en réalité, car il s’agit, du nourrissage d’une vache sacrée: le soutien au développement des énergies renouvelables électriques, et accessoirement au biogaz, dont le principe est largement plébiscité par l’opinion. Celle-ci ignore pourtant largement les mécanismes afférents et surtout les montants attribués, deux singularités, forme faible, qu’il est sans doute sage, pour les parties prenantes, de ne pas top afficher. Quant à l’efficience du dispositif en matière de réduction des émissions de GES, qui est sa finalité affichée, elle est faible, voire nulle par nature, puisque les productions électriques EnR se substituent le plus souvent à celle d’un nucléaire, très faiblement émetteur. Un bilan préoccupant mais qui ne préoccupe guère les décideurs, la nouvelle PPE offrant même des perspectives inédites au développement des EnR électriques et la législation évoluant pour réduire efficacement les possibilités de recours contre les implantations.
Un principe simple, des mécanismes alambiqués
Cependant, rien n’est caché, tout est public, mais s’y retrouver est juste un brin fastidieux. De plus, si les buts sont restés les mêmes, les sources et les mécanismes ont beaucoup varié, encore tout récemment et il n’est pas certain qu’un régime de croisière soit atteint.
Avant d’entrer plus avant dans ses arcanes du processus, il faut savoir qu’il attribue mécaniquement des subsides pour le soutien aux installations, éoliennes, panneaux solaires PV, déjà en place et pour celles qui ont grossi les flottes durant l’exercice. Cette aide est destinée à compenser EDF, et les ELD(0), via EDF, opérateurs historiques, qui de par la loi ont l’obligation d’achat de toutes les productions éoliennes et solaires PV. En effet, ces achats s’effectuent hors marché dans des conditions avantageuses pour les producteurs EnR, contrats de long terme, prix fixes élevés ou compléments de rémunération, ces dispositions étant censées rétribuer les investisseurs de manière incitative.
Un rappel, les premiers contrats d’obligation d’achat signés par les producteurs EnR, surtout les exploitants de fermes solaires, offraient des conditions singulièrement avantageuses, prix, durée, et au plan pratique, moyennant le respect d’un cahier des charges, toute demande était acceptée selon le principe du « guichet ouvert ». Aujourd’hui, au-delà d’une certaine puissance, les procédures d’appels d’offres sont obligatoires et les prix de rachat, ou les compléments de rémunération, qui restent attractifs, ne reconduisent pas les errements anciens. Mais les contrats signés étant des engagements de longue durée, souvent 20 ans, les charges afférentes continueront à courir jusqu’à leur lointaine échéance. Au total, fin 2018, ce sont quelques 121Mds€ qui sont déjà gagés, 145Mds€ si on inclut le financement des raccordements des futurs champs éoliens offshore, pris à sa charge par RTE(2), c’est un engagement colossal, mais qui en parle ?
Certes, les gouvernements voulaient créer des conditions avantageuses pour « lancer la machine », mais le coup de pousse a été hors norme, comme l’a indiqué la Cour des Comptes (3), sans aménités. Les producteurs EnR arguant depuis longtemps de la maturité technique et de la compétitivité de leurs filières, on peut s’interroger à bon droit sur la poursuite des appuis très substantiels qui leurs sont accordés dans la longue perspective. Ou ces techniques sont matures et elles peuvent désormais concourir à armes égales sur les marchés, où elles ne le seront jamais.
EDF, et les ELD, qui revendent sur le marché des productions EnR achetées au prix fort perdent donc de l’argent et se voient remboursées par l’Etat de la différence entre le prix d’acquisition et le coût marginal des productions évitées, ou du montant de la prime dans le cas du complément de rémunération. Pendant plusieurs années, ce mécanisme de compensation n’a pas fonctionné correctement, l’Etat ne versant pas à EDF la totalité de son manque à gagner, si bien qu’une dette s’est progressivement constituée jusqu’à culminer à 5,5Mds€. Elle est actuellement en cours d’apurement, sur plusieurs exercices, un financement spécifique lui étant dévolu, intérêts compris, un rattrapage qui alourdi encore le poids financier du soutien de l’Etat aux EnR.
Un peu d’histoire
Jusqu’à fin 2015 :
Le soutien aux EnR électriques était assuré par une part du fruit de la CSPE (4), une taxe prélevée sur les factures d’électricité des consommateurs non industriels, ces derniers étant assujettis à la TICFE(5).
Le produit de cette CSPE permettait aussi de couvrir des dépenses dites « de service public de l’électricité », inhérentes à l’organisation de notre système, entre autres la péréquation tarifaire pour les ZNI (6), les tarifs sociaux, le soutien à la cogénération,...
Mais c’est l’appui au développement des EnR qui de loin pesait le plus lourd, le développement rapide des parcs appelant un soutien de plus en plus important par le mécanisme déjà décrit, la CSPE augmentait ainsi très significativement chaque année. Outre cette croissance non maîtrisée qui alourdissait les factures, ce mécanisme avait d’autres faiblesses, certaines rédhibitoires, qu’on en juge :
• C’était un dispositif extra-budgétaire, qui échappait donc au contrôle du Parlement et au regard du poids des prélèvements, plus de 6 Mds€ chaque année, le hiatus était bien constitué.
• Le « fléchage » qui fait que le produit d’une taxe est directement affecté à une dépense spécifique n’est pas un principe budgétaire normal, même si chacun se souvient que la vignette auto de Paul Ramadier était destinée à l’aide aux personnes âgées....
• La logique n’y trouvait pas son compte puisqu’on appuyait le soutien aux productions électriques non carbonées, éoliennes, solaires PV, sur des productions électriques elles-mêmes non carbonées, hydraulique, nucléaire, lesquelles assurent 95% de notre production.
• Enfin, last but not least, cette forme de prélèvement n’était pas conforme à la législation européenne, puisque toutes les consommations étaient taxées, alors que transitoirement le courant pouvait être pour partie importé et que le Marché Unique, par principe, interdit de taxer les importations. De plus, le produit de cette taxe indifférenciée ne profitait qu’à des installations hexagonales, une situation également en contravention avec les règles européennes.
À partir de 2016 :
De nouveaux mécanismes ont enfin été mis en place, censés contourner les défauts mentionnés mais ce, au prix d’une complexité accrue et sans corriger pourtant toutes les déficiences décrites.
C’est désormais le budget de l’Etat qui finance intégralement le soutien aux énergies renouvelables électriques, et marginalement, au biogaz. Le contrôle parlementaire sur cette question semble donc rétabli, pourtant, dans ce cas, la représentation nationale n’est qu’une chambre d’enregistrement. En effet, les subventions à verser sont la conséquence de dispositions qui ne sont pas à la main des parlementaires, en particulier ils n’ont pas le contrôle des nouveaux investissements EnR, la PPE qui sert de feuille de route étant définie par voie réglementaire, ni celui des conditions commerciales auxquelles les nouveaux contrats sont établis. Le parlement connait juste la somme qu’il devra réserver à cet effet et qui est déterminée chaque année par la CRE (7).
Cette somme est désormais prélevée dans la part du produit de la TICPE (8) qui revient à l’Etat, l’autre part allant aux Collectivités territoriales. S’appuyer dorénavant sur les produits pétroliers apparait plus logique, mais on retombe néanmoins dans le travers du « fléchage », sans doute pour des raisons de visibilité.
La Contribution Energie Climat, dite « taxe carbone »
Depuis plusieurs années, il existe une « taxe carbone » qui concerne tous les consommateurs de produits carbonés, essence, diesel, charbon, gaz,..à l’exception notable du kérosène. Elle s’exprime en €/tonnes de CO2 émis par leur utilisation. Elle était déjà incluse dans la détermination des taux des taxes spécifiques, TICPE, TICC(9), TICGN(10), mais jusqu’à récemment, son niveau bas les modifiait peu. À partir de ce constat, le Gouvernement dont Nicolas Hulot n’avait pas encore claqué la porte, a souhaité une évolution rapide et conséquente de cette taxe carbone, dans une approche présentée comme pédagogique, mais surtout destinée à abonder le produit des taxes précitées.
Déjà augmentée de 30,5€/tonne de CO2 (2017) à 44,6€ (2018), sa valeur avait était fixée à 55€ (2019) et il était prévu qu’elle atteigne linéairement 100€ en 2030 et continue à grimper ensuite. Pour mémoire, 50€/ tonne de CO2 correspond à environ 12 centimes d’€ ajoutés au prix du litre de carburant, essence ou diesel, lequel supporte ainsi, au total, plus de 60 centimes d’€ de taxes, près de la moitié de son prix de vente.
La tolérance des consommateurs d’électricité devant l’augmentation régulière de la CSPE reste surprenante, surtout avec l’expérience des frondes récentes. Ayant atteint 22,5€/MWh, sommée aux taxes locales et départementales et soumise à la TVA, elle représentait un tiers du montant des factures. On verra plus loin que la bascule du financement du soutien aux EnR vers les combustibles fossiles n’a pas fait disparaître la CSPE, maintenue au même niveau sur les factures d’électricité ! Là aussi, les consommateurs, sans doute peu avertis....car n’ayant pas encore lu cet article !!, ont été longtemps étonnement passifs et le restent encore malgré la hausse de 6% des tarifs réglementés, définis par l’Etat et appliqués par EDF, qu’ils viennent de subir.
La tolérance des automobilistes aux taxes qui les frappent, surtout ceux qui possèdent un véhicule diesel, car à l’augmentation de la taxe carbone s’ajoute le rattrapage de la fiscalité diesel-essence, n’a pas été aussi grande et c’est une rébellion qui s’est déclenchée, jaunissant durablement les ronds-points et obligeant le Gouvernement à geler la taxe carbone à son niveau 2018, soit : 44,6€/tonne de CO2.
Les tribulations de la CSPE en francotaxie
Comme dit déjà, jusqu’à fin 2015, la CSPE assurait l’ensemble des charges du service public de l’électricité, dans une acception large puisqu’ était inclus le soutien aux EnR et au biogaz. Au-delà, c’est l’ensemble des charges de service public de l’énergie, dont celles relatives à l’électricité, qui a été basculé sur le budget de l’Etat, couvert par deux postes séparés :
• L’un dévolu à la couverture des charges «traditionnelles» de service public de l’énergie, programme 345. Son montant prévu pour 2019 est de 3,2Mds€ en hausse de près de 6% sur un exercice.
• L’autre, désigné CAS-TE (11), destiné à financer l’appui aux EnR électriques, et au biogaz, qui comprend deux phalanges: le programme 764 destiné à compenser les pénalités d’obligation d’achat par EDF (et les ELD) et le programme 765 qui rembourse progressivement la dette que l’Etat avait contractée envers EDF pour insuffisance de la compensation précédente. Les montants prévus pour 2019 sont de 5,44Mds€ pour le programme 764, en baisse de 1,8% sur un exercice, baisse due à l’augmentation des prix sur le marché de gros, et de 1,84Mds€ pour le programme 765, en hausse de 12% sur un exercice.
Singularité, les programmes 764 et 765 sont financés en puisant explicitement dans le fruit de la TICPE, et contribution symbolique de la TICC pour 1M€, en contravention avec le principe de non « fléchage ». Dit à nouveau, il s’agit de bien monter que c’est la taxe carbone, par le truchement de deux taxes qui la portent,TICPE et TICC, qui finance l’effort de développement des renouvelables électriques, et du biogaz.
À noter que la TICGN qui porte elle aussi la taxe carbone n’est pas mise à contribution dans ce schéma.
Autre singularité, la TICFE a été généralisée à tous les consommateurs d’électricité et rebaptisée CSPE, pour plus de lisibilité !!, et son montant bloqué au niveau atteint par l’ancienne CSPE au moment du basculement, 22,5€/MWh. Elle a été transformée en accise, taxe sur les consommations, comme pour le tabac et l’alcool et donc versée directement au budget de l’Etat. Ainsi, bien que la raison d’être de la CSPE ait disparu, ses finalités d’antan étant honorées par ailleurs, la taxe a été maintenue avec son ancien sigle et c’est ainsi qu’elle figure sur les factures d’électricité. Il faut sans doute y voir le comblement tentant du trou laissé par la ponction dans le fruit de la TICPE des montants dévolus au soutien des EnR électriques, + biogaz. Si le trou a vocation à s’agrandir, la CSPE elle, ne pourra plus guère grandir vu le niveau déjà atteint. Suggestion : peut-être faudra t-il gonfler les autres accises sur le charbon et le gaz, actuellement bien inférieures à celles grevant l’électricité. ? Rappel utile: la consommation d’électricité est taxée à, 22,5€/MWh contre 14,62€/MWh pour le charbon et 8,45€/MWh pour le gaz.
Polémique
Dans une logique «pré-gilets jaunes» le Gouvernement voulait se donner les moyens financiers d’assurer la montée en puissance des EnR électriques, tracée dans la nouvelle PPE qui prévoit rien moins que le triplement de l’éolien, et le quintuplement du solaire PV. Dans le schéma décrit précédemment, il utilisait le levier « taxe carbone » pour accroître ses recettes.
Une polémique est née du fait que l’augmentation prévue, passage de 44,6€/tonne de CO2 en 2018 à 55€/tonne de CO2 en 2019, générerait un bonus supérieur aux nouveaux besoins du CAS-TE C’est strictement vrai quand on compare, 2019/2018, le supplément de recette escompté de l’augmentation de la taxe carbone (4Mds€) avec le supplément de besoin de financement des EnR électriques + biogaz, (80M€), l’excédent allant directement alimenter le budget de l’Etat.
Toutefois, il est intéressant de noter qu’en 2018, le produit de la taxe carbone collectée via la TICPE,, 0,12€ /litre d’essence ou de diesel, a couvert quasi exactement les besoins exprimés par la CRE pour le soutien aux EnR électriques. Hasard des chiffres ou convergence volontaire, il est difficile de trancher.
À condition de considérer que multiplier massivement en France, éoliennes et panneaux solaires PV correspond bien à une transition énergétique, même si on ne diminue en rien les rejets de GES, alors on peut dire, au moins en 2018, que la taxe carbone seule a bien financé cette transition, un fait largement ignoré sur les ronds-points et ailleurs.
C’est sur la prorogation de ce mécanisme pour l’exercice 2019 et les années ultérieures qu’a porté le litige, dans lequel deux processus séparés sont à l’œuvre, sans que leur convergence soit garantie.
D’un côté l’accroissement des recettes fiscales via le potentiomètre à fort effet de levier qu’est la taxe carbone, définie l’année N-1. De l’autre, la sommation de toutes les aides à honorer pour l’appui aux installations EnR existantes et nouvelles, lesquelles se constatent en fin d’année N et dépendent de paramètres qui fluctuent au cours de l’exercice.
En lui accordant le bénéfice du doute, on peut dire qu’en 2019, le Gouvernement avait par trop anticipé son besoin, d’où la polémique, aucun mécanisme de ristourne ni de thésaurisation n’étant prévu. Mais suite au jaunissement des ronds-points, la taxe carbone a été maintenue en 2019 à sa valeur 2018, 44,6€/tonne de CO2.Comme le besoin exprimé dans le CAS-TE pour 2019 est proche de celui de 2018 et que, comme dit plus haut, la valeur actuelle de la taxe carbone est bien adaptée, une adéquation devrait donc être à nouveau constatée fin 2019, ce constat n’augurant en rien l’équilibre des exercices à venir.
[0]...ELD : Entreprises Locales de Distributions (régies municipales,...)
[1]...PPE : Programmation Pluriannuelle de l’Energie
[2]...RTE : Réseau de Transport de l’ Electricité
[3]...Présentation du rapport de la Cour des Comptes sur le soutien aux .......énergies renouvelables devant la Commission des Finances de .......l’Assemblée (18 04 2018).
[4]...CSPE : Contribution au Service Public de l’Electricité
[5]...TICFE : Taxe Intérieure sur la Consommation Finale d’Electricité
[6]...ZNI : Zones Non Interconnectée (Îles)
[7]...CRE : Commission de Régulation de l’Energie
[8]...TICPE: Taxe sur la Consommation des Produits Énergétiques .......(l’ancienne TIPP : Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers)
[9]...TICC :Taxe Intérieure sur la Consommation de Charbon
[10]..TICGN : Taxe Intérieure sur la Consommation de Gaz Naturel
[11]..CAS-TE : Compte d’Affectation Spéciale –Transition Énergétique .......(une part dédiée du budget de l’Etat)
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